Ce tome fait partie d'une série qui ne nécessite pas d'être lue dans l'ordre. Les 21 premiers numéros ont été regroupés en 3 tomes :
The Dream Art Of Rick Veitch Volume 1: Rabid Eye (1 à 8), The Dream Art Of Rick Veitch Volume 2: Pocket Universe et The Dream Art Of Rick Veitch Volume 3: Crypto Zoo. Celui-ci comprend 48 pages de bande dessinée en noir & blanc, écrites, dessinées et encrées par
Rick Veitch. le tome suivant est également disponible : Roarin' Rick's Rare Bit Fiends #23.
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L'art de Mercure (20 pages) - Un dessinateur se trouve dans la caravane où il a installé son studio. Il a allumé une bougie sur le meuble à tiroir où il range ses planches pour que son odeur masque celle des moisissures. Il est en train de réaliser une planche d'un comics sur les rêves en utilisant une approche jungienne. de temps en temps, il se lève pour se décontracter, et contemple la flamme de la bougie, ce qui le met en transe. Une fois, alors qu'il se concentre sur les ondulations de la flamme, sa vue se focalise sur l'extrémité incandescente de la mèche. Alors qu'il contemple ainsi le coeur plasmique de la flamme, il éprouve la sensation que cela peut s'apparenter à une étoile faite de roche en fusion et qu'elle lui retourne son regard. Il lui semble qu'il a contemplé un archétype jungien sans filtre. Il remarque que de nombreuses formes autour lui rappellent cette extrémité incandescente. Il relie cette expérience à la recherche d'un savoir entre la matière et l'esprit, par les alchimistes, et à conviction des gnostiques de pouvoir faire l'expérience de l'esprit créatif au coeur de la nature.
S'il a lu les tomes précédents, le lecteur s'attend à une expérience déroutante de scènes non sequitur dont le déroulement s'effectue sans respecter les liens de cause à effet ou les lois de la physique. Il découvre en fait une histoire mettant un scène un auteur de bande dessinée ayant atteint la soixantaine et faisant l'expérience spirituelle de voir un archétype à nu.
Rick Veitch se montre même pédagogique avec les cartouches de texte qui contiennent ses commentaires de narrateur omniscient. Il contextualise ce que montrent les dessins, et apporte des informations plus explicites sur les archétypes jungiens et le concept de synchronicité, ainsi que sur l'objectif des alchimistes. le récit suit donc une trame linéaire explicite, facile à comprendre. Dans le même temps, le personnage de l'artiste ressemble fortement à
Rick Veitch, mais n'est pas visuellement tout à fait lui. Il explique en quoi les théories de Jung l'ont profondément marqué et l'ont amené à regarder le monde en utilisant les outils développés par ce psychanalyste.
Le lecteur apprécie également l'évolution de la manière de dessiner de
Rick Veitch, avec des pages et des cases plus aérées, et des personnages moins transpirants, moins affolés, moins emportés par l'émotion. L'artiste réalise des dessins de nature descriptive, sans exagération ou dramatisation appuyée. Son avatar est très prosaïque, avec une silhouette et un visage montrant son âge, des vêtements ordinaires et réalistes. L'aménagement de sa pièce de travail comporte les outils qu'on s'attend à voir dans un studio de dessinateur : planche à dessin, meuble pour ranger les planches, crayons et pinceaux. Les allées du supermarché sont typiques de ce genre de magasin. Il se promène de manière naturelle dans la forêt, et l'anatomie des animaux (faisan, cerf lion) présente une exactitude parfaite. En tant qu'auteur complet, il sait répartir les informations entre les dessins et les cartouches de texte de manière à ce qu'il n'y ait pas de redondance, mais une complémentarité. S'il y prête attention, le lecteur se rend compte que Veitch détoure les formes avec un trait légèrement plus gras quand il s'agit d'éléments oniriques, comme s'ils s'imposaient comme étant plus présents que les autres.
En 20 pages,
Rick Veitch évoque un nombre conséquent de situations et dispense une bonne quantité d'informations, sous forme d'une bande dessinée riche et bien rythmée. le lecteur comprend sans difficulté son intérêt pour les théories de
Carl Gustav Jung et la façon qu'il a de les aborder. Son utilisation de la bande dessinée lui permet de mettre en scène le concept d'archétype de manière simple et parlante, sur la base du motif qui apparaît à l'extrémité de la mèche, de son ondulation, 2 caractéristiques qu'il retrouve par la suite dans d'autres formes et d'autres objets, également en observant la nature. Il fait référence avec élégance à la version de Morphée écrite par
Neil Gaiman, pour incarner Mercure, véritable métaphore ambulante. Cette première histoire permet de reprendre doucement pied dans cette série d'art onirique,
Rick Veitch veillant à être le plus accessible possible. 5 étoiles.
