Citations sur Guernica : 1937 (29)
Dora menait donc seule son chemin. Elle essayait de se débrouiller et de se dégager des nœud coulants que Picasso avait mis discrètement en place pour la capturer. La garder parce qu'il la trouvait intelligente, trop même, trop belle, et surtout parce qu'elle était la "victime" idéale, résistante et docile tout à la fois.
Dora rêvait de cette vie entièrement vouée à l'art, dans ce "cocon" où seuls Picasso et elle existeraient , à l'abri des autres, loin de ceux qui propageaient des rumeurs, les épiaient, espéraient déjà la fin de leur liaison. Elle disait un "cocon" mais au fond d'elle-même, elle n'y croyait pas trop. Elle savait qu'il s'agissait plutôt d'une arène, quelque chose qui serait mortel à la fin de la partie.
À chaque toile que Picasso faisait,
Dora Maar répondait par une autre, presque la même,
comme si elle voulait par là récupérer son image, se la réapproprier,
ne pas la lui laisser.
C'était un acte de survie.
p 165.
Mais vous pouvez tout être,
belle et laide, sublime et immonde,
sainte et démon, bête et déesse,
femme et petite fille, arbre et fleur aussi.
Vous incarnez tous les sentiments.
P 165
- Guernica vient à votre heure, Picasso. C'est votre moment. Vous devez peindre cette abomination.
Picasso, intuitivement, n'était pas tout à fait sûr de cela. Plus que l'événement en lui-même, c'était la violence qu'il voulait peindre, la terreur et la barbarie.
Elle pensait que son art pouvait répondre à la violence du monde et ses photographies témoigner de la misère et du malheur des hommes.
Il l'a dessinait souvent, elle posait avec docilité, trouvait que c'était une autre manière de faire l'amour avec lui. De fait, Picasso disait souvent que peindre était un substitut du désir physique, un remplacement de l'acte sexuel. Elle y croyait parce qu'elle remarquait qu'il savait glisser de la tendresse, de la douceur dans les portraits qu'il faisait d'elle.
Il lui disait aussi que créer, peindre, et encore peindre, seulement ça, pouvait faire reculer le malheur.
Le Heinkel ouvrit le feu, puis plusieurs dizaines d'autres avions surgirent au fil de l'horizon. Ils avançaient calmement, devant les yeux effarés des habitants qui, sur le perron de leurs maisons, n'avaient pas eu le temps de s'enfuir. Les avions, arrivaient lentement, comme une armada implacable et monstrueuse, et pendant plus de trois heures, lâchèrent leurs bombes. Le village, qui était petit, près de trois cents maisons, disparaissait peu à peu sous les bombardements : les églises s'effondraient, les bâtiments publics ne laissaient plus apparaître que des murs croulants, surgissant de tombereaux de gravats et de poussière.
De profil, Dora montrait son menton en galoche, aux maxillaires puissants, et cette grâce de femme maternelle enroulée dans des chandails et des écharpes où il ferait bon se lover. Bref, Dora était une femme, une vraie femme, dont la sensualité passait d'abord par la sensation de protection qui émanait d'elle. Elle était muse et arrogante amazone, mais elle pouvait être mère aussi. C'était cet éventail de visages que Picasso aimait en elle, c'étaient eux qu'il exprimait tout à la fois dans sa peinture.