Ce tome est le premier d'une nouvelle saison consacrée à Stephen Strange, faisant suite à Doctor Strange Legacy T02 (
Damnation) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2019, écrits par
Mark Waid, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Jesús Saíz qui a également réalisé les couvertures. Il contient également les couvertures variantes de
Chris Bachalo,
Declan Shalvey,
Julian Totino Tedesco.
Il y a 7 ans, Stephen Strange luttait contre une créature appelée X'axal, se qualifiant d'ancien dieu dans une dimension spirituelle. Il utilise les flammes de Faltine, les visions de Valderous, sa cape de lévitation, l'Oeil d'Agamotto. Afin d'empêcher X'axal de passer dans le monde réel, il réalise des points de suture sur la brèche déchirant la réalité. Il avait alors ressenti le plein pouvoir dont il disposait et avait pleinement assumé son statut de sorcier suprême. Au temps présent, mardi, Stephen Strange sent qu'il devient aveugle de l'oeil gauche, n'étant plus capable de percevoir les créatures magiques avec. 2 jours plus tard, le jeudi, son oeil droit perd aussi la capacité de percevoir les éléments magiques, à tel point que les pages de ses grimoires lui semblent toutes vierges. Vendredi, tous ses objets magiques ont perdu leur pouvoir, et sont devenu autant de babioles inoffensives. Quand il se lève le dimanche, sa maison est devenue entièrement normale de la cave au grenier. Strange se rend compte que la magie a entièrement disparu, qu'elle n'a pas simplement diminué d'intensité. Il n'a aucune idée de la façon de la retrouver.
Un mois plus tard, Stephen Strange n'a toujours par retrouvé la moindre once de magie. Il se résout à prendre conseil auprès d'un ami plutôt caustique : Tony Stark. Celui-ci écoute son ami et a effectivement un conseil à lui donner. Il estime que les batteries de Strange sont à plat, mais qu'il n'y a rien d'impossible. Si Stephen Strange n'est plus capable de passer dans une autre dimension pour se ressourcer, il lui reste tout le cosmos pour rechercher d'autres sources de magie. Strange trouve l'idée complètement idiote car il n'a rien d'un explorateur spatial ou d'un héros cosmique comme Rocket Raccoon. Stark lui demande s'il n'a vraiment rien à perdre, s'il peut vraiment se permettre de renoncer à être l'ultime défenseur des êtres humains contre les invasions magiques, s'il peut envisager de laisser des milliards de personnes sans protection. Stephen Strange se retourne vers son ami et accepte de prendre le risque du voyage dans l'espace. Alors qu'il suit l'itinéraire préprogrammé, une météorite heurte son vaisseau et il doit se poser en catastrophe sur la planète Gryndan.
C'est la deuxième fois que
Mark Waid s'occupe de la destinée de Stephen Strange, après Strange: The Doctor is Out (2009) avec
Emma Rios. Lorsqu'il feuillète ce premier tome, le lecteur est frappé par la beauté plastique des pages réalisées par
Jesús Saíz. du coup, il se dit que le scénariste lui a peut-être concocté une histoire sur mesure, comme il avait fait pour
Chris Samnee avec les 12 épisodes de Black Widow en 20116/2017. La deuxième chose étonnante est que
Mark Waid fait un usage continu de ce qui s'apparente aux observations d'un narrateur omniscient, évoquant ce qui se passe, ce qui arrive à Strange. Il ne s'agit pas d'une écriture vieillotte, mais d'une approche plus littéraire, guère en vogue dans la deuxième moitié des années 2010 pour les comics. La lecture en est un peu plus longue, mais pas lourde pour autant. Les cellules de texte parlent de Strange comme du magicien, évoquant ce que le lecteur voit avec un peu de recul, ce qui fait qu'elles ne paraphrasent pas ce que montrent le dessin, et qu'elles apportent une forme de prise de recul évoquant la narration d'un conte. Cela se marie bien avec la nature du récit : le magicien qui a perdu sa magie et qui se lance dans une quête surprenante pour la retrouver. La quête prend une forme inattendue parce qu'il se tourne vers un ingénieur de génie pour utiliser une solution technologique, plutôt que surnaturelle.
Le lecteur présuppose que le scénariste a ainsi orienté son récit pour permettre à l'artiste de dessiner des éléments qui lui tiennent à coeur. Dès la première page, le lecteur est frappé par le soin apporté à la mise en couleurs.
