II-
Petite et belle elle peut vivre sans miroir
Petite et belle elle peut vivre sans espoir
Les longs charrois de nuit et l'aube à petit feu
Ont dégradé son corps ont dévasté son coeur
Vivre toujours peut-être et patient je regarde
Le jour pâle épouser sans plaisir ses yeux vagues
Écrivains et artistes chez Lucien Bonnafé
Si la guerre incite l'asile de Saint- Alban à s'ouvrir à la communauté villageoise, elle va surtout le pousser à s'ouvrir au monde.Deux jeunes psychiatres, Francois Tosquelles et Lucien Bonnafé, sont bientôt nommés à Saint- Alban.Affiliés aux réseaux de Résistance, ils vont apporter un nouveau souffle d'humanité à l'asile: les soins aux blessés de guerre, l'accueil de réfugiés et la publication d'ouvrages clandestins entraîne un brassage d' idées extrêmement riche qui fait de Saint- Alban un espace de liberté et de partage.(...)
Lorsque Paul Éluard est contraint de fuir Paris, il trouve refuge en novembre 1943, accompagné de sa femme Nush, dans ce lieu éloigné de tout, perdu en pleine Margeride (* Lozère)
Au cours de cette période, il continue d'écrire sous le pseudonyme de Jean du Haut et poursuit ses activités secrètes en liaison avec Paris.
Le Cimetière des fous
Ce cimetière enfanté par la lune
Entre deux vagues de ciel noir
Ce cimetière archipel de mémoire
Vit de vents fous et d' esprits en ruine
Trois cents tombeaux réglés de terre nue
Pour trois cents morts masqués de terre
Des croix sans nom corps du mystère
La terre éteinte et l'homme disparu
Les inconnus sont sortis de prison
Coiffés d'absence et déchaussés
N'ayant plus rien à espérer
Les inconnus sont morts dans la prison
Leur cimetière est un lieu sans raison
Saint- Alban, 1943
Postface et dessins inédits
Saint-Alban, Terre d'asile
(...)De retour à Paris, Eluard est profondément marqué par ce lieu et en parle souvent à ses amis et à sa famille.Sur ses conseils, sa fille Cécile et son futur gendre, Gérard Vulliamy, se rendent au cours de l'été 1945 à Saint-Alban, accompagnés de Tristan Tzara.Sur place, Gérard Vulliamy réalise de nombreux portraits d'hommes et de femmes, aliénés, qui dévoilent leur personnalité, leurs angoisses, leurs espoirs.Il inscrit souvent la date au bas du portrait, quelquefois le nom du modèle. En plus du dessin du cimetière de Saint-Alban où les croix sont déjà enveloppées par la brume de l'oubli. Paul Eluard choisit sept de ces portraits, uniquement des portraits de femmes, pour illustrer son poème
" Souvenirs de la maison des fous" qui paraît en janvier 1946 dans la collection " De Vrille" pour le compte des éditions Pro Francia.
(...) À Saint-Alban les avancées en faveur du malade se poursuivent.
-I-
.Le monde est nul
Fausses guenons et fausses araignées
Fausses taupes et fausses truies
Et parfois l'ombre d'une biche
Sauvagement bêtes et malheureuses
Timidement femmes illuminées
(...)
Chantant la mort sur les airs de la vie
La terre leur est familière
Terre sans graines sans racines
Sans la lumière agile du dehors
Sans les clefs d'or de l'espace interdit.
Petite et belle elle peut vivre sans miroir
Petite et belle elle peut vivre sans espoir
Les longs charrois de nuit et l'aube à petit feu
Ont dégradé son corps ont dévasté son coeur
Vivre toujours peut-être et patient je regarde
Le jour pâle épouser sans plaisir ses yeux vagues
En 1939, lorsque la guerre est déclarée, la survie s'organise à Saint- Alban et l'ergothérapie prend tout don sens : on propose aux aliénés un travail gratifiant qui répond à un réel besoin de la communauté.À l'heure où les villageois subissent des restrictions, cette mesure favorise un rapprochement avec l'hôpital. Un troc s'organise aussitôt. Grâce aux matières premières fournies par les familles de la région, les patients confectionnent par exemple des tricots ou des chaussettes qu'ils échangent contre des denrées alimentaires.L'isolement est ainsi rompu et le malade retrouve une place dans la société à un.moment où la main d'oeuvre fait cruellement défaut.
Cette initiative, dans laquelle villageois et aliénés se sont unis pour survivre, reste unique dans toute la France occupée.
Saint- Alban, terre d'asile
" Saint- Alban, c'était le Château du Graal.On ne savait pas où c'était, on ne savait pas exactement ce que c'était, mais on parlait de Saint-Alban comme d'un lieu fondateur d'une psychiatrie nouvelle".**
Aujourd'hui reconnu comme le berceau de ce que l'on nomme la psychothérapie institutionnelle, l'asile de Saint- Alban développe à l'orée des années 1940 une conception nouvelle de la psychiatrie et du traitement des malades.Il deviendra l'un des asiles les plus célèbres de France grâce à ses praticiens, mais aussi aux intellectuels qui y trouvèrent refuge pendant la guerre.L' un d'entre eux, Paul Éluard, consacrera à cette " maison des fous" l'un de ses plus émouvants poèmes.
**In Patrick Faugeras" L'Ombre portée de François Tosquelles", 2007