L'art de perdre, c'est accepter la perte.
On peut perdre ses clés, on peut perdre un souvenir, on peut perdre un pays. Car ce que l'on ne nous transmet pas, on le perd fatalement. Ce n'est pas un désastre, c'est ainsi.
Naïma, l'héroïne de "
L'art de perdre", en fait l'expérience.
Petite-fille de harkis, Naïma est violemment confrontée à l'image qu'elle et sa famille renvoient au lendemain des attentats de 2015. Les questions identitaires sont dans l'air du temps. L'Algérie, pays de ses origines, demeure jusqu'à présent une contrée lointaine et inconnue dont son père Hamid ne parle jamais si ce n'est pour les mettre en garde, elle et ses soeurs, des dangers qu'elle recèle. Son grand-père, décédé trop tôt, et sa grand-mère qui ne parle que l'arabe, ne peuvent lui être d'aucun secours dans ses interrogations. Alors patiemment, à l'occasion d'une exposition qu'elle doit réaliser sur les oeuvres d'un peintre kabyle exilé, elle va dérouler le fil de son histoire familiale qui se lie à la plus grande, celle de la Guerre d'Algérie et des harkis.
Des crêtes de Kabylie où sont nés son grand-père Ali et son père Hamid, aux HLM de Pont-Féron en passant par le tristement célèbre camp de Rivesaltes où se retrouve regroupée toute la famille,
Alice Zéniter nous fait partager le destin, entre la France et l'Algérie, d'une famille de harkis. Ce roman, divisé en trois parties chronologiques, est une véritable fresque familiale et historique qui offre un formidable hommage à ces Français trop longtemps méprisés et méconnus.
Réflexion sur les racines et l'héritage familial, sur les choix qui bouleversent toute une vie, sur l'intégration voulue ou forcée, sur la liberté d'être une femme au-delà des coutumes ancestrales, sur le racisme ordinaire d'hier et d'aujourd'hui, "
L'art de perdre" est un très grand roman au style alerte et sobre. L'auteur a pour moi réussi un récit qui manquait indéniablement dans l'histoire des harkis. J'ai adoré la partie consacrée à Ali le grand-père, le géant tombé de son trône, nous dévoilant des épisodes de la guerre d'Algérie absolument bouleversants pour ces hommes qui avaient combattu sous le drapeau français lors de la Seconde Guerre mondiale et qui se retrouvent d'un coup désignés comme les "ennemis" dans leur propre pays d'origine et comme les "indésirables" pour leur pays d'adoption. J'ai aimé la partie consacrée à Hamid, deuxième génération, qui s'engage dans une farouche indépendance vis à vis de sa famille et de ses origines, souhaitant au plus vite se détacher d'un passé trop présent. J'ai moins apprécié l'histoire de Naïma, troisième génération, peut-être la partie de trop ou celle la plus bâclée.
Mis à part ce petit regret sur la fin et quelques longueurs, "
L'art de perdre" est un très grand roman, de ceux qui vous font voyager dans le temps et l'espace tout en restant dans votre fauteuil. Et ça, j'aime beaucoup.