Jesús Saíz ne se contente pas de rendre compte des couleurs d'une manière naturaliste, ni même d'utiliser l'infographie pour rehausser les reliefs de chaque surface et pour rendre compte de l'ambiance lumineuse : il est au niveau de la peinture directe. Il ne le fait pas de manière systématique, mais de manière sporadique : en fonction de la séquence, il peut être au niveau d'un excellent metteur en couleurs, ou passer dans le registre de la couleur directe. le lecteur note également qu'il sait faire bon usage des effets spéciaux rendus possibles par l'infographie, quand la situation le justifie. Il peut ainsi apprécier le contraste entre une photographie retouchée pour le monde réel contre laquelle se détache la plaie béante vers l'univers de X'axal, les effets de nuage dans l'atmosphère de la planète Gryndan, les écrans holographiques tactiles semi-transparents sur lesquels appuient les Gryndans faisant des expériences sur Strange, les figures géométriques quand Kanna utilise la magie, l'incroyable texture des nuages de fumée dignes de celles crées par
Richard Corben, les flammes générées par le Super-Skrull, la chaleur émanant des installations de l'atelier du nain de Nidavellir, la projection holographique de Kanna.
En outre,
Jesús Saíz réalise des dessins à la finition très léchée, donnant parfois une impression quasi photographique, avec un travail très sophistiqué sur l'éclairage. Chaque personnage est peaufiné, qu'il s'agisse d'un de premier plan, ou d'un qui n'apparaît que le temps de quelques cases. Stephen Strange donne l'impression d'être un homme d'une trentaine d'années, bien mis de sa personne, vif et alerte, avec des expressions de visage correspondant à celles d'un adulte. Tony Stark a perdu de sa morgue et est moins réussi. Kanna (Pkzkrfmknna) a une allure extraterrestre même si sa morphologie reste humanoïde. Roxnor le purificateur dispose d'une armure très seyante, contenant son énergie que le lecteur peut voir irradier par sa tête nue. Bats, le chien fantôme, ressemble à un vrai chien, sauf en ce qui concerne son halo. Tout du long de ce tome, le lecteur peut se projeter dans des environnements impressionnants par leur texture et leur conception : le bar où Strange rencontre Stark, le petit vaisseau spatial à bord duquel Strange voyage, la cité capitale des Gryndans, le terrain rocheux sur lequel Strange affronte Roxnor, l'atelier du nain Eoffren ou encore le vaisseau amiral de Roxnor. le plus bel environnement correspond à la planète des skrulls : à l'évidence,
Waid et Saíz se sont coordonnés dans le détail pour imaginer à quoi pourrait ressembler l'environnement d'une planète peuplée par des métamorphes, et le résultat dépasse les espérances.
Le lecteur est donc étonné d'entrée de jeu par la forme de ce comics, aux illustrations soignées et peaufinées (il se demande combien de temps
Jesús Saíz peut passer sur une planche, même une où les arrière-plans ne comportent que des camaïeux), et par les cellules de texte contenant les observations d'un narrateur omniscient. Il est tout aussi surpris par la tournure des événements : Stephen Strange n'est plus capable d'accéder à la magie, encore moins de s'en servir, ce qui constitue une prise de risque significative par rapport à l'horizon d'attente d'un lecteur venu découvrir les aventures du sorcier suprême. Il est également décontenancé par l'idée que Strange se lance à la recherche de la magie en utilisant des outils technologiques d'anticipation. Il sent bien que
Mark Waid joue avec le fait qu'une technologie de pointe peut s'apparenter à de la magie pour ceux qui ne savent pas comment elle fonctionne (mais comment est-il possible d'obtenir des millions de réponses pertinentes en une fraction de seconde sur internet ?). Par contre, il n'éprouve pas de difficulté à suivre les péripéties car le récit est très linéaire, et la voix de commentaire apporte les informations nécessaires de manière simple et directe.
Le lecteur suit donc très volontiers Stephen Strange dans ses tribulations sur des mondes extraterrestres. L'idée de Tony Stark finit par faire sens, puisque Stephen Strange récupère des objets magiques afin de se réhabituer en douceur à la magie. Il est aidé par une charmante extraterrestre Kanna (Pkzkrfmknna) pas toujours très commode. Il doit faire des choix moralement compliqués et payer le prix de ces choix.
Waid évite de s'appesantir sur le concept un peu cliché de la magie comme une forme de science pas encore comprise, et emmène Stephen Strange dans une autre direction quand il rencontre le nain Eoffren. Il trouve une explication rationnelle et pertinente à l'idée que Stephen Strange puisse disposer d'une arme bien à lui s'apparentant à une épée, prouvant ainsi la capacité du scénariste à mettre en scène la magie, et son degré d'implication dans ces aventures.
Une série de plus sur Doctor Strange, après celle de
Jason Aaron et celle de
Donny Cates : pourquoi pas ? Mais présente-t-elle un intérêt autre que celui d'avoir de nouveaux épisodes pour un personnage devenu populaire au cinéma ? le lecteur obtient sa réponse dès les premières pages, tout d'abord avec les dessins magnifiques et peaufinés de
Jesús Saíz, puis avec une intrigue sur un bon rythme, et des idées intrigantes, nouvelles sans révolutionner le genre.