Au tournant du siècle, après l’apparition des appareils instantanés portatifs du type Kodak (vers 1887), la photographie devenait une pratique aisée, virtuellement accessible à tous et non plus seulement un artisanat réservé à une élite ou à des professionnels. Grâce aux facilités de manipulation de l’appareil et à la sensibilité plus grande des émulsions, les possibilités expressives du médium se trouvaient considérablement enrichies. Et parce que la technique photographique arrivait à son point de maturité et perdait son caractère magique, la tension allait tout naturellement se concentrer sur le contenu, c’est-à-dire sur la vision du photographe. Le temps était venu pour la photographie d’être considéré sérieusement comme un art, et l’ampleur du public qu’elle touchait désormais aller donner un poids nouveau aux préoccupations de quelques amateurs.
‘extrait de l’introduction de Françoise Heilbrun)
Stieglitz ne veut plus entendre parler d’automobiles dernier cri, de cinéma, d’avions ni d’appareils en tous genres. Assez de cet esprit de jeunesse qui renouvelle sans arrêt sa surface ! New-York n’est plus que « bousculade et fatigue, odeurs et cohue, fourmilière déplaisante, où les gens se marchent tous les uns sur les autres ». Stieglitz méprise les artistes qui empruntent aux registres populaire et quotidien (le jazz, les journaux, les voitures). Pour lui, les arts plastiques sont capables de favoriser une nouvelle conscience révolutionnaire, mais il faut que ce soient les gens qui viennent à l’art, pas l’inverse. L’homme, par la culture, doit refuser d’être l’esclave de la modernité.
Duchamp, évoquant son amitié avec Stieglitz, 20 ans après sa mort :
« Il y avait aussi Stieglitz le photographe, dont la principale caractéristique était d’être un philosophe, une sorte de Socrate. Il parlait toujours d’une façon très moralisante, et ses décisions étaient importantes. Il ne m’amusait pas beaucoup, et au début, je dois dire que lui non plus, quand je suis arrivé, ne m’aimait guère, je lui faisais l’effet d’un charlatan. […] par la suite, il s’est amendé à mon égard et nous sommes devenus très amis. Ce sont des choses qu’on n’explique pas. »
Stieglitz est devenu tellement célèbre aux Etats-Unis qu'il y est parfois de bon ton de s'appesantir sur ses défauts. Ne tombons toutefois pas dans ce travers et rendons hommage à cet oeil infaillible et à cet esprit ardent. On lui a parfois reproché son élitisme, pourtant il a fait ce que font tous les grands artistes : plonger au plus profond de lui-même pour y retrouver ses semblables.
On lui a parfois reproché son élitisme, pourtant il a fait ce que font tous les grands artistes : plonger au plus profond de lui-même pour y retrouver ses semblables.
" Mon but est de plus en plus que mes photographies ressemblent à des photographies, qui ne seront pas vues à moins que l'on ait des yeux pour voir."