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Critiques de Renaud (II) (104)
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D'encre et de sang, tome 1

Le scénario est bien écrit et j'aime bien le style de dessin. Cette BD m'a tellement plu que je devais à tout prix lire le tome 2 !! Et il faut dire que le tome 2 est tout aussi excellent !! D'encre et de sang, c'est l'histoire poignante de Bruxelles aux des derniers jours de son occupation. Une histoire sous forme de BD si déchirante et captivante. Ces deux BD méritent amplement leurs 5 étoiles selon moi !







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Jessica Blandy, tome 23 : La chambre 27

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica (2003) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2004, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.



Dans un hôtel à étages à New York, un homme torse nu et pieds nus, monte les marches dans la cage d'escalier, vide de tout être humain. Il arbore des tatouages tribaux sur le visage, les bras et les jambes. Dans la salle de bains d'une chambre, un homme habillé et chauve est assis sur le rabat des toilettes, une arme à feu automatique dans la main droite : il attend. Le visiteur nu pied parvient à la chambre 27, ouvre la porte et pénètre dans la pièce. L'autre fait feu sur lui, une explosion se produit soufflant toute la chambre. Ailleurs à New York, dans une rue, Jessica Blandy s'adresse à un afro-américain désœuvré et lui demande s'il connaîtrait un type qui joue de l'harmonica. La question semble un peu vague. Une limousine s'arrête : un homme d'une soixantaine d'années en descend, vêtu d'un costume impeccable. Il se présente à Jessica Blandy : il s'appelle Orz et travaille pour Josuah Hartfish. Il lui tend un carton dont il lui laisse prendre connaissance : un rendez-vous pour le lendemain midi au Hartfish Building devant le tableau de Jackson Pollock. Il reprend le carton, indiquant que Jessica doit mémoriser le message, et remet un billet de cent dollars à l'interlocuteur de Jessica, puis remonte dans à l'arrière de la limousine et s'en va.



Bien évidemment, Jessica Blandy n'a aucune intention d'honorer une telle invitation aussi incongrue. Bien évidemment, elle se trouve devant le tableau de Pollock le lendemain à l'heure dite, et elle répond à la question du portier conformément à la consigne portée sur le carton : dîtes-moi ce que vous en pensez ? Elle détecte facilement qu'il s'agit d'une copie. Le portier prend un autre carton sur lequel il inscrit les coordonnées du lieu où Hartfish attend sa visiteuse : une réception la toiture en terrasse d'un immeuble. Sur place, Parmi les invités, elle a la surprise de se faire interpeller par Victoria Charman dont elle avait la connaissance lors d'une affaire particulièrement éprouvante aux environs de la Nouvelle Orléans. Alors qu'elles sont en train de s'embrasser, c'est au tour de Gus Bomby de venir saluer Jessica. Enfin, Josuah Hartfish vient se présenter : il est ravi de faire la connaissance de Jessica dont Victoria lui a loué les qualités. Celle-ci a accepté d'apporter son aide à Hartfish en occupant la chambre 27. Dans une autre partie de la ville, un homme observe une autre chambre 27, depuis l'immeuble de l'autre côté de la rue. Il voit un individu torse nu qui se tient au pied de l'immeuble dans la ruelle et qui commence à escalader la façade. Il prévient deux individus qui patientent dans une voiture et qui en sortent immédiatement pour arrêter l'individu en train d'escalader.



L'horizon d'attente du lecteur est établi avant même de commencer la première page : Jessica Blandy doit être au centre de l'intrigue, sans pour autant tout résoudre toute seule, il y a des crimes sordides, un peu de folie humaine induisant une forme d'irrationalité ordinaire ou peut-être teintée de surnaturel, et une narration visuelle très concrète et réaliste. Le scénariste a choisi de construire son intrigue sur une sorte de légende urbaine : la mort tragique d'une enfant à 9 ans, un culte irrationnel qui repose sur la croyance qu'elle peut être ressuscitée, que d'une certaine manière elle attend de revenir à la vie par un sacrifice. La folie est bien présente : ces individus convaincus qu'ils doivent se sacrifier pour permettre ce retour, sans explication de leur motivation, ou de la nature du culte. Le lecteur a l'habitude de ce type de dispositif dans la série car elle se focalise plus sur les moments irrationnels que sur la manière dont ces croyances naissent, se développent, s'organisent. Jessica Blandy est bien présente tout du long comme à son habitude : elle accepte de prévenir le prochain sacrifice en aidant son amie Victoria Charman. Cette dernière a été embauché par un riche propriétaire possédant l'une des chambre 27, parce qu'il estime qu'elle dispose d'un don, une sensibilité au surnaturel. Il en va de même pour l'embauche de Jessica pour cette mission. À nouveau elle va de personnage en personnage, apportant son aide parfois par sa simple présence, parfois par une réflexion, parfois en agissant, sans être une héroïne autour de qui tout tourne, ou qui résout tout par sa force de caractère ou ses capacités physiques extraordinaires.



