C'était ma première fois !
Non, pas celle à laquelle vous pensez bande d'obsédés, mais celle où je suis entré dans les locaux de Babelio, rue de Malte à Paris.
Merci au personnel de Babelio pour leur invitation, leur gentillesse, leur disponibilité, leur organisation et leur jus de pomme.
Merci également aux éditions
De La Martinière pour l'envoi du roman ainsi qu'à
Inga Vesper et son interprète pour nous avoir parlé de ce
Un long si long après-midi ( tellement long qu'il va s'étendre sur quelques jours ) sous toutes ses coutures, parfois insoupçonnées.
Ce roman paru au début du mois semble beaucoup plaire, et je rejoins amplement tout ce qui a pu être dit de positif. Pourtant ça n'est pas vraiment ma came habituelle. Un roman policier qui se déroule à la fin des années 1950. Mais aussi, à part égale, un roman sur l'Amérique de cette époque. Axé sur les femmes si heureuses de vivre au foyer qui font la une des publicités représentant la famille idéale, à s'occuper de leurs enfants ou à cuisiner des cupcakes dans des cuisines de mieux en mieux aménagées afin de leur faire gagner quelques minutes précieuses de marche lors de la confection d'une succulente tarte aux myrtilles.
C'est une de ces publicités typique de la famille épanouie stéréotypée qui a été pour
Inga Vesper l'un des déclencheurs de la rédaction du roman. Pour elle il était évident que pour la femme ce n'était qu'une illusion, un sourire de façade, un fait qui s'est d'ailleurs confirmé quand elle a appris qu'à l'époque 50 % de ces Américaines prenaient des médicaments contre l'angoisse ou la dépression.
"Et pourtant elles souffrent de terribles maladies. Anxiété, dépression, crises de panique, hystérie..."
Si un mari ne buvait pas et ne frappait pas sa femme c'est qu'elle avait forcément tout gagné et que son couple était parfait.
Mais bien entendu c'est un tout petit peu plus compliqué que ça, à l'époque comme aujourd'hui.
Et c'est dans le cadre idyllique de la petite ville de Sunnylakes ( à ne pas confondre avec Sunnydale, autre ville fictive de Californie, où Buffy tuait des vampires ) que nous découvrirons que les apparences peuvent être trompeuses.
"Les maisons défilent, toutes identiques, avec leur jolie pelouse, leur jolie clôture et leur façade ornées de fausses pierres."
"Les gens de Sunnylakes, ils vivent au pays des rêves."
Jusque là rien de bien inédit.
Lors du comité des femmes pour le Progès de Sunnylakes chacune de ces voisines se retrouvent pour débattre des façons d'améliorer encore leur vie si merveilleuse.
Et l'auteure n'aura de cesse de gratter ce vernis de superficialité pour nous montrer qui elles étaient véritablement.
A commencer par Joyce, qui va se volatiliser.
A-t-elle fui une existence insupportable ? A-t-elle eu un accident ? A-t-elle été enlevée ? Est-elle morte ou vivante ?
C'est tout le sujet de l'enquête qui sert de fil conducteur au roman.
Enquête confiée à l'inspecteur Mick Blanke, récemment affecté dans cette bourgade paisible où il ne se passe jamais rien.
Joyce et Mick seront deux des trois narrateurs. La première, dont on comprendra rapidement que la vie n'est pas une carte postale, racontera au fur et à mesure le déroulé de la journée où elle a disparu. le second ne sera pas sur le même espace temps mais sera sur la même échelle de révélations pour le lecteur, en relatant la progression de son enquête. A ces personnages attachants ni tout noir ni tout blanc s'ajoutera une troisième narratrice, toute noire par la couleur de sa peau en dépit de son nom de famille : Ruby White.
Avec ce personnage
Un long si long après-midi va parfois vous prendre à la gorge. A cette époque le racisme est encore violent et les personnes de couleur ne peuvent pas ( et ne le souhaitent pas ) se mélanger aux blancs. Il existe toujours des restaurants dans lesquels ils ne sont pas les bienvenus. Les insultes fusent.
"Un blanc avec un chapeau de cow-boy lui crache le mot honni au visage et elle a l'impression qu'on la poignarde jusqu'à l'os."
