Citations de Kaa (40)
Qu'est-ce donc cette mélasse où ça partait de tous les côtés ? De chasseur, je commençais à me transformer doucement en gibier. En faisan rôti dans une assiette.
- Avant, j'étais plutôt un homme des trottoirs ; mais la campagne, je suis converti. C'est tellement plus sain.
- Oui. On peut y tuer beaucoup plus facilement, confirmai-je. Il y a tellement d'endroits déserts dans ce pays ; on n'image pas.
Serge sortit le Colt de sa poche et tira une seule balle qui traversa la gorge d'Abel, ricocha sur la carrosserie de la BX en faisant un bruit épouvantable. Un effrayant flot de sang sortit de la bouche et de la gorge d'Abel.
Serge rentra dans sa poche le.45 et demeura sidéré : ça n'avait, ce coup sourd et gras, ameuté personne.
Nous fîmes donc très longuement l'amour, entre Walther PPK 7,65 et Winchester 44x40. Remède excellent contre les états de tension extrême : faire l'amour. Mais le Walther PPK aussi finalement.
Avec son manteau de cuir en juin, la crevure devait crever. Le snobisme des tueurs est une affaire qui n'est pas élucidée.
Mais il est essentiel dans notre métier, de ne jamais tirer sur un flic. Ça les rend fous, notoirement. Ça leur réveille, à juste titre, des instincts de vengeance. Dans notre cas, il est parfaitement contre-indiqué d'avoir au cul l'instinct de vengeance de la Brigade de Recherche et d'intervention.
Si elle croyait que j’étais con à ce point-là, c’est qu’elle fréquentait trop d’intellectuels de la nouvelle droite : ça peut vous perdre.
Massacre à la tronçonneuse était une gaminerie à côté du massacre entrepris par Delphine, car ici, il n'y avait pas de cris, mais seulement des quantités fantastiques de sang partout. Silence terrifiant, bruit du sang.
Je ne peux pas arriver à maîtriser la haine que je voue aux maîtres chanteurs. Encore pire, je crois, que celle que je voue aux macs. Le temps commençait à tourner, la durée dure, comme dirait Henri Bergson, notre bon maître. Notez que je n'aime pas tellement Bergson : un peu philosophie de salon, vous ne trouvez pas ? La durée n'a de sens que pour les gens qui s'emmerdent : au lieu de parler de leur emmerdement, ils parlent seulement de la durée de leur emmerdement. Critique pertinente, assurément, mais bon.
Je venais de tuer un (ex) ami. Vu le bruit épouvantable de la Winchester dans la nuit calme, adorablement baignée par la lune, il me restait à foncer vers le break ford 2, 3 litres de Jérémie, en priant pour que, comme à son habitude, les clés soient au tableau de bord.
Elles y étaient. Je vis Corinne qui allumait la lumière dans la cuisine et j'entendis le début de son hurlement. Je manoeuvrai à toute vitesse le break, mis pleins phares et traversai la cour en écrasant une table d'été et un vélo de gamin.
J'étais complètement glacé en arrivant à l'Alpine. J'avais beau me dire que Corinne ferait une veuve exceptionnelle, ça ne me faisait aucun bien.
Avec ses bagnoles maquillées, Jérémie les faisait vivre dégueulasse, mais vivre. Il avait juste un défaut : il était le seul à connaître mon adresse, mon nom, ma couverture. Tout, quoi. On peut mourir de ces choses-là. La preuve.
Elle avait croisé ma nocturne, triste et inutile randonnée dans Paris, cette ville hostile que je hais. (p. 27)
À l’heure où paraît ce livre, Kââ nous a quittés.
Récemment encore, déjeunant avec un critique spécialisé, j’essayais d’expliquer l’importance capitale et l’originalité de cet auteur dans le panorama du roman policier.
Les sourcils froncés par un douloureux travail de réflexion, mon interlocuteur finit par accoucher d’un : « Oui, je vois, c’est quelqu’un qui écrit à la façon d’Ellroy. »
J’hésitai entre la fureur et l’intense fatigue qui me saisissent immanquablement quand je commets l’erreur d’entamer une discussion avec un « spécialiste ».
Kââ, Pascal Marignac de son vrai nom, écrivait à la manière de Pascal Marignac. Il avait inventé « Ellroy » bien avant que les Français n’entendent prononcer la première syllabe du patronyme de cet auteur américain aujourd’hui vénéré à l’égal d’un dieu… Je serai tenté de dire aujourd’hui que les Français avaient leur « Ellroy » bien à eux, et cela depuis longtemps… mais n’avaient pas daigné s’en apercevoir !
Quoi de plus banal ? Je n’ai pas l’admiration facile. La plupart du temps, les divinités polardeuses vantées dans les gazettes me laissent froid, mais il y a de cela une quinzaine d’années, j’avais été frappée par la puissance glacée, cruelle, de l’écriture de Pascal Marignac, et sa haute tenue littéraire. Parlant de lui à un éditeur, j’avais déclaré : « C’est l’Etranger de Camus, version roman noir… »
Aujourd’hui encore je pense que c’est la meilleure définition qu’on puisse donner de Pascal, qui était, par ailleurs, philosophe de formation.
