Chez les très vieilles gens, le cœur est comme un foyer à demi éteint, une cendre tiède d’où jaillit parfois une étincelle ; ce fut une grande flamme qui s’éleva de celui de lady Maloney à la vue de l’enfant fragile qui s’approchait timidement d’elle. La vieille dame ne s’interrogea pas ; tout de suite, elle céda au charme de l’exquis visage, au regard des grands yeux profonds et tendres — car il y a une vérité de l’âme plus valable que l’autre. Elle comprit que Marielle méritait qu’on l’aimât et pas une minute elle ne douta d’avoir devant elle l’enfant issu de son sang.
Quelle erreur ce fut de me faire étudier le droit et gaspiller ainsi des années de ma précieuse jeunesse, années que j’aurais pu employer de façon plus plaisante ! Je n’avais aucune disposition pour le métier d’avocat ; la procédure n’a pas d’attraits pour moi, ça m’assomme de rester dans un bureau à bâiller en attendant des clients qui ne viennent pas et j’ai trop d’orgueil pour leur faire la chasse. Il est tellement plus agréable de jouer aux cartes avec des amis, de chasser, de pêcher, de monter à cheval.
Rien n’est moins paisible que le caractère irlandais, qui est bien un des plus turbulents qui soient au monde. Nous avons connu beaucoup de guerres et il n’y a pas si longtemps — à peine la durée d’une génération — que, dans ce pays dont vous admirez l’aspect tranquille, des hommes s’entretuaient parce que leurs opinions différaient sur les lois agraires. Et vous pouvez encore voir, de loin en loin, les ruines de quelques maisons détruites, de quelques fermes ravagées au cours de la guerre civile.
Ils en ont de bonnes, les médecins ! Vivre au ralenti, c’est commode à dire, mais pas à réaliser, quand on n’a pas de rentes. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’emplois répondant à ces conditions et moi, à part la danse, je ne sais pas faire grand-chose. Je n’ai pas beaucoup d’instruction, ce qui m’interdit tout travail de bureau ; quant à être mannequin ou vendeuse, c’est trop fatigant.
Pourquoi travailler quand on peut faire autrement ? Vous me direz qu’il y a des gens qui aiment cela : à moi, cela paraît de l’aberration mentale, et les asiles d’aliénés sont faits pour les fous de cette espèce ; je n’en suis pas.