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Little omens (3 pages de texte, avec 1 illustration par page) -
Rick Veitch retrace les origines de la série et les contextualise. Il explique pourquoi il a dû l'interrompre en 1996, et ce qui lui a permis d'y revenir en 2016. Il indique également pour quelle raison il a changé le nom de sa maison d'édition de King Hell en Sun Comics.
S'il a lu les tomes précédents, ou s'il commence par ce numéro 22, le lecteur trouve l'historique de la publication de la série, la motivation de son auteur, la raison de son arrêt, les circonstances qui lui ont permis de redémarrer, ainsi que la raison du changement nom de sa maison d'édition. Il explicite son intention en parlant de Mercure des alchimistes, et explique qu'il envisage les séquences avec Subtle Man, comme des rêves chamaniques.
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Subtle Man (28 pages) - Un homme est en train de marcher sur un chemin de pierre, au milieu d'une zone désertique. Il est vêtu d'un jean, d'une chemise à rayure, et de baskets. Il ne marche que sur les pierres avec une tâche noire. Il se rapproche d'une chose qui ressemble à un gros ver de 2 mètres de long, avec une peau noire comportant de nombreuses pierres réfléchissantes comme un miroir.il approche son visage d'une pierre et passe à travers. de l'autre côté de la surface se trouve la planète Terre dans l'espace, avec des embryons de planète flottant dans l'espace. Il enlève l'enveloppe d'un de ses embryons pour y découvrir un bouton de chair vivante qui a déjà faim.
Le Dalaï-Lama pose une question à son chat sur la véritable nature de la conscience. Mais celui-ci doit d'abord faire sa séance de yoga, car c'est le bouddha réincarné. En fait la réponse se trouve dans le livre que tient le personnage : le savoir ésotérique est rendu accessible dans les rêves. Et maintenant que fait le petit chat bouddha ? Il joue avec un nouveau camarade, un serpent. Plus tard le personnage décide de creuser le sol avec ses mains et il y trouve une racine de datura.
Rick Veitch change de registre et revient au domaine du rêve, bien chargé en symboles. L'homme subtile marche donc sur des pierres avec un point de noir, ce qui résonne étrangement avec
The spotted stone (2017) également réalisé par
Rick Veitch, une de ses création récentes. À la quatrième page, le lecteur découvre un étrange félin qui évoque une créature récurrente des histoires présentes au début de la série, une version ou une autre du Rare Bit Fiend lui-même. En page 10, il retrouve un masque aux formes géométriques tel qu'il apparaît en page 2 de la première histoire de ce tome. En page 25 apparaît un personnage qui ressemble beaucoup à Lightray, un des NéoDieux créés par
Jack Kirby dans
New Gods by
Jack Kirby. Il insère également des références à un vieux comics strip, à Calvin et Hobbes de
Bill Watterson, à Moebius. le lecteur peut y déceler l'incidence des préoccupations ou des centres d'intérêt de
Rick Veitch durant sa vie éveillée.
Afin de marquer la différence avec la nature du premier récit, l'artiste dessine un visage à son avatar appartenant plus au monde du dessin animé, avec des traits simplifiés, le plus souvent des points pour les yeux, et un trait gras horizontal avec des modulations pour la bouche. le trait d'encrage est légèrement plus épais que celui de la première histoire donnant plus de texture à chaque élément : la granulosité de la roche, le pelage soyeux du félin, la texture de la boue en train de sécher, la luminosité de la voie lactée, la plasticité de l'eau, etc. le fréquent changement de lieu et de thème génère une narration visuelle très riche, avec des environnements et des situations changeant du tout au tout d'une page à l'autre, l'homme subtile évoluant également dans son apparence. Alors même que les séquences s'enchaînent au gré de l'inconscient de l'auteur, le lecteur ne perd pas pied car les premières comprennent un extrait du guide du chasseur de rêves. le premier indique que le soi est à la fois le centre et la totalité de la psyché, le troisième que la spirale est la mère de tous les archétypes. le lecteur trouve un écho aux principes développés dans la première histoire avec Mercure. Les rêves ne perdent rien en bizarrerie ou étrangeté, mais l'intention de l'auteur est explicitée.
Sous réserve qu'il soit prêt à entendre parler de spiritualité sous une forme très personnelle, à travers les rêves de l'auteur, le lecteur découvre un aspect de la vie intérieure de
Rick Veitch, au travers d'une bande dessinée qui crée des résonances en lui, évoquant aussi bien le manque de logique de la réalité, que des sensations universelles.