Après avoir franchi la rivière étroite, il s’arrêta. Derrière lui, un mince liséré de soleil flamboyait à l’horizon. Devant lui commençait la plaine où s’étendait son ombre, longue et plate, aux bords brisés par les brins d’herbe fraîche. (p. 296.)
La réalité du voyage résidait dans les détails de routine : les nuits passées dehors, le réveil au petit matin, le café noir bu dans des tasses brûlantes en fer-blanc, les couchages chargés sur des chevaux de plus en plus fatigués, le mouvement monotone et abrutissant au cœur de la prairie immuable, l'eau donnée aux chevaux et aux bœufs à midi, les biscuits durs et les fruits secs, la reprise du voyage, l'installation à tâtons du campement dans le noir, les quantités de haricots fades et de lard englouties voracement devant le feu vacillant, le café une fois de plus, et la nuit. Ceci devint un rituel, chaque fois un peu plus dénué de sens, mais un rituel qui donnait néanmoins à sa vie sa seule structure.Il avait l'impression d'avancer laborieusement, centimètre par centimètre, au cœur de l'immensité de la prairie, sans avancer dans le temps. Le temps semblait se mouvoir avec lui, nuage invisible cramponné à chacun de ses pas.
Il comprit qu'il n'avait pas fuit parce qu'il était écœuré par le sang, la puanteur et les entrailles visqueuses. Il comprit que ce qui l'avait rendu malade, c'était le choc de voir le bison, si fier et noble quelques moments auparavant, désormais nu et impuissant, morceau de viande inerte qui se balançait, grotesque et moqueur, devant ses yeux, dépouillé de son identité, ou plutôt l'identité qu'Andrews lui avait prêtée. Cette identité avait été tuée ; et Andrews avait senti dans ce meurtre la destruction de quelque chose en lui, auquel il ne parvenait pas à faire face.
Il aspirait à retrouver la source et l’essence du monde, un monde qui par peur semblait se détourner de sa source alors même que l’herbe de la prairie autour de lui plongeait ses racines fibreuses dans l’humidité sombre et riche, dans la nature sauvage, se régénérant ainsi année après année.
Le rugissement résonna, intense et creux dans ses oreilles ; il détourna le regard du coin de terre qui tanguait devant lui pour le fixer sur l’eau. Profonde mais transparente et brun-vert, elle s’écoulait en cordes épaisses et en angles drapés, dont les formes d’une complexité incroyable changeaient sans cesse sous ses yeux. Etourdi par ce spectacle, il se concentra de nouveau sur sa destination. (p. 242.)
La félicité existe chez tout être vivant, ainsi le bétail couché semble habité de grandes et paisibles pensées.
(Ralph Waldo Emerson, en épigraphe de Butcher's Crossing)
Tout le troupeau ? Quelle connerie. Qu’est ce que tu cherches à prouver ? Tu ne peux pas flinguer tout les bisons du pays, bordel.
Avec le temps, on perd un tas d'habitudes. Allez, on y va