Dans ces trois tomes, comme dans le premier, je voudrais saluer la beauté du dessin. Les traits sont fins, les lieux sont peints avec une précision d'orfèvre, les visages sont d'une expressivité parfaite, laissant voir chaque infime sentiment comme un livre ouvert. Les tatouages des personnages sont mis en scène à la perfection : ils constituent une belle mise en abîme, des dessins dans le dessin, qui acquièrent une importance scénique capitale. Ces éléments sont léchés, délicats et délicieusement glaçants, car, ne l'oublions pas, ce sont des démons que représentent les tatouages.
Une fois de plus, il faut bien le dire, cette épopée est destinée à un public adulte. de nombreuses scènes abordent la sexualité, et laissent peu de place à l'imagination face aux maltraitances de certains hommes, face au sexe pensé comme asservissement de la femme et domination. Une sexualité qui fait froid dans le dos et terrifie parce que ça a existé et ça existe encore, et que nous, femmes, risquons notre vie durant de rencontrer de tels partenaires qui se cachent parfois sous des dehors de douceur. L'univers dépeint est donc violent : violent par la vengeance, violent par la sexualité, violent par les sentiments qui sous-tendent la quête de Jenifer et de Kita.
le duo Jenifer-Kita s'enrichit de personnages attachants. Senseï, le maître, énigmatique et insaisissable, dont l'indéfectible soutien est précieux, fascine par son savoir faire ancestral. Grâce à lui, nous comprenons mieux certains éléments du tome 1 et sa présence ajoute une part de surnaturel des plus savoureuses. La petite Pickles est aussi très attachante, à la fois enfant et adulte, déchirée entre amour indéfectible pour nos héroïnes, peur de l'abandon et loyauté. Nous suivons l'ensemble de ces personnages sur les quatre tomes et nous les voyons grandir, évoluer, tisser leurs liens et se nourrir les uns les autres de leur peine, de leur amour, de leur haine, de leur désir de vengeance.
Shi, tome 2 : le Roi démon.
Ce deuxième tome met en scène la vie de Jenifer et celle de Kita après leurs aventures premières. Une vie de douleur, due aux hommes, l'une condamnée à un mariage honni, l'autre abandonnée dans une maison de plaisirs au mépris de tout respect humain. C'est aussi le tome qui voit leur lien s'affermir, se nouer de manière si complète qu'il ne pourra plus être rompu. C'est le moment où ces deux femmes ne font plus qu'un, ou les deux souffrances entrent en écho : deuil pour deuil, perte pour perte. Leur quête vengeresse en sortira grandie, démultipliée et d'autant plus dévastatrice.
Sur leur chemin, elles retrouveront des alliés nécessaires et précieux, improbables parfois. L'un sous les traits d'un vieil homme taiseux, l'autre sous ceux d'une enfant à la gouaille sans pareille. Tous apportent quelque chose au récit et rendent l'ensemble à la fois unique et complet.
le lecteur ne peut qu'être ému par les coups du destin qui ne cessent de s'acharner sur nos héroïnes, mais aussi par leur ténacité et leur résilience. Mille fois abattues, elles se relèvent pourtant et font front, contre vents et marées, absorbant tant de souffrances que nous nous demandons comment elles peuvent encore tenir.
La bascule entre deux temporalités existe encore dans ce tome, et nous permet de découvrir pourquoi un directeur d'usine de mines a été visé par un attentat dans le tome 1. La vengeance mise en scène est à la fois machiavélique, glaçante et subtile. Bien entendu, moralement, nous ne pouvons pas cautionner cette mise en oeuvre de la loi du Talion, mais le brio de l'exécution de la vengeance est là, et le visage de l'enfant à cause de qui tout arrive, son destin, nous brisent le coeur et parle à notre humanité. Cela permet également de faire une transition entre les deux premiers volumes et les origines de cette société vengeresse plus largement mises en scène dans les tomes suivants. D'autant qu'au fil des pages, les auteurs distillent des faits divers réels, causés par des gouvernements et des entreprises peu scrupuleux, qui témoignent d'une absence totale de respect de l'humanité et de l'enfance. Dans ce contexte, en littérature, on peut aimer que le coupable soit puni comme il a fauté, le détour littéraire permettant – par son voyage immobile – la jubilation honteuse que ne permet pas la vraie vie et l'éthique.
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