Mon âme a eu ce mot..., Abul ʿAla Al-Maʿarri
lu par Jacques Bonnaffé
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbécile ?
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Les hommes ont travesti la vérité,
A telle enseigne que l'ignorant a pris pour prophétie
Fraude et feinte.
Les musulmans trébuchent, les chrétiens sont égarés
Les juifs sont dévoyés, les mages sont dans l’erreur
Nous les mortels nous répartissons en deux catégories
Les crapules initiées et les dévots stupides
Nous sommes dans un monde dont les fondements
Reposent sur la pourriture.
Nous aurions tort, donc, de nous dire pourris.
Peut-être dans le temple se trouverait-il des gens
Qui procurent la terreur à l’aide de versets
Comme d’autres dans les tavernes
Procurent le plaisir
L’homme peut-il s’enfuir
Du domaine de son Seigneur ?
S’échapper de Sa terre et de Son ciel ?
Les os sont-ils rien d’autre
Que frondaison des branches ?
La sève est-elle autre
Que sang fraîchement versé ?
Comment passer une heure dans la joie,
Sachant que la mort est mon créancier ? (p. 24)
Je déplore mon insuffisance,
Mais ce qui m'apparaît des autres
Me console.
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est très claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbécile ?
Et ma tâche est semblable au corbeau noir de plumes,
A l'aile d'une nuit qui n'en finirait pas.
Que si quelque poète écrivait mes tracas,
Noire serait l'aurore au contact de sa plume.
Les musulmans ont commis des fautes,
Les chrétiens se sont écartés du droit chemin,
Les Juifs errent dans la perplexité
Et les mages ont été égarés.
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Vis dans l'avarice,
Comme les gens de ce siècle qui est tien,
Et sois stupide,
Car stupide est le temps, de toute éternité.