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Retour au triptyque républicain. L'exigence de fraternité ressemble à celle d'un complément indispensable. La liberté et l'égalité peuvent être invoquées de façon incantatoire, purement formelle, comme d'ailleurs ce que Marx appelait « le catalogue pompeux des droits de l'homme ». Il faut donc prendre au mot la proclamation des droits, et lui donner les moyens d'être effective, concrètement réalisée. La fraternité survient alors, et elle invite la République à devenir sociale, pour remplir le beau programme qu'elle développe sur le plan politique. Celui d'un bien commun à tous, irréductible aux promesses d'un droit qui paraît souvent bien formel. La fraternité se fonde sur la condition commune de tous les hommes, non dans la finitude qui les rabaisse et leur fait attendre le salut d'un Père supposé, mais dans l'aptitude à transformer la société en y supprimant les causes d'injustice. C'est le terme même de la fraternité qui contraste avec les privilèges ou les violences des religions dominatrices comme avec les inégalités sociales. Pris en compte, il invite donc à déjouer toute hypocrisie sociale, même si celle-ci est tenace, comme insiste Flaubert dans Bouvard et Pécuchet. On comprend pourquoi selon Jaurès la République doit se faire à la fois laïque et sociale. L'invocation de la fraternité, qui est tout à la fois un fait appelé, un sentiment, et une exigence morale porteuse d'un devoir civique, sauve la devise républicaine de toute interprétation réductrice, pour en faire, encore et toujours, une maxime révolutionnaire. C'est sans doute ce qui conduisit Victor Hugo à interpréter le triptyque comme il le fit, en insistant sur le rôle de la fraternité. Il voyait en elle « l'âme de la formule ». Laissons au poète le dernier mot. « La formule républicaine a su admirablement ce qu'elle disait et ce qu'elle faisait : la gradation de l'axiome social est irréprochable. Liberté-Egalité-Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont trois marches du perron surprême. La libert c'est le droit, l'égalité, c'est le fait, la fraternité, c'est le devoir. Tout l'homme est là. » Le Droit et la loi (1875)
779 - [p. 52]