Le lecteur se réjouit à l'avance de pouvoir visiter des lieux uniques, divers et variés. Comme à son habitude, le scénariste conçoit le déroulement de son intrigue, de manière que les personnages ne restent pas cantonnés à une pièce ou une adresse. Renaud peut donc laisser s'exprimer son plaisir de représenter des environnements, là plus urbain, et des intérieurs. Dans ce registre, cela commence avec le palier de l'hôtel, l'escalier et sa rambarde métallique, le parquet du couloir. Puis viennent la salle d'exposition du musée avec une toile de Pollock, le salon de la demeure de Josuah Hartfish avec les deux canapés blancs en vis-à-vis, l'atelier d'un tatoueur, le long comptoir d'un bar huppé, un diner à l'aménagement très fonctionnel se démarquant un peu avec les tableaux accrochés aux murs, le magnifique hall de la réception de l'hôtel Daytona avec son sol en marbre, les plinthes, les colonnades, l'aménagement luxueux de la chambre 27 de cet hôtel avec le marbre au mur et les draperies, ou encore l'atelier de travail du journaliste Minsat avec sa grande verrière offrant une vue apaisante sur une grande pelouse plane. Le dessinateur promène également le lecteur à l'extérieur avec une attention particulière aux détails : les blocs d'une arche de pont en pierre, la vision des gratte-ciels entourant le toit en terrasse où se tient la réception de Hartfish, les barnums abritant les buffets de la réception, les ruelles étroites avec les façades austères des immeubles, la piscine et la pelouse de la villa Harfish où Jessica et les autres prennent une collation avec une attention particulière portée aux meubles de jardin, la rue du quartier populaire où un cadavre pend depuis les fils électriques, le quartier industriel avec ses vitres brisées et ses façades décrépites, et la discussion entre Jessica, Victoria et Minsat assis sur un banc à Central Park, à côté du bassin de la fontaine Bethesda.



Chaque planche se présente comme une prise de vue naturaliste dont le lecteur perçoit la narration au premier coup d'œil, et découvre la richesse en lisant chaque case. Il peut apprécier le jeu naturaliste des acteurs, sans exagération romantique ou dramatique. Là aussi, il peut s'attacher aux détails s'il le souhaite. Il peut par exemple prendre plaisir à suivre l'évolution des toilettes de Jessica, depuis son ensemble pantalon et tailleur crème avec un bustier blanc au début, à un manteau chaud de demi-saison, avec une jupe et des bottes montant au-dessus du genou à Central Park. Il peut admirer le chic des complets de Hartfish, ou même les tatouages des différents candidats au sacrifice. Comme d'habitude dans cette série, la nudité est présente et représentée sans hypocrisie. C'est le cas pour un portrait en pied de face d'un des hommes dénudés, ou encore la poitrine d'une prostituée. Il ne s'agit pas juste de titiller le lecteur, mais de montrer cette obsession de la pureté, de la transparence pour certains personnages.



Le lecteur s'immerge donc avec la même facilité que d'habitude dans ces différents lieux, côtoyant des individus plausibles et très humains. Il constate que le scénariste référence plusieurs histoires passées de son héroïne : Jessica Blandy, tome 10 : Satan, ma déchirure (1994) où apparaissait Victoria Charman pour la première fois et où Jessica acquérait une répulsion physique pour les œufs, ainsi que le tome précédent, à la fois avec Jessica à la recherche de l'homme à l'harmonica et ses pertes de mémoires. Peut-être que Dufaux avait déjà décidé qu'il s'agirait de l'avant dernier tome de la série, ce qui explique son souhait d'évoquer une partie du passé de la série, et d'y faire figurer des personnages semi-récurrents. Le lecteur reste quand même sur sa faim avec la présence de Gus Bomby : finalement impossible de savoir pour quelle raison il est présent à la réception de Josuah Hartfish, et sa personnalité n'apporte rien au récit, il aurait pu s'agir de n'importe qui d'autre. Arrivé à la fin, il découvre également qu'il s'agit d'une histoire en deux parties qui se termine donc dans le tome 24. Cela participe à la frustration qu'il peut éprouver quant à la minceur de l'intrigue dans ce tome. Il est entendu que le scénariste n'est pas tenu de tout expliquer, car ce n'est pas dans la nature de la série, ce n'est pas dans l'horizon d'attente du lecteur. Mais que reste-t-il de l'histoire ? Le malaise des comportements irrationnels, la violence des meurtres, l'insondabilité de l'esprit humain.