"Les noirs et les blancs vivent toujours séparés. Nos maisons sont séparées, nos enfants sont séparés, nos vies sont séparées."
Ruby, qui rêverait un jour de devenir enseignante, est la femme de ménage de Joyce et de sa voisine.
Amie et confidente de Joyce, l'inspecteur a besoin d'elle pour résoudre l'énigme. Bien que très réticente à aider un flic blanc, elle acceptera sous certaines conditions de l'aider, souhaitant avant tout aider cette femme qui l'employait, et qui la respectait.
Et nous voilà avec un duo d'enquêteur totalement improbable, extrêmement attachant et en même temps trop différents. En d'autres temps ils auraient pu être amis. Mais l'inspecteur, qui est dénué de préjugés, est cependant parfois maladroit dans ses propos. Quant à Ruby, elle est méfiante, parfois même haineuse, et cette fracture sociale représentée par ces deux personnages est certainement ce qui m'a le plus ému dans le roman.
"La barrière qui les sépare est vieille de plusieurs siècles. Et malgré tous ses efforts, il ne peut en venir à bout."
Roman noir ? Presque, d'autant que la température ajoute à l'asphyxie de ce roman policier dramatique.
"Une chaleur surréelle s'en échappe quand il ouvre la portière."
"Le sang est durci et poisseux. Deux jours de chaleur estivale l'ont collé au carrelage tel du vernis à ongles."
Et pourtant, à voir la couverture, si on excepte ladite tâche de sang, on a plutôt l'impression que les couleurs chatoyantes disent le contraire.
Présentes en particulier dans les peintures, les fleurs et les vêtements, elles atténuent l'indicible ou - selon le ressenti du lecteur - viennent renforcer au contraire par leur contraste l'impression de tristesse et de gâchis du beau bonheur américain.
"- Rouge passion, répond-il. Comme tes lèvres, chérie."
"Les vêtements de Mme Ingram forment un fouillis de rose, de turquoise et de mauve de plutôt mauvais goût. Et là, fraîche comme le matin, est suspendue dans un sac de pressing une robe fourreau jaune canari."
"Il était bleu et rouge, blanc et violet. Il avait des cheveux noirs et des ongles jaunes. Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel."
Ce qui vient à coup sûr redonner de temps en temps le sourire et aérer la gravité du propos, ce sont les multiples touches d'ironie qui parsèment le roman, souvent grinçantes mais bienvenues. A nouveau quelques exemples :
"Elle aura besoin de lui pour choisir exactement le contraire de ce qu'il lui recommande."
Ou, quand l'inspecteur Blanke s'introduit pour la première fois au Comité des femmes pour le Progrès de Sunnylakes :
"Soudain il a l'impression de flotter au milieu de requins en chemisiers amidonnés."
"- Vous ne m'avez été absolument d'aucune aide, merci."
Un long, si long après-midi se veut le plus fidèle possible à son époque, en évoquant sans faux-semblants le malaise des femmes au foyer, l'exclusion du peuple noir, dans un contexte où le catholicisme joue encore un rôle majeur ( ainsi que le dieu des flics débutants ! ).
"Nous avons pensé que la parole du Christ serait le meilleur remède."
"Puisse le Seigneur la garder en vie."
Seul léger regret : Qu'il y ait autant d'insultes grossières dans un roman si bien écrit. A tort ou à raison j'ai eu du mal à me représenter certains protagonistes jurer comme des charretiers.
Mais c'est un tout petit bémol et dire que le roman m'a plu est un euphémisme. Quasiment tout était bien pensé : Les personnages et les émotions qu'ils font passer, l'enquête qui avance pas à pas sans nous perdre mais aux révélations progressives, son édifient et insoupçonné côté socio-culturel, son humour et sa douce noirceur.
Après s'être volontairement arrêtée sur la fin des années cinquante, alors que les transformations sociales et politiques étaient imminentes, le prochain roman d'
Inga Vesper ( auteure à suivre, donc ) nous projettera dans les années soixante-dix et la culture hippie notamment.
Un crime pourrait bien avoir lieu au début de ce second roman, qui devrait là encore permettre d'empiéter sur les idées reçues.