Pourquoi les pièces de
Shakespeare n'ont pas été écrites par une femme ? Qu
elles sont les conditions autant matéri
elles que morales pour écrire une oeuvre de fiction ? Quand les femmes ont-
elles arrêté d'écrire pour se plaindre pour enfin faire oeuvre d'art ? Dans cette conférence de 1929 sur les femmes et le roman,
Virginia Woolf nous entraîne dans une promenade à travers les siècles, de l'époque élisabéthaine au monde contemporain depuis le droit de vote accordé aux femmes, pour entreprendre une véritable généalogie des conditions favorables et défavorables de l'écriture féminine pour enfin s'interroger sur la différence des sexes et pour conseiller les futures femmes de lettres sur ce qui doit les guider dans l'écriture.
Même dans ses essais, on retrouve l'amour de
Virginia Woolf pour la fiction que cela soit, avec sérieux pour son propos en discutant de la relation entre les femmes et la fiction ou dans sa propre écriture où chaque chapitre (comptez-en six) prend les airs d'une mise en scène littéraire qui nous fait suivre une narratrice, Mary, dans son voyage à travers les époques sur les traces des femmes écrivains.
dans la maison de sa tante pendant et après un repas où la digestion est propice à la réflexion sur les femmes mais aussi au coeur de ses recherches dans les rayonnages du British Museum où
elle se met en colère contre l'affirmation selon laquelle "les femmes [seraient] intellectuellement, moralement et physiquement inférieurs aux hommes". le troisième chapitre se situe au coeur du XVIe siècle où face au génie de
Shakespeare, sans égal, la narratrice retrace le destin de la soeur du dramaturge, Judith, vouée à l'oubli malgré les mêmes talents que son frère sans être permise à cause des circonstances d'écrire une seule ligne pour, tragiquement, se donner la mort se découvrant enceinte..
Le quatrième temps de son voyage est celui des pionnières sorties de l'anonymat avec
Jane Austen et
Charlotte Brontë, deux modèles opposés qui abordent l'écriture avec deux esprits différents, l'un avec confiance, l'autre avec rancune contre ces hommes qui lui ont empêché de visiter le vaste monde. C'est à ce moment-là que les femmes de lettres entrent vraiment dans
L Histoire et, c'est au chapitre 5 et 6, que
Virginia Woolf s'attaque au lourd débat sur la différence des sexes où, à la suite de
Coleridge, elle adhère à l'idée que les grands écrivains sont ni des hommes, ni des femmes mais délibérément androgynes. Ce profil de l'écrivain androgyne, qui garde l'équilibre entre son coté masculin et son coté féminin , est proprement l'aspect le plus fictionnel dans
Une chambre à soi et fait écho par exemple à la figure d'
Orlando, ce génie androgyne et immortel.
Ce que j'ai trouvé passionnant dans cet essai, c'est l'hommage que
Virginia Woolf rend à toutes ces femmes de lettres oubliées et qui, pourtant, sont des pionnières qu'il s'agit de faire revivre. J'ai aimé rencontrer certaines figures comme
Christina Rossetti, la soeur du peintre préraphaélite
Dante Gabriel Rossetti, ou
Aphra Behn, cette dramaturge de la Restauration, ou encore la figure fictive de la soeur de
Shakespeare qui est une invention prodigieusement géniale et très inspirante. D'ailleurs, la soeur de
Shakespeare est en quelque sorte l'âme de toute écrivain féminine en puissance, comme un modèle à suivre et à faire survivre ce qui me touche d'autant plus, moi qui aime tant écrire.
J'ai aimé aussi retrouvé la figure de
Jane Austen qui est un tel pivot dans cette histoire de la condition des femmes de lettres. Elle n'écrit pas comme les autres, elle qui fait partie de ces femmes qui font "se mettre à faire usage de l'écriture comme d'un art et non plus comme d'un moyen pour s'exprimer
elles-mêmes." Même en n'ayant pas eu une chambre à elle, on la voit écrire dans cette pièce commune, ce petit théâtre d'observation des moeurs d'alors, interrompue de ci delà par telle ou telle tâche domestique et surtout cachant ses romans sous une feuille de buvard dès qu'un étranger entre dans la pièce. Comme cette jeune femme a réussi à égaler
Shakespeare dans cette pièce commune, ça reste un mystère...
Une chambre à soi est bien sûr traversé par le féminisme tout particulier de son auteur mais pourtant, il échappe aux travers de l'exaltation de la femme et de ses qualités ou du mépris de la gente masculine pour aborder le sujet de la condition matérielle nécessaire à l'écriture d'un roman par une femme d'un point de vue presque neutre, suivant un esprit critique des plus honnêtes.
Virginia Woolf rejette dos à dos d'un coté la supériorité masculine sur les femmes mais tout simplement la différence entre les sexes en dénonçant ce système comme enfantin comme s'il y avait deux camps adverses dans une cour de récréation.
C'est cette exigence de ne pas vouloir choisir entre l'homme te la femme qui l'amène à défendre la cause de l'androgyne qui est une sorte de variante littéraire du genre qui met en relation l'homme et la femme non pas à des fins sociales mais bien d'écriture littéraire.
Virginia Woolf cite de nombreux auteurs androgynes :
Shakespeare étant le premier, Keats,
Coleridge et
Proust qui, quant à lui, chose rare chez un homme favorise son coté féminin. Cette posture de l'androgyne l'amène non seulement à citer les conditions matéri
elles qui favorisent l'écriture, c'est-à-dire l'indépendance financière et un espace consacré à la seule écriture.
Mais, cette posture androgyne doit aborder l'écriture dans un certain esprit : on n'écrit pas en cherchant la gloire, ni en se projetant dans l'avenir pour savoir quelle postérité aura nos
oeuvres mais bien avec "la liberté de penser les choses en
elles-mêmes" conçue comme une vraie délivrance. L'écriture ne sert pas à convaincre, à persuader ou à faire effet sur qui que ce soit mais elle vaut en elle-même sa propre valeur. L'écriture, c'est tout simplement se faire plaisir et faire de ce plaisir sa philosophie de vie et ne jamais se laisser décourager dans sa tâche.
Après avoir lu
Une chambre à soi, on a envie de relever le défi que
Virginia Woolf nous lance et de commencer tout de suite à écrire, ou de continuer, pour ne jamais, jamais s'arrêter dans notre chambre à soi fermée à double tours.
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