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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Cela a été extrêmement troublant de lire ce roman tant il résonne avec l'actualité du moment, en l'occurence le terrible bras de fer qui se joue à la frontière russo-ukrainienne. Ou quand la fiction croise la réalité et glace.

Emérite journaliste spécialiste des pays de l'ex bloc soviétique, correspondant du Monde, lauréat du prix Albert Londres 2019, Benoît Vitkine s'est déjà essayé à la fiction avec un premier roman très réussi, Donbass, sur un trame policière. Cette fois, il opte pour un thriller politique proche du roman noir. Olena Hapko vient de remporter les élections présidentielles ukrainiennes. Dans trente jours, elle sera investie. Trente jours de lutte à mort face aux oligarques ukrainiens et aux services secrets de Poutine qui vont tout faire pour l'abattre.

Comme dans Donbass, l'auteur parvient à éclairer de façon très lisible toute la complexité de la situation ulkrainienne depuis l'écroulement de l'URSS en 1991. Pour Poutine ( personnage assumé du roman ), l'indépendance de l'Ukraine est une trahison de Gorbatchev et des Occidentaux, une incongruité qu'il veut détruire ou à laquelle il peut éventuellement pardonner à condition qu'elle joue selon ses règles en acceptant manipulations et corruptions. Olena a été élue sur un programme de promesses réformatrices afin de laisser respirer un pays étouffé par les commissions illicites prélevées sur tout par les oligarques. Inacceptable pour les Russes qui lancent une campagne de krompomat ( art du chantage né du KGB consistant à discréditer quelqu'un par la publication de documents compromettants ) en fouillant dans son peu recommandable passé.

Là où l'auteur fait très fort, c'est qu'il ne choisit pas une héroïne attachante mais une véritable badass avide de pouvoir, qui a tout défoncé pour s'extraire de son milieu, elle, la femme d'affaires redoutable qui a construit son ascension avec les mêmes pratiques que les oligarques qu'elle a désormais à affronter. Pour elle, la conquête ne s'arrête que lorsque l'ennemi est totalement écrasé. Autant dire qu'elle ne va pas se laisser faire. c'est absolument jubilatoire de lire les passages décrivant de son point de vue les moeurs de l'élite post-soviétique dans le marigot ukrainien. Benoît Vitkine manie parfaitement un humour très noir.

«  Elle leur a offert ce qu'ils voulaient. C'est à la vulgarité qu'on jauge le pouvoir, se dit-elle en regardant la fille balancer ses jambes dans une belle harmonie. Il n'y a que ces Européens arriérés pour croire que le luxe se mesure au silence feutré et au moelleux des fauteuils. Des coqs privés de griffes, des enfants gâtés engoncés dans leur timidité qui ont oublié une chose : le luxe est un combat, une victoire, qu'il convient de célébrer avec bruit et fureur. Avec du champagne et de la vodka, pas avec de la camomille. »

Dès les premiers chapitres, on est totalement embarqué dans le compte-à-rebours pour la survie ( ou pas ) d'Olena. L'intrigue est nette et resserrée Les chapitres égrènent le défilé des trente jours avant l'investiture présidentielle. La machine narrative est ultra propulsive, sans temps morts et crée un vrai suspense jusqu'à un final inattendu, truculent même qui tire le roman vers la fable politique cruelle, avec l'ombre du célèbre communiste libertaire Nestor Makhno ( mort en 1934 ) qui plane au-dessus de la ville orientale de Gouliaï Polié, là où tout va se jouer, sa ville natale comme celle d'Olena.

Une excellente lecture qui allie très intelligemment le fond et la forme, sans manichéisme afin de laisser toute sa place au discernement du lecteur. Je ne peux que vous conseiller cette lecture, ainsi que son précédent roman Donbass si le sujet vous intéresse.
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Trente jours séparent Olena Hapko, la nouvelle présidente de l'Ukraine juste élue, de son investiture. Trente jours pendant lesquels il va lui falloir jouer serré pour contrer les tentatives de déstabilisation des Russes, bien décidés à la faire tomber. Mais l'expérience et la férocité de cette oligarque habituée à employer la manière forte suffiront-elles ? Surtout lorsque le passé et ses violences ne demandent qu'à resurgir...


