Missing : New York

Assis là, je mangeai tout en regardant New York déambuler devant moi : les amoureux et les esseulés, les vieilles dames frêles et les ados rapides, les gay sveltes et les danseuses vêtues de noir, cheveux méchamment plaqués contre le crâne, les italiens en costumes de soie noire, les portoricaines en robe d’été, les indiennes en sari. Je vis des espoirs et des ambitions, des rêves et des peurs, de l’énergie et de la lassitude, de la pureté et de la corruption, de la rédemption et de la foi, des qui s’étaient perdus et des qui s’étaient sauvés .

- Voilà ce que je te propose, dis-je à Kelly. Je te donne le signalement, des photos et une courte interview. Tu diffuses les photos aussitôt pendant un flash infos et les deux journaux du soir. En échange, tu ne t’approches pas de la maison. – Tu mettras la mère à ma disposition ? – Ca dépend d’elle. Je voyais le tableau. Nous l’avons tous vu – trop souvent. Les parents angoissés devant les caméras et les micros, en larmes, lançant un appel à la communauté – et au ravisseur. S’il vous plaît, laissez notre enfant rentrer à la maison auprès de nous. S’il vous plaît, laissez-la rentrer à la maison. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’est que, par définition, un sociopathe est incapable de ressentir la douleur d’autrui. Ou pire, ça l’éclate.

Hurley était un de ces gars d'origine irlandaise dont le père et le grand-père avaient été flics, dont les oncles étaient flics et dont le frère était flic. Mais pas son autre frère : lui, il était pompier.

Contrairement à ce qu’on voit dans les films ou lit dans les livres, la plupart des enfants enlevés sont des cibles d’opportunité. Le plus souvent, les assassins ne sont pas des prédateurs – ils ne repèrent pas soigneusement leur proie, ne la suivent pas et ne planifient rien avant de passer à l’acte. Leur préparation est intérieure – quoi qu’il se joue dans leur tête. Appelons-les des « tueurs en attente », si vous préférez. Puis un jour, ils voient une opportunité et la saisissent. C’est ce qui les rend si difficilement repérables : ils agissent au hasard. Ce que je vais dire va vous paraître évident, poursuivit-elle, mais les ravisseurs d’enfants sont ce que les manuels appellent des « marginaux ». Il est vrai qu’enlever et tuer un enfant est très en marge de la société, mais les textes décrivent le ravisseur avant le passage à l’acte. Le profil – quoi que vous puissiez penser de ce concept, il s’agit de cela – est étonnamment constant : deux tiers de ces types sont blancs ; âge moyen : vingt-sept ; trois quarts d’entre eux ont entre vingt et un et quarante ans. Donc, le « vieux pervers », on laisse tomber.

L’espoir ne meurt pas d’un seul coup, comme une branche qui se casse sous le poids de la neige.
Il se flétrit comme une plante qui meurt de mort lente et sale sous la sécheresse.
Il meurt déshydraté au terme d’une longue journée de recherches vaines – pas de petite fille, pas de vêtements, et encore moins de petit cheval.
Il meurt à la vingt-quatrième heure qui sonne comme autant de coups de marteau dans la poitrine.
Il meurt pendant qu’on regarde Cheryl Hansen lancer ce fameux « appel » qu’on n’aurait jamais voulu voir. Pendant qu’on la voit, campée derrière la rangée de micros et devant un agrandissement d’une photo de son enfant disparue, supplier un sociopathe de la « relâcher saine et sauve. »
Il s’éteint au fil des jours suivants – après qu’on a suivi la plus petite piste, cuisiné le moindre délinquant, interrogé et réinterrogé tout le quartier en vain.
C’est ce que j’ai fait.

Willie et moi sortîmes sous la véranda.
- Elle a un casier, dis-je.
Dont je lui donnai les détails.
- Elle me l’a dit.
Evidemment. Les gens disent tout à Willie.
- Elle t’a dit que le CPS était venu trois fois ?
- Oui.
- C’est une alcoolique ?
Parce que si elle avait bu dans l’après-midi, était tombée ivre morte ou tout comme, nous pouvions tirer un trait sur la chronologie des faits. Hailey avait peut-être disparu depuis des heures, Cheryl s’en rendant compte seulement quand elle avait repris ses esprits.
- C’est une alcoolique en rémission, souligna Willie. Elle va aux réunions, n’a pas touché à une goutte d’alcool depuis trois ans.

Conduite en état d’ivresse.
Troubles sur la voie publique.
Le CPS s’était déplacé trois fois à son ancienne adresse.
Je notai le nom du policier qui avait procédé à la verbalisation ainsi que ceux des agents sociaux du CPS s’étant présenté à son domicile et demandai que me soient transmis leurs rapports. S’ils étaient sous scellés, je devrais obtenir l’agrément du juge pour les consulter.
Puis je regagnai l’intérieur de la maison.
Willie, assise sur le canapé, tenait Cheryl par les épaules.
Cheryl braqua sur moi un regard plein d’espoir.
- Toujours rien, dis-je. Vous sentez-vous la force de rester seule quelques minutes ? Je voudrais parler au sergent Shaw.
- Ça ira.

Je vis des espoirs et des ambitions, des rêves et des peurs, de l'énergie et de la lassitude, de la pureté et de la corruption, de la rédemption et de la foi, des qui s'étaient perdus, des qui s'étaient retrouvés.
Je me rendis compte que la rue d'une ville, c'est comme un cours d'eau, qu'on peut la voir comme une rivière à truites. Elle a des courants, ses remous, ses trous d'eau où les alevins nagent et ses profondeurs où les gros poissons se soustraient à la lumière. Elle a ses parties plates et placides, étroites et traîtres et, même si je n'en voyais pas ce soir-là, ses tourbillons dangereux qui peuvent vous aspirer et ne plus vous lâcher.

Quand je redescendis, Laura me dit:
_ Je t'ai préparé du café.
L'amour n'est pas toujours dans les grandes choses. Le plus souvent, dans les petites.

Je pris donc le commandement de la tournée des bennes. Autre précepte paternel que j'avais pu vérifier en Irak: ne jamais demander à ses hommes de faire une chose qu'on ne ferait pas soi-même.
Personne ne peut vous suivre si vous ne marchez pas en tête.