Depuis 1870, nous avons érigé beaucoup de statues. La France cherchait une consolation dans le souvenir des actes d'héroïsme qui avaient ennobli la défaite et sauvé l'honneur. Nous mettions une obstination touchante à constater que, vaincus, nous n'étions ni abaissés, ni résignés.
Il y a quelques jours, à l'Académie des Beaux-Arts, le sculpteur Frémiel demandait, en son nom et au nom de son confrère le peintre Gérôme, que l'Académie intervînt auprès du ministère pour obtenir que le groupe de Rude, le Départ, à l'arc de triomphe de l'Étoile, fût moulé, et qu'un exemplaire du moulage fût placé au musée de sculpture comparée du Trocadéro. Il importait, disait-je d'assurer ainsi cette oeuvre capitale de la sculpture française contre les diverses chances de destruction qui l'ont déjà menacée et dont plusieurs subsisteront toujours : intempéries, guerre civile, guerre étrangère, voire explosions de gaz, — dont l'une, il y a une trentaine d'années, lézardait sur toute sa longueur la voûte de la grande salle qui évide l'entablement de l'arc. Le seul moyen, c'est le moulage. Il fallait donc profiter de l'échafaudage qui s'élève actuellement au droit du bas-relief et diminuerait les frais de l'opération.
On a beau médire des grandes toiles et soutenir, non sans raison, que le talent ou même le génie sont à l'aise dans de petits cadres, le visiteur du Salon leur sait gré de lui donner les premiers points de repère et d'être pour lui comme des bouées de repos au milieu de l'immensité qu'il doit parcourir. Il est rare, du reste, qu'il n'y ait pas là, tout au moins, l'indice de très honorables efforts, qui méritent une attention égale à la peine qu'ils ont coûtée. Je me hâte d'ajouter que, parmi les grandes toiles de cette année, un bon nombre renferment plus que de bonnes intentions. Il en est deux au moins qui sont des oeuvres de maîtrise et cinq ou six qui vont augmenter les titres de leurs auteurs à la célébrité.
Quelques mois avant sa mort, Meissonier m’invitait à voir, dans son atelier du boulevard Malesherbes, l’esquisse d’une grande composition décorative qu’il destinait au Panthéon. Cette esquisse était superbe et, chose rare, le maître était content de son travail, enlevé en quelques jours avec une ardeur de jeune homme, car il ne fut jamais plus vigoureux et plus confiant dans la vie qu’au moment où elle allait lui échapper. A grands traits de fusain, il avait massé sur la plus vaste toile qu’il eût jamais abordée un cortège triomphal, représentant l’apothéose de la France.
En favorisant cette réconciliation, la direction des Beaux-Arts servira les intérêts de l'architecture nationale, à laquelle l'école classique et l'école du moyen âge peuvent être également utiles. Par la force des choses, se servant de l'une et de l'autre, les réunissant dans ses écoles, ses commissions et ses services, elle atténuera de plus en plus le vieil antagonisme. On peut donc espérer qu'avec le temps l'unité de doctrine sera rétablie par l'unité de direction.
Aujourd'hui, après les grandes querelles des classiques et des romantiques, des fervents de la ligne et des apôtres de la couleur, des réalistes et des idéalistes, c'est l'étude de la lumière qui préoccupe surtout nos peintres et accentue leurs désaccords. Les uns tiennent pour les anciennes oppositions du clair et de l'obscur, pour la distinction des couleurs, le modelé vigoureux et les perspectives nettement indiquées ; ils estiment que les hommes civilisés ne vivent pas seulement en plein air et que même la plus grande partie de leur. existence, sous nos climats, se passe dans des édifices clos. Les autres, séduits surtout par la vie en plein champ et dans une atmosphère libre, notent curieusement les décompositions infinies de la lumière blanche et l'action réciproque des couleurs les unes sur les autres ; ils fondent la silhouette humaine dans l'air qui circule autour d'elle et parfois semble l'absorber; ils s'inquiètent plus, dans la disposition de leurs plans, de satisfaire l'oeil que l'esprit.
Toiles et études, nous les reverrons dans quelques jours, bien classées et faciles à regarder, dans l’or des cadres, sous la lumière égale des salles d’exposition. Pour ma part, je n’oublierai pas notre matinée dans la cave poudreuse: j’ai eu la un sentiment complexe de mort et de résurrection, de mélancolie funèbre et de joie vivante.
Si l'art a de grandes infériorités sur les lettres, il a cet avantage que, dispensé de discuter et de raisonner, il évite les erreurs de jugement. Il lui suffit, pour être vrai, de représenter ce qu'il voit. Maltraité par les romanciers, les poètes et les historiens, Richelieu a trouvé beaucoup plus de justice chez les sculpteurs et les peintres, qui ne se sont pas inquiétés de pénétrer son âme, mais simplement de le montrer tel qu'il leur apparaissait. Il y a des hommes dont l'aspect physique sollicite l'art, et d'autres qui le repoussent. L'histoire de Richelieu le présente dans des attitudes et des costumes faits pour tenter les peintres. D'abord la pourpre romaine, qui allait si bien à ce corps maigre et à ce visage pâle.
Le fondateur de l'Académie française et le restaurateur de la Sorbonne n'a pas eu, pendant la plus grande partie de notre siècle, à se louer de la littérature. Poètes, romanciers et historiens se montraient également sévères pour le cardinal de Richelieu. Son nom plane sur la Marion de Lorme de Victor Hugo comme un cauchemar de cruauté; le reflet de sa robe rouge est comme la lumière du drame ; au dernier acte, la terreur du dénouement est obtenue par ces seuls mots qu'il laisse tomber du fond de sa litière : « Pas de grâce! i>
L'État enseigne et forme des collections; par ses écoles et ses musées, il entretient une tradition. Il consacre un budget à l'acquisition annuelle
d'œuvres d'art ; il est même le gros acheteur des Salons et beaucoup de peintres et de sculpteurs, en attaquant leur toile ou leur terre, ne comptent
que sur lui. Il préside la distribution des récompenses que fait la Société des artistes français et, par la manière dont il use des siennes, il peut témoigner de ses préférences pour tel genre d'œuvres ou telle sortie de talents.