Ce tome comprend la première histoire consacrée au personnage d'Harry Exton, écrite par John Wagner, dessinée, encrée et mise en couleurs par
Arthur Ranson. Il comprend les épisodes parus en 1992, dans les numéros (progs) 780 à 791 du magazine "2000 AD". Cette histoire a été suivie par The confessions of Harry Exton (1994) et Harry's game (aussi appelé "Killer killer", 2001), toujours réalisés par John Wagner et
Arthur Ranson. Il est paru une quatrième histoire Hitman's daughter par John Wagner et
Frazer Irving (2007).
Dans une ville non identifiée d'Angleterre, un homme grand et massif avec du sang dégouttant de son bras gauche sonne à la porte du docteur L.A. Spalding. Ce dernier (un psychiatre) se rend compte de l'état de détermination d'Exton, et il renvoie Janice, sa secrétaire. Il indique calmement à Exton que ce dernier a besoin de soins médicaux. Mais Exton s'installe dans un fauteuil et lui raconte comment il s'est retrouvé à participer au "Jeu" (the Game). Carl, un collègue tueur à gages, lui en avait parlé. Des individus anonymes se faisant appeler des Voix parrainent des tueurs à gages, et organisent des duels entre eux, donnant lieu à des paris mettant en jeu des sommes rondelettes. Harry Exton a fini par participer à l'un de ces jeux, et par être patronné par une Voix. Pour son premier jeu, il est attaqué de nuit dans sa propre demeure (une ferme en grande banlieue de Londres), alors qu'il n'est pas armé.
Avec cette histoire, John Wagner et
Arthur Ranson invitent le lecteur dans un thriller simple et direct, avec des duels en marge de la société pour un jeu pervers, à base de affrontements entre professionnels. le lecteur se doute dès le départ de la raison qui pousse Exton à tout raconter à Spalding. Wagner a choisi un dispositif narratif simple et efficace : Exton raconte son histoire, ce qui permet au lecteur de découvrir les événements au fur et à mesure dans un ordre chronologique basique. le profil psychologique d'Exton n'est guère développé (il est plutôt du genre taiseux et professionnel), et son passé n'est pas évoqué. Son amitié avec Carl est présentée comme un état de fait, sans non plus exposer comment elle s'est développée.
Le récit décrit donc plusieurs affrontements s'inscrivant dans le Jeu, ainsi que l'évolution de la position d'Harry Exton qui souhaite pouvoir décrocher, option qui n'est as prévue dans les règles. Dès la première scène, le lecteur pénètre dans le monde d'Harry Exton avec un niveau d'immersion exceptionnel. Cela tient à la fois à l'écriture sèche et concise de Wagner, et aux dessins naturalistes d'
Arthur Ranson. Dès la séquence d'ouverture, il est visible que Wagner et Ranson ont étroitement collaboré pour que les images portent la majeure partie de la narration, et que les mots (dialogues ou pensées du personnage principal) soient canalisés et limités à l'indispensable.
Dans ces pages,
Arthur Ranson adopte une approche très méticuleuse, proche du photoréalisme, avec un usage savant des aplats de noir. Il intercale des plans en vue subjective avec des plans mettant en scène les personnages. C'est ainsi que les 2 premières cases montrent le reflet de la demeure du docteur Spalding sur un plan d'eau, puis la demeure en elle-même. Ce dispositif est repris pour montrer le cours d'eau à proximité de la ferme d'Exton et le reflet du bâtiment à sa surface. Au fil des séquences, le lecteur est ainsi amené à contempler des éléments superflus dans la description de l'action, mais ayant attiré l'attention d'Exton, ce qui donne une indication sur son état d'esprit. Il pourra s'agir du bouquet de fleur sur le manteau de la cheminée du cabinet de Spalding, du superbe poisson exotique de son aquarium, d'une gargouille sur la façade d'un manoir, ou d'un radiateur électrique décoré d'un feu de cheminé factice (une spécialité anglaise). Dans d'autres séquences, Wagner et Ranson utilisent un élément de la nature environnante comme commentaire métaphorique : une araignée tissant sa toile sur une branche d'arbre devant une fenêtre de la ferme alors qu'Harry accepte le marché de la Voix, ou encore un blaireau mordant un serpent alors qu'Exon négocie son retrait des affaires avec la Voix.
L'usage de ces éléments subjectifs ou métaphoriques reste rare, la majorité des séquences étant axée sur du concret. Dès la première séquence d'action (le premier Jeu), le lecteur comprend que Ranson et Wagner ont conçu la narration de telle sorte à composer un rythme de lecture particulier. Une bande de 3 cases joue sur la similitude des formes entre la pleine lune, le cadran rond d'un réveil, et le cadran rond d'un ancien modèle de téléphone. La case en dessous permet de constater la solitude du corps de ferme et la relative obscurité de la nuit éclairée par la lune. Loin de montrer des prouesses exceptionnelles, ou une violence séduisante, les pages suivantes montrent l'aspect prosaïque du duel qui s'engage, et les tâtonnements des 2 opposants, l'un cherchant avec précaution sa proie, l'autre profitant de l'avantage que lui donne la connaissance des lieux. Il n'y a pas de glorification de la violence, ou de voyeurisme sadique. Il y a juste une description factuelle et savamment composée.
Arthur Ranson utilise les aplats de noir avec adresse, il renforce chaque surface avec une texture à base d'une myriade de petits traits secs, et il choisit avec soin chaque accessoire pour rendre l'authenticité de cette ferme.
Avec ce premier tome, le lecteur découvre un personnage principal exerçant le métier de tueur à gages (button man) dans des conditions jamais exposées, qui se retrouve à participer à des Jeux (de type duel organisé) pour le bon plaisir de commanditaires anonymes, permettant de gagner des sommes faramineuses. L'intrigue globale est assez mince, mais la sophistication de la narration positionne le lecteur au plus près d'Harry Exton, tout en lui laissant la latitude pour effectuer ses propres observations. Plus qu'une simple intrigue policière ou un thriller, il s'agit d'une expérience sensorielle peu commune.