Le Mulot s'approche. Il n'est pas costaud. À plus de trente ans, si tu es né là, tu es condamné à baisser. Lana vide son seau dans un coin qui ressemble à un qu'elle aurait choisi. Quand le Mulot est assez près, elle le lui balance dans la figure. Il hurle :
-Putasse !
Avant de toucher le sol. Et il crie. Pis il crache. Rouge dans sa barbe. Il s'est mordu la langue.
Elle dit :
-Rentre au refuge.
-Le Jardinier va te bannir! Il va te planter ! Il va t'engrosser !
– Dans quel ordre ?
Ça lui cloue le bec. Elle serre l'anse du seau. Il va y revenir, il y revient toujours. Il y en a qu'il a à l'usure.
Il saute. Elle fait un pas en arrière et glisse. Tombe allongée. Exprès, pour se faire moins mal qu'assise. Il est sur elle et lui attrape l'épaule pour la retourner. Le Mulot a de la jugeote.
Elle n'a pas lâché le seau mais il appuie sur son bras et elle doit s'y reprendre à deux fois pour se dégager. Même ensuite, son coup est trop mou pour le sonner. Il s'énerve. Il se penche et répète :
-Laisse-toi faire ! Laisse-toi faire !
Ils ont demandé gentiment. Ils ont expliqué. Ils ont négocié. Et on s’est foutu de leur gueule, et des fois, on leur a tapé dessus. Ensuite, ils ont cassé des trucs. Surtout de la pierre. Des symboles. Et ensuite, quand ça a pas fonctionné, ils ont cassé des gens.
Peut-être que le problème c'est que les plantes qui soignent, dehors la Baugé, font qu'il y a beaucoup de faibles qui survivent. Mais c'est pas mal, il pense, des fois, de soigner les faibles. Des fois, ils ont de bonnes idées, et des fois ils sont juste sympas. Et ne pas les laisser mourir, c'est aussi ne pas construire des murs de cadavres autour de soi.
...soin de toi.
Et il serre la main sur sa joue.
Juste sur sa joue.
Et des bras le portent.
Des bras le portent !
Personne ne sait ce qu’il fait dans la bauge.La plupart sont nés là. Ceux qui ont de la jugeote prennent par le cul mais tout le monde n’a pas de jugeote. Alors il y a des mômes, parfois, et certains survivent et ils restent.Le Mulot est né là. Il le lui a dit quand elle est arrivée. Il avait l’air fier, peut-être parce qu’il avait passé trente ans. Il regarde Lana maintenant, pen-dant qu’elle charrie la bouillasse. Elle n’aime pas ça.
La Môme le regarde. Il a du mal, lui, à la regarder. C’est un peu comme quand les stolons lui pressaient le bide, mais plus haut dans le corps, et pas tout pareil. Dans les grands yeux d’étoiles de la Môme, il y a une chose bizarre qui le fait se sentir petit. C’est peut-être qu’elle a monté sur la construction. Qu’elle a pas eu peur et qu’elle a eu la force. Elle est peut-être juste contente comme lui était content d’avoir dit merde au Jardinier. Ou d’être parti sans lui dire merde mais d’être parti quand même, et ça revient au même.
— OK, il dit. Tout le monde sait ce qu’il fait dans la bauge mais personne sait pourquoi il est là.
— Je suis là parce que le Jardinier a pris ma mère par-devant, le Puterel insiste. Et toi et la Grande parce qu’on vous y a collés.
Rigal se demande s’il préférait pas quand le Puterel lui envoyait des fions. D’ailleurs c’est peut-être encore des fions, qu’il envoie.
— Je sais qu’on m’y a collé, il dit quand même. Mais je sais pas pourquoi.