Journaliste spécialiste des pays de l'ancien bloc soviétique, Benoît Vitkine a obtenu en 2019 le prix Albert Londres pour ses enquêtes sur l'influence russe, tout particulièrement dans le cadre de la guerre du Donbass. En 2020, son premier roman Donbass nous impressionnait, sous couvert d'un polar, par ses images fortes et réalistes du calvaire vécu par la population de cette région, et par son habileté à rendre intelligible le contexte géo-politique ukrainien. Ce second roman poursuit dans la même excellente veine, avec une histoire aussi addictive, mais, sans aucun doute, bien plus frappante encore. Car, si, en dehors de Poutine et de quelques-un de ses proches, tous les personnages en sont fictifs, ils sont inspirés de personnalités réelles et composent un tableau, à ce point sidérant et effrayant soit-il, tout à fait représentatif de la situation ukrainienne il y a dix ans. Sous le choc, c'est d'un oeil transformé et troublé que le lecteur observera, après cette lecture, la brûlante actualité russo-ukrainienne !


Alors que Donbass nous immergeait de plein-pied dans le quotidien sans horizon de petites gens s'épuisant à survivre, entre peur et misère, dans une société gangrenée à tous les étages par la violence et la corruption, nous voici cette fois au coeur des manigances des puissants, dans un combat sans limites pour le pouvoir. Olena Hapko est l'une de ses personnalités qui ont su profiter de l'effondrement du système soviétique pour, peu importe la méthode, s'emparer de secteurs économiques et bâtir des empires personnels leur assurant richesse et puissance. Crime et grand banditisme, complots et manipulations, intimidation et violence la plus extrême, forment le quotidien de ces oligarques pétris de brutalité et dénués de tout scrupule, qui, par la force, la peur et la corruption, tiennent entre leurs mains pouvoirs politique, économique et financier. Toute cette clique s'étripe sans merci dans de monstrueux combats d'égos, dont pays et populations tout entiers paient le prix fort. Les stratégies sont machiavéliques et ne renoncent à aucun moyen. Et toujours, en arrière-plan de ces affrontements, se dessine l'ombre du pouvoir suprême, celle du président de la Fédération de Russie, attentif à la moindre opportunité d'avancer ses propres pions en faveur de la puissance russe…


Le roman permet à Benoît Vitkine de donner corps, de la manière la plus parlante et le plus frappante qui soit, à sa connaissance fine de la situation et des intervenants à l'oeuvre en Ukraine et en Russie. Les stupéfiants rebondissements et retournements de son intrigue tendue par un implacable compte-à-rebours, tout comme ses personnages d'une férocité et d'un machiavélisme débridés dans leur affrontement sanguinaire pour le pouvoir, laissent entrevoir des nations russe et ukrainienne régentées, de haut en bas, mais aussi dans leur relation au monde, par la seule loi du rapport de force. La dernière page des Loups tournée, une évidence s'impose : le jeu de bras de fer russe ne date pas d'hier, la Crimée en ayant notamment déjà fait les frais. Il vient juste de s'élargir brutalement, en nous impliquant, nous, les Occidentaux, dans un test majeur, et pas seulement pour l'Ukraine. Car c'est le rapport de force mondial que Poutine s'estime désormais capable d'éprouver en attaquant ouvertement son voisin, comme s'il se sentait maintenant loup en chef...


Une lecture forte et troublante, très éclairante dans le contexte du moment. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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En cette année 2012, en Ukraine une nouvelle présidente vient d'être élue, Olena Hapko. Une femme d'affaires aux dents longues qui, en préservant ses intérêts, veut faire bouger les choses dans son pays (notamment la très grande corruption). Ce qui va passer par la manipulation des oligarques ukrainiens, les loups dont elle fait partie, et n'est pas au goût des Russes qu'elle va devoir affronter jusqu'à son investiture dans une lutte à mort.