Pas un philosophe tranquille, loin de là ! Plutôt un critique acerbe et sans illusion de l’Homme et de la société. Aucune baudruche idéologique ne parvenait à le berner. Une sorte de rictus voltairien ne le quittait jamais, et c’est sans doute ce scepticisme décapant qui effrayait les gens de l’édition. Il n’était pas dupe, dans un monde où les faux-semblant, les paillettes et la poudre aux yeux sont monnaie courante.
Mal à l’aise sous son regard, les plumitifs préféraient l’ignorer. On lui en voulait de ne pas jouer le jeu de la brosse à reluire. Cela lui valut d’être tenu à l’écart. A mon arrivée au Masque, une de mes premières initiatives a été d’entreprendre la réédition de son œuvre.
C’était pour moi un coup de cœur de lecteur.
Son œuvre est effrayante. Il ne s’agit pas d’un esprit bon enfant, à la Stephen King, tout en effets spéciaux hollywoodiens, mais d’un effroi glacé, intellectuel, d’un paysage mental condamné au non-ressentir, à l’absence totale de sentiments. Petit Renard, qu’on va lire d’ici quelques pages, en est l’exemple lumineux. Un exemple qui brille avec la puissance d’un scialytique.
Si le personnage d’Hannibal Lecter m’a toujours laissé de glace, parce qu’excessivement chargé (et à mon sens brossé au second degré), celui du Petit Renard m’a profondément mis mal à l’aise.
Quelle désespérance que celle habitant ce tueur étranger à lui-même ! Fantôme errant parmi les vivants. Ce mort-vivant qui sème la mort avec, peut-être, le secret espoir qu’on le tuera un jour pour que tout cela finisse. Tout cela, c’est quoi ? Le désespoir ? Même pas, l’ennui, peut-être, l’ennui métaphysique et la conscience de l’absurdité.
Pascal Marignac nous a quittés. Pour parler le jargon des critiques, je dirai que « le roman noir a perdu son Paul Auster ». Peut-on faire plus bête ?
Je sais que Kââ ne m’en voudra pas, il était, comme moi, sans grande illusion sur l’univers de l’encre et du papier.
Je resterai un de ses fans et je continuerai à relire ses livres avec la même jubilation.
Saisissez aujourd’hui la chance qui vous est offerte, loin des battages médiatiques, découvrez enfin LE meilleur auteur de roman noir de ces vingt dernières années.
Serge Brussolo, préface
Le moment le plus étonnant avait été celui où le pieu de fer, ayant traversé tout au long le corps nu de Gunther Schodan, était apparu, pointe brillante au fond de la bouche ouverte sur un effroyable cri muet.
Berthier dit quelque chose et Éric Le Hideux se traîna jusqu’à la vieille machine à écrire grise Triumph pour relire les dernières phrases de son rapport. Quoi, déjà ? Ah oui, la bagarre dans le bal et les deux connards avec des couteaux de parachutistes et des bouteilles de bière vidées autour d’eux et le jeune de Laguiole blessé au poumon et les reins pétés contre l’estrade de l’orchestre.
«... et avons constaté que Dumas Émile, né à Rodez le 12 mai 1964 de Dumas André et Bergère Simone, avait été frappé à l’abdomen par... »
Je ne vous comprends pas, je m'obstine à ne pas vous comprendre. Une première fois, vous ne me déglinguez pas et maintenant, vous me sortez d'une vraie merde. Pourquoi ? Je représente évidemment ce que l'humanité peut faire de pire. Tueuse, passe encore, mais aussi lesbienne, ce qui est inexcusable.
Je vidais le chargeur de l'Armalite : il ne faut donc pas déclencher les puissances nocturnes et bestiales. (p. 259)
— Tu aurais dû rester couché, Pap’.
Le sourire triste à la bouche très large sur les dents très blanches d’un type qui doit mesurer à tout chier un mètre soixante. Il doit se demander jour et nuit comment son sperme a fabriqué mes deux mètres et mes cent dix kilos. Il est vrai qu’il n’y a pas de réponses nettes aux caprices de la génétique.
Depuis qu’il est dans ce ranch Q&Q au-dessus de Lysite, Pap’ va mieux.
- Parlez-moi de votre oncle, dis-je à la fille.
- Je ne sais pas énormément de choses à son sujet. C'est le frère de mon père.
Certes. Un oncle, en général, c'est un peu comme ça.
- Tu es qui ?
- Le destin.
Munich est un endroit prodigieux, sorte de substance contradictoire de l’Allemagne, lieu cruel et clair, absolument baroque. Sous une espèce d’indolence, l’extrémisme mental est dans toutes les têtes et peut mener le monde entier aux pires démences. Qu’on ne vienne pas dire que la bière qui coule partout n’est pour rien dans cette folie calme, très capable de devenir monstrueuse.