Ce tome laisse un goût étrange, d'incomplétude. Renaud réalise des planches impeccables comme à son habitude, qu'il s'agisse des personnages et encore plus des lieux, avec un naturalisme évident, sans affectation artificielle. Le scénariste reste dans les paramètres habituels de la série, mais avec une intrigue éthérée, incomplète puisque ce n'est que la première partie, et insatisfaisante pour ce tome.
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Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2003, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.



À New York, un homme blanc à la chevelure brune, marche dans la rue sous la neige, en tirant quelques notes de son harmonica. Blue Harmonica s'arrête de marcher et de jouer devant monsieur Chance, seule autre personne dans la rue. Ce monsieur en habit de soirée avec un chapeau haut de forme lui demande quel air il jouait : c'était un vieil air de Muddy Waters. Chance continue : il donne un nom à Harmonica, celui de Louis Berich. L'homme se trouvera à la station Subway City Hall. Il remet un paquet à Harmonica. Ce dernier le prend et se rend à la station de métro. Elle est déserte, à part un individu affalé contre un mur sur le quai. Il vérifie que c'est bien Louis Berich, lui tire dessus à bout portant, puis jette l'arme sur les rails. Le nom de Louis Berich est apposé sur la crosse, par une petite plaque vissée. Peu de temps après une équipe de police est sur place pour enquêter avec la commissaire Douglas, et l'inspecteur Traum qui tousse un peu. Ce dernier récupère le pistolet sur les rails, et constate la présence du nom. Il reste à vérifier qu'il correspond bien à celui de la victime.



Jessica Blandy est en train de prendre son petit déjeuner dans un diner, tout en appréciant l'air d'harmonica joué à l'extérieur. Ça ressemble à du Mattias Hellerg. Elle en fait part à sa voisine qui n'avait même pas écouté. Jessica se lève et sort, regrettant de quitter cette jeune femme aux jolies jambes. À l'extérieur, le joueur d'harmonica l'aborde en lui demandant si elle s'appelle Stella Lamb. Il s'en suit un court échange au cours duquel il lui confirme que c'est bien lui le joueur d'harmonica. Elle continue son chemin, et lui le sien. Jessica Blandy se retourne en entendant le bruit d'une détonation et se met à courir vers le diner. Elle découvre le cadavre de Stella Lamb, étendu sur la neige, devant une voiture stationnée sur le parking. Un peu plus tard, assise dans le diner, elle essaye de répondre aux questions de Douglas et Traum : elle se rend compte qu'elle est incapable de décrire l'homme avec qui elle a échangé quelques mots, comme s'il y avait un trou dans sa mémoire. Le soir en s'endormant, elle constate qu'elle ne parvient même pas à se souvenir de son visage. Le lendemain, Blue Harmonica rencontre à nouveau monsieur Chance. Il lui indique qu'une femme l'a vu. Chance lui répond de ne pas s'en préoccuper, qu'elle ne se souviendra de rien, qu'elle ne figure pas dans ses listes. Il lui donne le nom d'une autre personne à abattre : Leigh Cardogan III.