À l'heure où les armes parlent en Ukraine Benoît Vitkine, correspondant du journal le Monde à Moscou et lauréat du prix Albert-Londres 2019, donne avec Les loups une idée assez précise d'un pays que les Russes considèrent depuis son indépendance comme un enfant indiscipliné qu'il faut mettre au pas, quitte à employer les moyens les plus radicaux. Un roman noir de politique fiction passionnant qui a de quoi nous faire réfléchir sur ce qui se joue réellement derrière une guerre initiée par Poutine martyrisant l'Ukraine, loin des simplifications manichéennes journalistiques.
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Quel point commun y a-t-il entre cette adolescente rebelle de seize ans qui riait sous le soleil de l'été 1976 au bord d'une plage de Crimée et cette femme ambitieuse et déterminée, un jour de juin 2012 à Kiev, qui s'apprête à être investie demain aux fonctions de la Présidence de la République de l'Ukraine ?
Il s'agit de la même femme, Olena Hapko, celle qu'on appelle désormais La Chienne. Trente-six ans se sont écoulés, tandis que trente jours séparent encore son élection de la cérémonie d'investiture qui la placera au sommet de l'État.
Olena Hapko a été élue sur un programme ambitieux, le peuple ukrainien lui a donné sa confiance, car elle s'est engagée à lutter contre la corruption qui gangrène son pays.
Dès le début du roman, nous sommes happés sur un rythme effréné par ces deux chemins, ces deux itinéraires qui se croisent comme des lacets, tourmentés et chaotiques.
Trente-six ans après cette journée presque désinvolte sur une plage de Crimée où elle serrait déjà les poings devant le machisme de ses camarades masculins, cette femme savoure enfin sa victoire, son ascension dans le monde des affaires fut très rapide, un itinéraire au passé violent, pas toujours clair, pas toujours loyal envers ses proches, mais il faut savoir jouer des coudes, tenir bon, survivre...
Dans ce marigot infernal, grenouillent les agents des services secrets russes et les oligarques ukrainiens, ceux qu'on surnomme ici Les loups. Quels sont les pires de ses ennemis entre deux maux qui se ressemblent ?
Nous les voyons s'agiter dans l'ombre, et parfois carrément à ciel ouvert, se livrer dans une lutte sans merci pour imposer leur loi et empêcher qu'Olena Hapko accède à la Présidence de l'Ukraine, dirige le pays comme elle le souhaite et surtout comme elle l'a promis dans son programme qui l'a amené à triompher contre le candidat Président sortant, celui-là qui trimballe des casseroles dignes de celles accrochées au mur de la grande cuisine du château de Chenonceaux.
Olena Hapko a 52 ans, elle est intelligente, elle sait qu'elle doit composer avec Les Loups, chacun des deux camps peut y trouver un intérêt, mais elle ne veut pas transiger sur la promesse pour laquelle elle a été élue par le peuple qui est à cran : la corruption. Pourtant, la corruption, autrefois elle y a goûté aussi, avec jubilation... Mais c'était avant...
Bienvenue en Ukraine !
Les ennemis ne sont pas toujours là où on les attend... Ils peuvent aussi être construits, manoeuvrés, instrumentalisés comme des marionnettes par ceux qu'on craignait au départ. Ils peuvent survenir d'un passé qui rattrape le présent, comme une vague de fond qui revient sournoisement.
L'ennemi peut aussi être un cahier d'école, un noyau de cerise qui devient un véritable caillou dans la chaussure, une jeune fille dénommée Katia dont le visage sera défigurée par l'acide. On appelle cela l'effet papillon.
En ce jour de gloire, elle sait que tout peut encore basculer. Il lui reste un mois avant d'être investie. Mais Olena Hapko est forte. Elle est féroce, impitoyable, intelligente aussi et c'est cette dernière qualité qui peut être sa meilleure alliée...
Benoît Vitkine m'a entraîné ici dans un thriller politique totalement addictif. Il y a un scénario politique en effet qui se dessine, qui se construit habilement un peu comme une partie d'échecs durant trente jours où il faut négocier avec ceux qui tiennent le pays et puis il y a une autre histoire en toile de fond, celle qui traverse trente-six ans d'un paysage ukrainien malmené déjà depuis bien longtemps par la grande Histoire.
Mais surtout, dans ce récit incroyable qui en fait aussi sa force et sa crédibilité, Benoît Vitkine convoque des personnages saisissants de vérité et attachants d'émotions. Autour d'une comète fulgurante figurent de très belles étoiles qui ont leur mot à dire et une raison d'être dans ce récit. J'ai aimé ces personnages presque anonymes, Katia Galiouk, son ami Marko, la vieille institutrice Larissa Ivanovna, Semion Moisssenko dit Semion Grandes-Mains allié historique d'Olena Hapko, qui réside désormais dans le quartier d'Obolon où vit ma belle-famille, - ou plutôt vivait avant la guerre... Autant de destins fracassés dans le parcours d'Olena Hapko...
