BELTRÁN : Mais même si elle n'en connaissait aucun d'aussi parfait, avoir mauvaise langue est-ce un défaut négligeable ?
DON JUAN : Toi-même, en ce moment, ne médis-tu pas de lui .
BELTRÁN : Non, je dis ce que je pense.
DON JUAN : On ne doit pas dire toujours ce que l'on pense.
(BELTRÁN : Y cuando no conociera
otro en perfección igual,
aquesto de decir mal
¿ es defecto corno quiera ?
DON JUAN : ¿ Y no es eso murmurar ?
BELTRÁN : Esto es decir lo que siento.
DON JUAN : Lo que siente el pensamiento
no siempre se ha de explicar.)
Acte I.
BELTRÁN : Lorsque quelqu'un a dit du mal, en retire-t-il quelque bien ? Ce sont ceux qui l'écoutent le mieux qui lui veulent le plus de mal ; chacun se dit en effet, en entendant le médisant : « Cet individu en dira autant de moi dès que j'aurai le dos tourné. » Si donc celui dont il médit vient à l'apprendre, chose facile, à quelle table s'assied-il avec plaisir, quel lit pour lui est-il sûr ? Il y a toutes sortes de vicieux que les gens ne détestent pas, mais tout le monde fuit soigneusement le médisant. L'infortune du méchant le plus endurci inspire de la pitié ; mais le médisant peut aller à tous les diables à la grande joie de tous.
Acte III.
DON JUAN : Maudit soit le vil argent à cause duquel ni l'honneur ni la réputation ne sont en sûreté.
JACINTA : La bouche menteuse encourt si vil discrédit que sur sa langue seulement la vérité est suspecte.
LA VÉRITÉ SUSPECTE, Acte III.
BELTRÁN : Tu dis que tu es au désespoir ; mais tu ne cesses jamais de soupirer pour doña Ana : que fais-tu donc de plus quand tu espères ? Crois-tu que l'espérance est quelque drogue qui nous vient du Japon ? Espérer, c'est penser que nos désirs pourront enfin se réaliser : celui qui adit pour qu'une chose soit, est convaincu qu'elle peut être.
Acte I.
CELIA : Il est vrai qu'il n'y a pas grand mérite à persuader qui ne demande qu'à l'être.
Acte III.
DON JUAN : Celui qui gagne aux dés peut amener un coup perdant.
BELTRÁN : Veux-tu dire que le point perdant c'est tomber sur une femme quémandeuse ? Si telle est ton appréhension, tu ne vivras de ta vie dans un lieu habité, car où trouveras-tu un homme ou une femme qui ne demande rien ? Quand tu entendras crier : « De la toile ! » à un colporteur, cela veut dire : « Donne-moi de l'argent, si tu veux ma toile. » Le marchand dit clairement sans parler : « Donne-moi de l'argent et tu pourras emporter ce qui te plaira. » Tout le monde, à ce que j'imagine, demande quelque chose, car pour vivre on est forcé de donner et de demander, chacun à sa façon : la sacristain avec sa croix, le curé avec ses répons, le monstre de foire avec sa dégaine, avec sa force physique le travailleur manuel ; l'alguazil avec son bâton de justice, avec sa plume le notaire, l'artisan avec sa main, et la femme avec son minois. Et celle-ci, qui demande plus que tous les autres, le fait d'autant plus justement qu'elle donne plus que quiconque et que c'est elle qui peut le moins.
Acte I.
TRISTÁN : Celui qui se précipite sur la foi des apparences tombe souvent dans un marais recouvert d'une herbe verte et perfide.
LA VÉRITÉ SUSPECTE, Acte I.
DON GARCÍA : Cessons de régenter le monde. Que me dis-tu des femmes ?
TRISTÁN : Tu passes tout de go du gouvernement du monde à celui de la chair ? Est-ce plus aisé ?
DON GARCÍA : C'est plus plaisant.
TRISTÁN : As-tu un cœur sensible ?
DON GARCÍA : Je suis jeune.
TRISTÁN : Eh bien, tu pénètres aujourd'hui en un lieu où Amour ne reste pas oisif. Dans cette ville de Madrid resplendissent de belles dames de la façon dont au ciel étincellent les étoiles. Vices, vertus, positions sociales diffèrent, de même que varient l'influence, l'éclat et la grandeur des astres. Je n'ai pas l'intention d'inclure dans ma liste les grandes dames, anges que même la pensée ne saurait effleurer. Je te parlerai seulement de celles qui, de cœur frivole, sont humaines, quoique d'une beauté divine ; corruptibles, quoique étoiles. Tu verras de belles femmes mariées, abordables et d'un commerce agréable ; je les appelle planètes parce que leur éclat est le plus vif. Celles-ci, grâce à la conjonction de maris complaisants, font naître chez les étrangers un penchant à la générosité. Il y en a d'autres dont les maris vont s'acquitter d'une mission, ou sont aux Indes, ou retenus en Italie. Sur ce point, elles ne disent pas toutes la vérité, car mille fines mouches font semblant d'être mariées, pour jouir de leur liberté. Tu verras les jolies filles d'occasion de circonspectes entremetteuses ; celles-là sont des étoiles fixes et leurs mères étoiles filantes. Il y a un très grand nombre de prostituées de haut vol, qui parmi les courtisanes sont astres de première grandeur. Après elles en viennent d'autres qui aspirent à le devenir, et, sans valoir les premières, sont préférables aux racoleuses. Celles-ci sont des étoiles qui brillent d'un moindre éclat ; mais au besoin tu devras t'éclairer auprès d'elles. La racoleuse, je ne la compte pas au nombre des étoiles, car c'est une comète ; sa lumière falote, et le lieu de ses stations inconnu. Elle offre ses services le matin, mettant les bourses en péril, et dès qu'elle les a vidées, disparaît sans crier gare. On rencontre des filles qui cherchent à profiter de toutes les occasions : ce sont des météores qui, tant qu'ils passent, brillent. Il faut que tu saches, si tu touches à ces étoiles, que bien peu sont fixes, leur donnât-on tout l'or du Pérou. N'ignore pas plus que moi qu'il n'y a qu'un seul signe de la Vierge, mais trois avec des cornes : le Bélier, le Capricorne et le Taureau. Ainsi donc, sans te fier à elles, n'aie en tête qu'une pensée : c'est que l'argent est le centre de gravité de toutes ces étoiles.
LA VÉRITÉ SUSPECTE, Acte I.
DOÑA ANA : Celia, si don Juan était mieux tourné et avait un visage plus avenant !
CELIA : Comment ! Une femme aussi sage que toi s'attache à ces choses ? Ne vois pas chez l'homme la beauté ou la prestance. […] Ce qui est sensible à la vue est un trésor pour les jeunes filles de peu de cervelle, et c'est la raison pour laquelle elles tombent le plus souvent sur un âne d'or. […] Il est évident que bien qu'au début les yeux remarquent la beauté ou la laideur, avec l'habitude ils n'éprouvent plus ni plaisir ni ennui à se poser sur un visage agréable ou vilain.
Acte II.