La séquence d'entrée établit directement que ce récit fonctionne avec une touche de surnaturel. L'individu appelé Blue Harmonica (c'est son vrai prénom ?) est un tueur qui travaille pour un étrange monsieur Chance (c'est son vrai nom ?) qui lui donne des noms. La touche de surnaturel est confirmée avec le pistolet dont la crosse porte le nom de la victime. Ce n'est pas la première fois que le scénariste introduit un tel type d'élément. Ici, le lecteur découvre qu'il y a une sorte d'organisation qui reste entièrement mystérieuse et qui perpétue la fonction d'assassinat sur la base d'un critère qui est explicité. L'artiste ne dessine aucun élément surnaturel de type spectre, apparition ou phénomène magique inexpliqué. Il reste dans un registre naturaliste tout du long, Blue Harmonica étant un homme de taille normale à la morphologie normale, sans rien de remarquable, avec une belle chevelure noire, un air un peu romantique et vaguement inquiétant. Il s'agit donc d'un élément de nature métaphorique, incarnant l'envie suicidaire. Du coup, les noms étranges font sens, désignant une fonction ou une caractéristique. Ce dispositif narratif fonctionne bien et permet à l'auteur d'évoquer une forme tranchée d'euthanasie, particulièrement transgressive. Encore que les actes de Blue Harmonica puissent se lire des deux manières : comme une délivrance bienvenue, ou comme un crime, c’est-à-dire en sous-entendu, une condamnation morale de mettre un terme à une vie, même si c'est le vœu le plus cher de la personne concernée.



Une fois accordé le supplément de suspension d'incrédulité, le lecteur retrouve avec plaisir Jessica, à nouveau au cœur d'une affaire de meurtres en série. Cette fois-ci, c'est personnel, enfin encore plus que d'habitude. Non seulement Jessica couche avec le tueur présumé, mais en plus, il est vraisemblable qu'elle est sur sa liste. Dufaux s'amuse bien avec cette incertitude. Il confronte son héroïne au fait qu'elle n'arrive pas à se souvenir du visage de celui à qui elle a parlé. Une fois intégré le dispositif de la métaphore, le lecteur peut y voir le fait que Blue Harmonica incarne pour elle un traumatisme qu'elle a préféré refouler, ou plutôt une épreuve qu'elle a traversée, acceptée et dépassée. D'ailleurs Blue explicite clairement le traumatisme dont il s'agit : Jessica contrainte à la prostitution la plus glauque dans [[ASIN:2800134860 Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema]] (1990). S'il a suivi la série depuis le début, le lecteur se souvient encore de ce passage des plus éprouvants, et la fonction de Blue Harmonica s'en trouve nourrie, devenant très concrète, plus compréhensible. Il comprend la raison pour laquelle Jessica Blandy estime que quelqu'un a troué sa mémoire, pour quelle raison personne ne se souvient de Blue Harmonica, car il s'agit d'un souvenir réprimé.



Comme d'habitude, la narration visuelle de Renaud rend chaque scène évidente et solidement ancrée dans la réalité. Plus les tomes passent, plus l'artiste sait allier sa mise en couleurs avec ses traits d'encrage très fin, pour une belle complémentarité. Il continue à se montrer très minutieux dans ses descriptions ce qui donne une narration très factuelle, très précise, comme s'il s'agissait d'un reportage. Le lecteur peut admirer son application à montrer chaque environnement : les façades des gratte-ciels, les magnifiques arches en brique de la station de métro (avec des rails un peu trop propres), le diner impeccable dans une structure légère, la brocante dans la rue avec ses objets hétéroclites, le magnifique restaurant dans lequel Harmonica abat Leigh Cardogan III à bout portant, le parc avec quelques restes de neige, la maison en bordure d'océan à laquelle on accède par un ponton, le parc de caravanes et de mobil-homes en mauvais état, etc. D'un côté il y a les traits très précis de Renaud, souvent très droits pour les bâtiments : de l'autre il y a la mise en couleurs à la fois solide et ténue. Certes, il est peu probable que les rails de métro ne soient pas encrassés par la graisse. À part ce moment, les couleurs viennent discrètement apporter une ambiance discrète : la froideur grisâtre des toilettes du commissariat, la froideur un peu plus bleutée de la neige dans les rues, la froideur un peu plus verte de la nature et de la lumière à proximité de l'océan, le jaune pâle presque blanc de la lumière du matin en bordure d'océan sous un soleil encore faible, etc.



Renaud met en œuvre une direction d'acteurs de type naturaliste, permettant de croire à ces individus, en parfaite cohérence avec le scénario. Jessica Blandy apparaît toujours aussi séduisante et agréable, tout en conservant sa part d'ombre. Elle est vêtue de tenues élégantes, un blouson blanc avec un pantalon en cuir, ou un long manteau blanc comme neige, ou encore une nuisette verte. En la regardant, le lecteur peut voir la douceur de son visage, de son expression, bienveillante, mais aussi sa curiosité, parfois sa dureté quand un interlocuteur lui cache des choses, son honnêteté intellectuelle et émotionnelle quand Harmonica vient pour la tuer, le lecteur se rend compte que l'attitude et le visage des autres personnages expriment également leur état d'esprit, par exemple la détermination de Blue Harmonica, mêlée d'une forme de résignation et de mélancolie. Il n'est donc pas surpris quand il se dit préoccupé par sa rencontre avec Jessica Blandy, ou quand il déclare à monsieur Chance qu'il n'a aucun regret.