Je me suis demandé si, dans la solitude effroyable du pouvoir, cette femme aimait, doutait, regrettait, avait un coeur qui bat...
J'ai adoré ce récit qui se veut de fiction, mais j'ai bien saisi le message de l'auteur qui connaît bien son sujet. Même si Olena Hapko est un personnage de fiction, ce récit est d'un réalisme sidérant. La fiction sert ici à décrire la réalité peut-être plus féroce encore.
Dans la fiction de ce récit, un personnage réel se détache tirant les manettes de ce scénario comme il le fait encore aujourd'hui, on voudrait qu'il soit fictif, ce Vladimir Poutine au regard d'acier, au sourire de métal, caricature de lui-même sortie tout droit d'un mauvais James Bond, guignol ubuesque et machiavélique qui voudrait réécrire L Histoire à sa façon, j'ai peine à prononcer son nom ce soir.
Quelques temps avant la guerre actuelle, je me souviens que l'Ukraine était encore et déjà une jeune démocratie. Trente ans, c'est encore jeune. Déjà tournée vers l'Occident, l'Europe, elle cherchait à s'émanciper du vieux modèle encore présent, se tourner vers un mode de fonctionnement plus transparent, plus européen, quelque chose non seulement inacceptable pour la Russie, mais en plus, représentant un danger pour la mainmise russe. Ceci explique peut-être la raison pour laquelle Poutine décida de déclarer la guerre à l'Ukraine un 24 février et tenta de fabriquer un alibi qui ne tint pas la route longtemps, sauf malheureusement aux yeux du peuple russe qui gobe comme des mouches tout ce que le pouvoir lui dit, hélas a-t-il le choix... ?
La fin du récit est à la hauteur de ce roman que j'ai vraiment adoré. Benoît Vitkine m'a totalement convaincu dans son propos narratif.
Bienvenue en Ukraine !
C'est le message qui me fut délivré lorsque j'atterris pour la première fois en Ukraine, à l'aéroport de Kiev Boryspil un certain 27 décembre 2014, accueilli par celle qui allait devenir mon épouse...
Elle m'entraîna dès le lendemain sur Maïdan Nezalejnosti, la place Maïdan, la place de l'Indépendance, l'esplanade centrale de Kiev, celle où tout le pays converge à chaque coup chaud... j'y découvrais 109 photos dressées tout autour de la place, des résistants abattus comme des lapins par les snipers russes depuis le toit d'un des grands hôtels qui dominaient la place, l'Hôtel Ukraine, un certain 18 février 2014, lors de la fameuse révolution de Maïdan... Sous chaque photo, des bougies étaient régulièrement allumées. Des femmes pleuraient ici encore, des mères, des soeurs, des épouses... Les larmes me sont venues en imaginant cette résistance d'un peuple si proche géographiquement de nous en 2014 renversant le Président Viktor Ianoukovytch inféodé au pouvoir russe, les larmes me sont venues devant la photo du plus jeune, 17 ans, et du plus ancien, 79 ans... Je croyais entendre à cet instant-là leurs voix, des cris, le bruit des balles, j'ai alors compris que derrière ce pays il y avait une nation incroyable, éprise de solidarité et de résilience. Puis nos pas nous entraînèrent vers la poursuite de cette visite insolite de Kiev, mais là c'est une autre histoire...
Je me suis attaché à ce peuple ukrainien qui m'a adopté. J'avais entendu parler d'un pays corrompu et un soir je me suis retrouvé dans un bus bondé.
À chaque arrêt de station, le passager entrait par l'arrière du bus et tendait un billet pour payer sa place et je voyais son billet passer de main en main jusqu'au chauffeur qui rendait la monnaie et celle-ci refaisait le même voyage en sens inverse... J'ai été épaté par cette scène ordinaire et incroyable. Qui a dit que la corruption était à tous les étages en Ukraine ?
Cette lecture m'a totalement troublé. Elle nous éclaire sur ce qui se passe aujourd'hui dans la guerre d'Ukraine et permet de nous donner quelques clefs de lecture. Puisse la paix revenir au plus vite dans ce pays dont le peuple aspire à une vraie démocratie ! À la paix, à la liberté, à l'amour aussi car des femmes ont fui leur pays, fui des bras amoureux pour se protéger des bombes et de la barbarie des soldats russes...
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Eté 1976. Crimée (URSS).
Olena participe à un camp d'archéologie. L'occasion pour elle de s'éloigner de l'air pollué et de l'atmosphère de tristesse imbibée d'alcool de la très industrielle Zaporoje, située dans la région majoritairement russophone de l'est de l'Ukraine. Elle y découvre le mépris du premier chef de meute, le garçon le plus solide et le plus apprécié du groupe, lorsque, souhaitant se joindre à son groupe, il se moque d'elle : une fille ne saurait se mêler à une équipe d'élite ! Tout ce qu'elle peut alors faire, c'est serrer ses poings dans les poches de son short…

