Pour celui qui souffre de démence, toute sa vie est une salle d'attente dans laquelle il ne se souvient pas de ce qu'il attend et son tour ne vient jamais.
Un prospectus ? Quel dealer distribue des prospectus ? Je me tourne vers Jamie. Il est imperturbable, il n'a jamais l'air dérouté, mais en même temps, on dirait qu'il ne comprend jamais très bien ce qui se passe autour de lui. Peut-être qu'il devrait être écrivain, en effet.
C'est le supplice ultime : voir des gens plus bêtes que soi faire fortune.
(...) la salle d'attente est jonchée de numéros de Forbes, Business Week et Investors Daily: de la pornographie de crise remplie de langage obscène emphatique qui parle de « Bonnes occasions dissimulées dans les décombres », de courbes qui explosent, « Comment gagner de l'argent pendant un krach », avec des photos d'experts en investissements au front luisant et aux yeux exorbités, en quête d'extase dans cette ambiance surchauffée.
Précisément;, voici la chronologie des événements :
Années 1950 : la télé arrive et il s'avère que la plupart des gens préfère recevoir les nouvelles par un type avec des cheveux en plastique moulé, qui fume une cigarette.
Années 1960 : l'évolution et de meilleures habitudes alimentaires font qu'un premier père cesse de lire le journal aux toilettes...comme le premier poisson qui marcha sur terre.
Années 1970 : la littérature et la presse atteignent leur apogée juste au moment où, ironie du sort, la lecture commence à décliner. (A noter que le type qui lit les nouvelles à la télé ne fume plus sur le plateau).
Années 1980 : l'arrivée de la télévision par câble vole de la publicité aux quotidiens; très vite des chaînes entières diffusent des infos vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec trois composantes principales : (1) des reportages sur des vedettes, (2) des poursuites entre policiers et criminels filmées d'un hélicoptère et (3) des journalistes politiques engagés qui se crient dessus.
Années 1990 : l'arrivée d'internet vole encore plus de publicité et oblige le dernier lecteur de moins de quarante ans à résilier son abonnement au journal afin d'avoir plus de temps pour se masturber devant des sites pornos.
années 2000 : ebay et craiglist se liguent pour tuer les petites annonces qui constituaient en réalité l'épine dorsale financière des quotidiens. La récession qui frappe les annonceurs achève froidement le travail.
aujourd'hui : après une longue période de panique, les patrons de presse rivalisent d'idées stupides pour faire fuir les rares lecteurs qu'ils avaient encore, ils accélèrent leur mort imminente, prévue maintenant aux alentours de 2015.
"Tu n'as jamais l'impression de grandir plus vite que ta putain de vie?"
Voilà un écrivain.
Et je me demande si nous ne vivons pas comme l'eau
à la recherche d'un sol plat
d'un lit bas
jusqu'à ce qu'un jour nous nous asséchions.
Je me demande si un ruisseau prend conscience
qu'il a creusé sa propre tombe.
Peu-être sommes-nous attirés par notre propre destruction, entraînés vers nos propres 7/11?
De retour dans la voiture, je ris de nouveau. Ca paraît toujours étrange quand, dans les films, les fous démoniaques éclatent de rire sans raison, mais je m'aperçois que lorsque vous êtes pris dans les griffes de l'obsession, vous riez véritablement comme un dément.
Un homme qui ferait manger de la colle à un cheval
marchant sur ses pattes arrière
et donnerait l'impression que l'animal parle
pourrait lancer un boulet de canon.