Pourquoi est-ce que je rêve tout le temps de toi ? C’est la question que je me pose en sortant du lit. Pourquoi est-ce que je vois tout le temps ton jeune corps dégingandé, ton visage renfrogné ? Mais je connais déjà la réponse : c’est parce que tu es toujours là, tissé à mes souvenirs. Tu continues à me hanter, alors que j’espérais te laisser dans ma cellule et ressortir en femme neuve dans le monde extérieur.
Je reste déterminée à ce que cela se produise. Il n’est pas bon de s’éterniser sur le passé ; je préférerais largement t’expulser de mon cerveau et que tu finisses par te dissiper complètement. Je n’ai aucun intérêt à te laisser encombrer toutes mes journées, pas après tout ce temps.
Je suis enfin libre, et c’est tout ce qui compte.
Dans ces moments je vomis cette existence et son injustice. Il est aussi facile que douloureux d'imaginer ce qu'aurait pu être ma vie si j'avais eu plus de chance, ou si les autres avaient été moins cruels avec moi. Si j'avais trouvé un homme qui m'aimait au lieu de profiter de moi. Si mon ventre avait porté un enfant. Si je m'étais assuré une grande carrière, si j'étais devenue une professionnelle aussi respectée que papa. Il y a une multitude de voies qui auraient dû s'ouvrir à moi, mais elles me sont toujours restées fermées. L'intelligence et le charme ne suffisent pas toujours. Il faut aussi avoir la chance de son côté. Sans elle, la vie ressemble à ce que je connais. Par certains aspects, c'est pire que la prison. Les barreaux demeurent, simplement ils ne sont pas visibles. Je n'en reste pas moins une créature en cage, dont les ailes ont été impitoyablement rognées.