Des années plus tard…
Olena Vladimirovna Hapko se prépare à devenir la présidente de l'Ukraine. Trente jours à attendre avant de diriger le pays. Elle ne compte pas le piller comme tant d'autres l'ont fait avant elle. Non ! Elle compte bien prendre les choses en main et gouverner, enrichir l'Ukraine. Ceux qui se tiennent dans cette salle, ceux qui l'ont aidée à se faire élire, tous ces gens qui s'imaginent qu'elle les nommera à des postes où ils pourront continuer à s'engraisser de plus belle vont devoir rentrer dans le rang et se faire oublier… Elle rassemble les plus puissants d'entre eux et leur annonce qu'ils vont devoir réfréner leur appétit… La Chienne se rend compte qu'elle a sous-estimé les loups… Elle n'est pas prête à les écraser…

Critique :

Benoit Vitkine est fait pour être romancier. Ce journaliste qui a reçu le prix Albert Londres, nous convie à un festin de corruption, de manipulation, de trahison, qui pourrait bien nous aider à comprendre comment se sont bâties d'immenses fortunes en Ukraine (comme en Russie et dans les autres républiques de l'ancienne URSS). La mortelle lutte pour le pouvoir qui s'y déroule renverrait presque Machiavel jouer dans le bac-à-sable de l'école maternelle.
Il nous narre aussi l'immense désillusion vécue par ceux qui aspiraient à la chute de l'URSS, comme Valeri, le mari d'Olena Hapko, plutôt poète (et grand alcoolique), qui s'est complètement effondré, incapable de s'insérer dans cette nouvelle société faite pour ceux qui avaient les crocs les plus longs et qui causaient les morsures les plus lourdes de conséquences. Olena, elle, avait de l'énergie à revendre. Très vite, elle va adopter les lois du commerce et du capitalisme, se rendant en Turquie pour y acheter tout ce qui faisait rêver les Soviétiques : jeans, consoles de jeu, baskets, … Par nécessité, elle est obligée de s'allier avec une partie de la pègre.

Elle n'est pas encore présidente que déjà elle est convoquée par l'ambassadeur de la Russie qui lui fait écouter son président. Celui-ci s'exprime par énigmes. L'ambassadeur les décrypte. Les Russes veulent qu'elle comprenne bien qu'elle est à leur botte, l'Ukraine n'est qu'un vassal, rien de plus ! Madame-la-pas-encore-Présidente-en-fonction va-t-elle se soumettre à la bonne volonté du Maître du Kremlin ? Il faut dire qu'avec le gaz russe, dont l'Ukraine a grandement besoin, il dispose d'une arme très efficace… Mais il n'y a pas que ça ! La future présidente a fait des affaires avec les Russes. Ceux-ci ne lui avaient guère laissé le choix. du coup, ils disposent de preuves qui vont leur permettre de la faire chanter…

Le récit fait des allers-retours dans le temps pour ménager le suspense et permettre au lecteur de découvrir comment Olena Hapko a réussi à accéder à la présidence de l'Ukraine, et quelle est sa personnalité.

