Alik Strelnikov fut un soldat russe pendant la guerre en Tchétchénie. Il a quitté son pays pour émigrer aux États-Unis. Il a trouvé un boulot de gros bras pour un petit caïd installé dans un parc d'attraction abandonné. Il passe ses journées à recouvrir des créances en retard auprès de pauvres hères qui mettent trop de temps à rembourser, ou à payer leur protection ou à donner leur part de de revenus de la prostitution. le reste de la journée il erre d'attraction abandonnée en attraction en ruine. Et le soir si tout va bien, Marina le rejoint dans sa chambre sordide pour faire l'amour. Quand tout va mal, les cauchemars reprennent le dessus : une femme qu'il a abandonnée à un sort affreux, les horreurs de la guerre en Tchétchénie, les horreurs d'une guerre plus ancienne en Russie, etc. Il ne lui reste plus alors qu'à se faire une piquouze en espérant trouver un oubli réparateur.
Cette existence sordide ne durera pas longtemps car un autre caïd a des vues sur le territoire de l'employeur d'Alik, Marina ne supporte plus la séparation d'avec sa fille et les cartes du tarot indiquent que la violence va aller en s'intensifiant.
Dès les premières pages, le lecteur prend conscience qu'il a plongé dans un récit ambitieux, adulte, complexe et sans espoir. La mise en couleurs a été confiée à Dave Stewart, un artiste exceptionnel. Il a choisi une palette très restreinte de teintes à dominante grise et marron. Chaque page dégage une atmosphère glauque, étouffante, irrespirable et condamnée. Ces ambiances évoquent les pages les plus sombres de V pour Vendetta et le style des dessins s'approchent également parfois de celui de
David Lloyd.
Danijel Zezelj effectue un travail remarquable d'une grande sensibilité pétrie de désespoir et d'une remarquable puissance d'évocation de Coney Island. À chaque page, le lecteur plonge dans l'univers d'Alik Strelnikov et il a l'impression d'être avec lui dans la même pièce ou au même endroit juste à ses cotés que ce soit dans sa chambre minable, ou devant une attraction fermée, ou sur un champ de bataille, ou en face de prisonniers tchétchènes, ou dans un champ enneigé de Novgorod face à un loup, ou dans les tranchées de la guerre de 14-18, etc. Zezelj n'abuse pas de gros aplats de noir pour accentuer la noirceur du récit, il préfère rester proche de la réalité, simplifier les traits pour ne garder que les éléments visuels les plus saillants. Ce parti pris aboutit à une lecture très facile de ses dessins qui ne gardent que l'essentiel et dans lesquels les éléments réalistes se détachent avec une grande force pour mieux marquer l'esprit du lecteur. Sa stylisation s'arrête juste avant que les illustrations ne basculent dans l'abstraction. C'est un remarquable travail de composition rendu encore plus saisissant par la palette sophistiquée et restreinte des teintes utilisées par Dave Stewart. Les illustrations méritent 5 étoiles.
La première moitié du récit est aussi déroutante qu'envoutante.
Kevin Baker dévoile petit à petit l'histoire personnelle et la voie quotidienne de son personnage principal d'une manière morcelée en intercalant les moments présents et les moments passé, au fil des remémorations de Strelnikov. le lecteur assemble petit à petit les pièces du puzzle et c'est un vrai plaisir que de découvrir une pièce après l'autre avec chacune son ambiance et ses sensations tout en essayant de recomposer l'image complète. Baker a effectué un gros travail de recherche sur les conflits russes du vingtième siècle et sur la culture russe qui contribue à la véracité du personnage et à l'épaisseur de l'intrigue. le choix du parc d'attraction permet de composer des scènes dont l'étrangeté du décor intensifie le malaise des actions, un régal. Et puis petit à petit,
Kevin Baker délaisse le domaine du polar urbain mettant en scène des petites frappes se mangeant entre elles en introduisant un élément fantastique dans le récit. Ce basculement du récit dans un autre registre m'a complètement déconnecté du récit et arrêté dans ma lecture. Je ne suis pas opposé au mélange des genres, mais dans ce cas particulier il m'a semblé malheureux. Baker commence par installer une ambiance des plus réussies basées sur le morcellement des souvenirs de Strelnikov et sur des scènes très visuelles laissant présager un règlement de comptes bien tordu, sans beaucoup d'espoir d'une fin heureuse. Puis survient l'élément fantastique qui sert de lien entre les pièces du puzzle qui ne s'assemblaient pas avec les autres, mais qui révèle aussi de fait l'issue de l'affrontement à la moitié du tome et qui oriente le récit dans une autre direction moins intéressante. Chaque scène reste intéressante pour elle-même, mais mises bout à bout elles ne forment pas un récit accrocheur.