Citations sur La montagne de l'âme (130)
Ne pas avoir de but, c'est aussi un but, et le fait de chercher c'est aussi un objectif, quel que soit l'objet de la recherche. Et la vie elle-même n'a, à l'origine, aucun but, il suffit d'avancer, c'est tout.
(P 459)
..dans mon rêve, il neigeait dans un village, le ciel dans la nuit était éclairé par la neige, cette nuit était irréelle, l'air était froid, ma tête vide, je rêve toujours à la neige, à l'hiver et aux traces de pas sur la neige en hiver, je pense à toi.
Tu dois savoir que ce que tu recherches ici-bas est rare, ton avidité est exagérée. Tout ce que tu peux obtenir en définitive, ce sont des souvenirs vagues, indistincts comme tes rêves, jamais des souvenirs qui ont recours aux mots. Quand tu veux les raconter, il ne reste plus que des phrases bien ordonnées, quelques fragments passés au crible des structures du langage.
Et seuls demeurent les toits des maisons qui s’assombrissent à mesure que la couleur de l’eau et la lumière du ciel changent, les dalles de pierre grisâtres confusément distinctes entre les cours des maisons, la boue qui a gardé la tiédeur du soleil, l’haleine exhalée par les museaux des buffles, les bribes de conversation qui montent des habitations, comme des disputes, et aussi le vent du soir, le tremblement des feuilles des arbres au dessus de ma tête, l’odeur de la paille et de l’étable, le clapotis de l’eau que l’on remue, le grincement d’une porte, peut être, ou du treuil d’un puits, le pépiement des moineaux et le roucoulement d’un couple de tourterelles quelque part dans leur nid, les appels des voix aiguës des femmes et des enfants, l’odeur de l’armoise et les bourdonnements des insectes en vol, la boue sèche sous les pieds, mais molle en dessous, le désir latent et la soif de bonheur, les vibrations que font naître dans le cœur les sons du tambour, l’envie de marcher pieds nus et de s’asseoir sur le seuil d’une porte rendu luisant par le passage des hommes.
Si ce n'est pas bien de parler ainsi, comment faut-il parler ? Est-ce mal de parler ainsi, ou bien est-ce impossible ?
Les hommes et les poissons ont ceci en commun que les grands hommes et les grands poissons ont tous disparu. On voit bien que le monde n'est pas fait pour eux.
Les fumées bleues qui flottent au-dessus des toits en tuile des petits bourgs, le craquement du feu qui chante dans les fourneaux à bois, les petits insectes presque transparents, jaunes, aux longues pattes fines, les foyers dans les maisons des montagnards et les ruches en bois pendues au mur, fermées avec de la terre, suscitent en toi le mal du pays. Voilà le pays natal que tu vois en rêve.
Je ne sais pas si tu as déjà réfléchi à cette chose qu'est le moi. Il change au fur et à mesure qu'on l'observe, comme lorsque tu fixes ton regard sur les nuages dans le ciel, couché dans l'herbe. Au début, ils ressemblent à un chameau, puis à une femme, enfin ils se transforment en un vieillard à longue barbe. Rien n'est fixe cependant, puisqu'en un clin d'œil ils changent encore de forme.
Si elle devait se réincarner dans un autre monde, elle voudrait être une femme, et elle voudrait encore subir les difficultés que subissent les femmes, et elle voudrait encore ressentir la souffrance du premier accouchement, la joie d'être mère pour la première fois, la douceur après la déchirure, la jouissance lors du premier émoi de vierge, l'excitation constante à son comble, le regard inquiet, le contact avec le regard affolé des hommes, avec la douleur de l'écartèlement qui arrache des larmes, elle veut tout connaître une nouvelle fois, si elle devait revenir au monde...
Le problème réside dans la prise de conscience intérieure de mon moi, ce monstre qui me tourmente sans cesse. L'amour-propre, l'autodestruction, la réserve, l'arrogance, la satisfaction et la tristesse, la jalousie et la haine, viennent de lui, le moi est en fait la source du malheur de l'humanité. La solution de ce malheur doit-elle passer par l'étouffement du moi conscient ?
Voilà pourquoi Bouddha a enseigné l'éveil : toutes les images sont des mensonges, l'absence d'image est aussi mensonge.