N'hésitez pas à suivre les trente jours qui séparent Olena Hapko de la présidence de l'Ukraine. Un thriller politique vraiment prenant et qui nous en apprend beaucoup sur la personnalité du peuple ukrainien.
Si vous voulez avoir un aperçu de ce qui s'est passé après la chute de l'URSS (et peut-être de ce qui se passe maintenant) plongez-vous sans tarder dans « Les Loups » de Benoît Vitkin.
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2012 : Olena Hapko vient d'être élue Présidente de l'Ukraine.
C'est la consécration de l'ascension d'une femme ambitieuse qui a construit sa carrière, son empire sur les ruines de l'URSS effondrée au début des années 1990, une carrière construite au milieu des loups que sont les oligarques russes bien sûr mais surtout ukrainiens tous occupés à dépecer les restes de l'ex-République soviétique pour s'enrichir toujours plus, la carrière de celle que dans le milieu on surnomme la Chienne.
Elle a 30 jours avant son investiture pour constituer le cadre de ce qui sera sa politique de réformes, pour confirmer des soutiens qu'elle pense sûrs, pour affirmer ceux qu'elle estime trop fragiles.
Tous les coups sont permis dans ce parterre de requins…
Quand la Russie lui fait savoir qu'elle va révéler à l'opinion publique ukrainienne son rôle dans une vieille affaire de revente d'un des fleurons de l'industrie nationale à moins qu'elle ne renégocie les contrats gaziers aux conditions russes, Olena décide de faire comme elle a toujours fait, se battre, contre-attaquer, couper l'herbe sous le pied russe qui menace son mandat.
Tous les leviers vont être actionnés : menaces, pressions, gros bras, vieux bandits rappelés près du pouvoir, Olena met tout en oeuvre pour échapper au chantage.
Mais un grain de sable grippe la mécanique… ou plutôt un noyau de cerise.
Voici un très bon roman qui résonne étrangement en ce moment. On pénètre dans les arcanes de ces pouvoirs fondés sur des actes criminels et qui poursuivent leurs manoeuvres comme bon leur semble sans tenir aucun compte de leur population. Calculs, manipulations, menaces plus ou moins voilées, violences, corruption à toutes les échelles de la société, tout cela est bien pourri. Et si cela n'aide pas pénétrer exactement ce qui se passe réellement en Ukraine aujourd'hui cela permet de comprendre que les puissants du pays ne sont pas exempts de toute responsabilité.
Pauvres, pauvres Ukrainiens !

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Roman magistral paru - ironie du calendrier - quelques jours seulement avant l'invasion armée de l'Ukraine par la Russie. "Les loups" est une interprétation libre mais très bien documentée du "marécage politique ukrainien", sujet que Benoît Vitkine maîtrise à fond. Marécage qui n'a rien à envier à celui de son voisin et agresseur russe !

"Les loups"... ainsi sont désignés les oligarques multimilliardaires qui gangrènent le pays, s'octroyant les plus belles "parts du gâteau". A la tête des Loups, une louve, appelée "La Chienne" dans le milieu, Olena Hapko, personnage de fiction qui vient d'être élue démocratiquement à la tête de l'Etat sauf que ses mains ne sont pas blanches ; celle qui s'est hissée au sommet de la société par des méthodes de louve acquises au milieu de la meute aura-t-elle assez de discernement pour mater cette dernière et pour s'élever au-dessus du système de corruption ? La pieuvre lâche rarement sa proie.

