Oui, c'était moi qui lisais
Mrs Dalloway dans ce pub d'Oxford il y a quinze jours en finissant ma pinte de cidre après avoir dévoré mon « fish & chips ». J'en étais aux premières pages, quand
Virginia Woolf décrit l'animation dans Bond Street, et le brouhaha des buveurs de bière faisait un bruit de fond tout à fait approprié pour cette lecture. J'aurai bien abandonné ma lecture, comme j'ai abandonné celle de la promenade vers le Phare, ma première (et seule à ce jour) rencontre avec cette auteure. Mais j'étais déterminée à connaître un peu mieux cette oeuvre alors j'ai bu une autre gorgée, et je me suis accrochée. Car j'ai vu le film The Hours, j'ai lu le livre éponyme de
Michael Cunningham, et c'est un euphémisme de dire que j'ai aimé. Il me fallait donc à tout prix découvrir l'oeuvre à l'origine de tout cela, et peut-être comprendre mieux l'autre livre et le film, qu'il faudrait que je revois maintenant.
Ma première impression pendant la lecture de ce livre, c'est qu'il y a tromperie sur la marchandise.
Mrs Dalloway est loin d'être le seul personnage de ce livre, et n'est même pas le personnage principal ou le plus intéressant. le titre de Cunnigham, que je comprends maintenant
, puisqu'il fait référence aux coups de l'horloge de Big Ben qui scandent la journée et le livre, me semble bien mieux représenter le propos de ce livre (et
Virginia Woolf avait effectivement pensé à ce titre pour ce livre). Car il est question du temps. du temps qui s'écoule, de la façon dont nous l'utilisons, du temps social, du temps personnel. Et il est question de la raison de vivre, de celle qui fait avancer, d'un jour sur l'autre, qui remplit la vie de choses essentielles ou bien plus souvent de futilités.
Le style un peu alambiqué de
Virginia Woolf (lue en traduction, il est vrai) n'est pas de ceux qui m'emportent. Parfois, j'ai eu l'impression que les mots coulaient sur moi comme sur le plumage d'un canard, faisant de grosses gouttes en lentilles qui s'écoulent sans laisser de trace. Mais j'ai fini par m'habituer à ce style, et à entrer peu à peu dans l'histoire, guettant avec impatience les moments où Septimus Warren Smith, le personnage qui m'a le plus intéressé, apparaissait.
En définitive, même si ce livre ne me réconciliera pas avec
Virginia Woolf, ce fut une lecture instructive, qui me permet de mieux appréhender cette auteur classique, de toucher du doigt les thèmes qui l'intéressent et le style avec lequel elle les aborde. Il y a une certaine virtuosité dans la construction de cette histoire, la façon dont les histoires des différents personnages s'entrecroisent, la façon dont s'entremêlent les actions des personnages et leurs sentiments ou réflexions.
Moderne par sa facture, il m'a permis d'apprendre le terme flux de conscience (traduit littéralement de l'anglais stream of consciousness), procédé littéraire qui veut reproduire par l'écriture le cours des pensées du personnage, et dont ce livre est un des premiers exemples quelques années après le fameux
Ulysse de
James Joyce. On ne peut non plus s'empêcher de penser à
Virginia Woolf elle-même lorsque l'on lit ce roman, et au choix qu'elle finit par faire de mettre fin à sa vie. J'imagine que beaucoup ont dû chercher à faire une analyse psychologique de ce livre, pour voir à quel point
Mrs Dalloway était aussi
Virginia Woolf, ou peut-être plus exactement comment les deux figures principales, celle de
Mrs Dalloway et celle de Septimus Warren Smith pouvaient incarner les deux facettes d'une
Virginia Woolf diagnostiquée a posteriori comme maniaco-dépressive. Il est certain que ce livre peut donner lieu à de nombreuses interprétations, et c'est ce qui en fait sa richesse et son intérêt, c'est ce qu'il fait qu'il est finalement, dans son alternance de points de vue, dans les détails inégaux des descriptions, à l'image de la vie, de sa futilité et de sa gravité. Si
Virginia Woolf voulait dans ce livre dépeindre la vie dans son plus simple appareil, elle y a réussi.