« Bon sang, Val, voilà ce que tu es, à peine plus qu'un fantôme qui arpente la terre avec tous ces cadavres dans la tête. » Valentine Millimaki est shérif dans le Montana. le jour, il arpente les contrées arides et rocailleuses à la recherche de disparus. La nuit, il surveille des prisonniers. Au fil des longues nuits d'insomnie, il se lie étrangement avec un serial killer très âgé, John Gload. le jour et la nuit s'entremêlant dans l'esprit confus de Millimaki, les frontières se brouillent peu à peu entre le permis et l'interdit. Il se sent étrangement proche de la vie trouble du vieil homme, d'autant que sa vie conjugale s'étiole dangereusement, comme un fantôme porteur de ses propres ombres intérieures, passées et présentes.
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Les Arpenteurs » constitue le premier roman de
Kim Zupan, « … originaire du Montana. Il a grandi aux alentours de Great Falls, dans la région qui tient lieu de décor à son livre. Il a été tour à tour fondeur, professionnel de rodéo, pêcheur de saumon en Alaska, réparateur d'avion à réaction et charpentier », comme le précise la quatrième de couverture. Cette oeuvre est une merveille d'écriture, tant la poésie affleure sous chaque mot. Sous la plume de
Kim Zupan, le paysage est sublimé, la nature se déploie dans sa majesté grandiose et menaçante : sous la rocaille, les serpents ne sont pas loin, qu'ils soient animaux ou humains. L'auteur sait également décrire très finement et poétiquement les tourments, la noirceur et la rédemption possible de l'âme humaine :
« La nuit, le dehors est à l'intérieur avec moi. Ça rentre avec moi, c'est comme si je pouvais regarder mon corps, et tout ce que je vois, c'est moi-même dans le lit, il n'y a rien entre moi et le reste, dehors. » (p. 128.)
Le lecteur progresse dans l'intrigue, aux côtés du shérif, comme dans un mauvais rêve. L'esprit de ce dernier se brouille à force d'insomnies. Les rares épisodes de sommeil sont autant de cauchemars sans fond d'où il lui faut vite se relever sous peine de se noyer. Sous les pavés du quotidien, la folie guette, tapie dans l'ombre. Dès lors, le vieux meurtrier apparaît comme le mauvais conseiller duquel il faudrait s'éloigner sans tarder, la prison comme une antre maléfique qui altère à jamais les êtres qui passent, comme cette mexicaine qui rendait visite à son mari, prisonnier : « A la gauche de Millimaki, la jeune Mexicaine était toujours assise, aussi blanche et immobile qu'une caryatide, ses yeux reflétant le vide au-delà de la chaise où s'était assis son mari si peu de temps auparavant, deux portails noirs d'un néant glacial et insondable, un espace lointain où les larmes ne pouvaient ni se former, ni couler. » (p. 260.)
La fin réserve de belles surprises, et ouvre à d'autres possibles. «
Les Arpenteurs » est un premier roman noir fabuleux, qui laisse dans son sillage, à la lisière des souvenirs, quelques arpents de lumière.