Benoît Vitkine prévient son lecteur : "Olena Hapko n'existe pas. En tout cas, elle ne porte pas ce nom. En tout cas, elle n'est jamais devenue présidente de l'Ukraine. [...] Les Loups n'existent pas davantage, pourtant leur emprise sur l'Ukraine est indéniable. Ils contrôlent les médias de ce pays, son industrie, ses députés." Celui qui a obtenu le Prix Albert-Londres pour son polar "Donbass" sait très bien de quoi il parle. J'ai retrouvé dans ce roman toute la violence, toute la complexité, toute la débrouillardise, toute l'absence de formalisme et toute la désespérance des Slaves, de ceux que j'ai pu rencontrer ces dernières années lors de voyages réguliers en Russie. le roman est juste, réaliste et percutant ; pour cette raison, il est perturbant.

Lire "Les loups" - publié la veille du conflit russo-ukrainien - c'est s'enrichir d'un éclairage complémentaire pour mieux comprendre la crise géopolitique dramatique qui a éclaté sous nos yeux incrédules d'Occidentaux.


Challenge MULTI-DEFIS 2022
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J'avais tellement apprécié le regard de Benoît Vitkine sur l'Ukraine et ses habitants à travers son roman policier Donbass que je n'ai pas tardé à lire celui-ci, bien qu'il soit diamétralement opposé ! C'est un thriller politique qui se déroule dans les hautes sphères du pouvoir ukrainien.

Nous allons suivre la nouvelle présidente de la république Olena Hapko les 30 jours qui précèdent son investiture. Oligarque elle s'est hissée au pouvoir avec l'aide d'autres oligarques mais soutenue par une partie de la population qui l'a cru seule capable de nettoyer le milieu financier et améliorer leurs conditions de vie, étant elle-même d'un milieu ouvrier de province. La Russie la considère comme une épine dans le pied en l'empêchant de continuer à mettre la main sur toutes les richesses et commerces lucratifs.

Beaucoup de cynisme dans ce roman, où personne n'est épargné. Petit à petit nous comprenons que la présidente prend une revanche sur le passé et n'a pas hésité à faire autant de malversations et utiliser les mêmes actions expéditives que les autres hommes d'affaires tout en ayant un regard critique et réaliste sur eux.

Même si les personnages ne sont pas réels il bien évident que comme journaliste spécialiste des pays de l'ex-URSS, l'auteur c'est inspiré de faits et de pratiques réels qui se sont largement répandues dans les années 90 et j'aime toujours autant sa manière d'écrire même si on ne se sent pas très propre en refermant le livre ! Ca poisse, ça pue, ça énerve !

Je ne peux que vous recommander de le lire, il ouvre quelques portes de la compréhension sur la politique et l'économie de ce pays !

