Ensuite il parcourut une grande distance en mer, et bientôt, comme leur avait dit le messager, les moines aperçurent une étendue de terre haute et lumineuse. Ils l'atteignent sans délai et accostent. Tous, sans peur aucune, s'empressent de descendre, et tirent le bateau à sec. Ils remontent lentement le long d'un cours d'eau en traînant leur bateau avec des câbles. A la source du ruisseau se dressait un arbre blanc comme le marbre aux larges feuilles tachetées de rouge et de blanc. L'arbre s'élevait à perte de vue jusque dans les nuages. De la cime jusqu'au sol, il était recouvert d'un branchage touffu et de grande envergure, qui projetait au loin son ombre et masquait la lumière du jour. Les branches étaient toutes couvertes d'oiseaux blancs : personne n'en a jamais vu d'aussi beaux.
Champs-Elysés, Walhalla, Île des Bienheureux, Atlantide, Eden, Nouvelle Jérusalem, Avalon, Eldorado, Utopie - autant de noms évoquant une même vision qui hante l'homme de tous âges et de toutes cultures - rêve d'un Autre Monde, d'un Paradis Perdu où ni la mort ni la corruption ne touchent à la plénitude ou à la quiétude d'une vie éternelle. Cet Autre Monde peut, suivant ses différents cadres mythologiques, si situer au ciel, sous terre, aux antipodes, sous la mer, sur une île, de l'autre côté d'une montagne. Région plantureuse, riche en palais et pavillons construits en or ou en argent, et parfois sertis de pierres précieuses ; la musique y est divine ; le chant des oiseaux d'une harmonie exquise ; le lait et le vin y coulent dans les ruisseaux les arbres sont lourds de leurs fruits qui ne pourrissent jamais ; les tempêtes ne l'assaillent pas et de douces brises la caressent ; c'est bien la demeure des dieux et des bienheureux. L'accès à ce lieu si béni n'est point facile, et pour y arriver il faut passer une mer dangereuse, ou traverser une rivière pleine de mystères, affronter des gardiens monstrueux, ou plaire à des fées ou à des dieux. Beaucoup cherchent à y être admis, mais peu d'élus réussissent à y pénétrer.
La vision de l'Autre Monde fut très répandue chez les Celtes qui en reconnaissaient dans leurs légendes plusieurs manifestations, et qui chérissaient surtout la notion d'un Paradis terrestre placé dans les océans occidentaux sur les îles dites les Îles Fortunées. C'était là que se rendaient les héros, appelés par leur désir de voir ce lieu magique, ainsi que d'autres mortels convoqués par les dieux mêmes. D'ailleurs l'Autre monde des Celtes est le plus souvent l'objet d'une quête menée dans le cadre d'un voyage et articulé par l'entremise de la forme appelée immram par les irlandais ; de ce genre littéraire le voyage sert d'arrière-plan à des aventures fantastiques, et le point culminant est la visite du paradis terrestre.