Challenge Mauvais Genre 2022
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Lu en quelques heures d'avion et de train, l'ouvrage du journaliste Benoît Vitkine est passionnant et inclassable. Une fiction politique rétro-futuriste ??
On pense à la chanson bien sur: Les loups sont entrés dans Paris
"Cent loups, ouh-ouh,ouh-ouuh
Cent loups sont entrés dans Paris
Soit par Issy,soit par Yvry
Cent loups sont rentrés dans Marioupol
Cessez de rire, charmante Elvire."
Ici, les loups ne sont pas russes, enfin pas complétement,pas encore...
Les loups, ce sont des oligarques ukrainiens en poste depuis 15 ou 20 ans.
Je reviens à la chanson:
"C'était un vieux loup des Carpates
Qu'on appelait Carêm'-Prenant
Il fit faire gras à ses enfants
Et leur offrit six ministères "
Carem, c'est peut-être Iossif Kozilevski, l'ancien gangster devenu l'un des hommes les plus riches d'Ukraine.
Benoît Vitkine tisse, en fin connaisseur des questions russo-ukrainiennes( il fut correspondant du Monde à Moscou),le récit palpitant des 30 jours précédant l'investiture d'Olena Haptko , la nouvelle présidente de l'Ukraine. Il entremêle ainsi 2 fils narratifs : la course contre la montre d'Olena , définitivement seule et piégée par les russes et le récit édifiant des secrets terribles de son irrésistible ascension .
L'action se déroule en juin 2012......
Les personnages, taillés à la serpe kolkhozienne,sont caricaturaux mais précise l'auteur ( et on le croit volontiers ) "sont inspirés de personnalités réelles, parfois de croisements". Il dit aussi que le tableau qui est fait de cette époque se veut réaliste.
Brrrrr, cela fait froid dans le dos.
Et Benoît Vitkine de rajouter (le livre a été écrit avant l'offensive russe): "Depuis des changements ont été amorcés.Ils sont lents."
J'ai appris une foultitude de choses à la lecture de ce livre bizarrement classé dans la catégorie des romans policiers .
Bon, on ne sait pas bien où le caser, mais il dit l'essentiel de la situation politique de l'Ukraine dans les années 2010.
Il nous fait voyager aux confins de la Géorgie et de la Transnitrie, dans d'improbables trains ou de gros 4X4 Mercedes.
Olena Hapko est tantôt une Chienne, tantôt la Princesse de l'acier. C'est surtout une femme sans scrupule qui s'invente un roman réformateur pour couvrir son ambition dévorante. Difficile de l'aimer. Et pourtant.....
La force du roman, une fois tissé, est étonnante .
Car sur cette affreuse nappe géopolitique surgissent quelque figures admirables qui forcent l'optimisme. Car la véritable histoire ukrainienne l'a prouvé : une autre voie a été tracée. Elle passe par Maïdan.
J'en ai déjà dit beaucoup et préfère revenir à la chanson,et vous laisse en compagnie de Reggiani.:
"Dans ce foutu pays
Jusqu'à c'que les hommes aient retrouvé
L'amour et la fraternité, alors
Les loups sont sortis de Kiev
J'aime ton rire, charmante Elvire"
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Benoît Vitkine, je l'ai découvert l'an dernier, dans les premiers jours de l'invasion de l'Ukraine. J'ai tout de suite eu envie de découvrir ses livres mais le thème de celui qui venait tout juste de sortir, Les loups, ne me tentait pas du tout. Alors j'ai lu Donbass, que j'ai beaucoup apprécié. Mais lire un roman sur la corruption, les magouilles économiques, ça me rebutait, j'avais l'impression que je n'y comprendrais pas grand-chose, que c'était trop rébarbatif pour moi, pas du tout ma zone de confort même si j'aime et L Histoire, et les polars. Ce monde où il n'y a aucune personnalité politique qui ne soit un homme d'affaires ( ce qui est fréquent dans les pays de l'ex-URSS,), avec tous le même type d'intérêts et où, du coup, la corruption est plus aisée. Et au début, effectivement, j'ai eu du mal, le personnage d'Olena m'était antipathique, quant aux autres, ils étaient pire, à part peut-être le jeune Ilia, plus complexe, plus nuancé. Mais quel bourbier nauséabond, quel panier de crabes, franchement, le seul personnage qui m'attire, c'est Valeri, l'ex-mari d'Olena ! J'ai peiné à peu près jusqu'au quart du livre, jusqu'au flash-back en 1993. Là, en quelques pages magistrales, Benoît Vitkine dresse le portrait parfait de la chute de l'URSS par les yeux d'Olena. Difficile de faire mieux. Comme dans Donbass les informations historiques sont remarquablement intégrées dans le récit. A partir de là je suis accrochée, je sais que des pages comme ça il va y en avoir d'autres. Les flash-backs permettent de comprendre sinon la personnalité d'Olena, du moins sa trajectoire personnelle et surtout l'évolution de l'Ukraine. On comprend que les trajectoires de la Russie et de l'Ukraine sont relativement similaires jusqu'à ce que Poutine sortent les oligarques du jeu politique à son profit, empêchant toute alternance. Comme le dit l'auteur dans sa postface c'est le portrait fictif de l'Ukraine de 2012 et depuis, des changements, lents, ont eu lieu. J'ajouterais que l'année est bien choisie (pas d'élections en Ukraine mais en Russie, si, et très contestées) car c'est à partir de ce moment-là que la Russie a aussi connu des changements, mais dans l'autre sens. Ce roman tient de plus en plus en haleine, d'autant que des personnages plus sympathiques font leur apparition. Par rapport à Donbass où l'intrigue était un prétexte, ici tout sert le propos, y compris le choix de Gouliaï-Polie, village natal de Makhno. La structure est totalement maîtrisée pour arriver au jour de l'investiture. Jamais je n'aurais imaginé apprécier autant un thriller politique centré sur le monde des affaires.
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