Arrivé au tome 22, le lecteur sait à quoi s'attendre, et les auteurs tiennent leurs promesses implicites : des meurtres évoquant les actes d'un dérangé, une narration visuelle réaliste soignée, des comportements d'adulte. Il voit bien que Jean Dufaux a développé son intrigue sur la base d'un concept (un tueur liquidant des individus ayant perdu l'envie de vivre), avec en tête des références musicales précises qu'il énonce (Keith Richards, Muddy Waters, John Mayall, Mattias Hellberg, Dylan Thomas). Le résultat fonctionne bien car Jessica Blandy n'est pas qu'un artifice narratif, et le tueur est habité par sa mission. Le lecteur peut donc s'identifier à l'héroïne qui doit se confronter avec un souvenir traumatique, et au tueur qui accomplit une mission honorable. Un polar sondant une facette angoissante de l'humanité.
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Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2002, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 7 qui contient les tomes 21 à 24.



À New York, Forest Dingley, un inspecteur de police afro-américain est en train de s'habiller, alors que Jessica Blandy est encore au lit. Il est en train de regarder une photographie du régiment des Hellfighters, le quinzième régiment d'infanterie en 1917 dont son grand père faisait partie. C'est lui qui s'est occupé de la mère de Forest quand son père a disparu. Un matin, il s'est levé, il a pris ses affaires et il s'est retourné vers son épouse en lui disant qu'il savait maintenant où est la frontière, qu'une sorcière noire la garde, mais qu'il avait une chance de passer. Il est sorti et il n'est plus jamais revenu. Le policier part au boulot, en laissant Jessica profiter de son appartement. Il sort : un ciel pur, des couleurs tranchées. On pourrait s'y tromper. Croire qu'une belle journée vos attend. Pour certains, ce sera une réalité. Pour d'autres une désillusion cruelle ou blessante. Robert Dingley fait partie des autres…



Forest Dingley est un flic, un bon flic même. Mais ce matin-là, comment aurait-il pu deviner que sa vie allait basculer, que lui aussi approchait de la frontière. Il arrive au commissariat et entend un collègue prendre la déposition d'un homme âgé. Le fils de ce dernier a disparu. Kevin Mason, 23 ans, a indiqué à son père qu'il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait, qu'il allait rejoindre la sorcière noire pour se payer du bon temps et que ce n'était pas la peine de l'attendre. Il n'est pas revenu depuis presque deux mois. Dingley indique à son collègue qu'il prend en charge cette affaire. Peu de temps après, il a un rendez-vous avec Charlène Blaine, la conjointe de Kevin avec qui il envisageait de se marier. Comme le père de Kevin, elle indique qu'il ne se droguait plus, mais qu'il avait été recontacté par un individu louche Le soir, Forest Dingley rejoint Jessica Blandy à une soirée. Elle le présente à monsieur Obergast, un individu qui a du mal à accepter qu'elle fréquente un afro-américain. Forest entraîne Jessica dans l'arrière-salle pour rencontrer le Passeur qui se tient derrière le comptoir, dans la pénombre. Dingley pose des questions sur qui aurait pu fournir Kevin Manson en amphétamines de type Blue Bayou, alors que de grands costauds sont arrivés derrière eux, et que l'un d'eux commence à caresser Jessica sous sa robe.



Après une histoire bien glauque de maltraitance sur des handicapés, le duo Renaud & Dufaux met à nouveau Jessica Blandy au contact d'individus au comportement déviant. Cela commence doucement avec cette légende urbaine de l'individu qui décide de tout plaquer du jour au lendemain : de partir de chez lui et de ne plus jamais y revenir, sans donner signe de vie à sa famille, ses parents ou sa femme et ses enfants. Le scénariste déroule son intrigue de manière très régulière : Jessica Blandy et Forest Dingley interrogent un témoin après l'autre, le premier suggérant de contacter le suivant et donnant son adresse, ou peu s'en faut. Bien sûr, il y a des obstacles : un interlocuteur qui a passé l'arme à gauche avant qu'il ne puisse être contacté, et un prix à payer au péril de sa vie. Pour autant, l'enquête progresse de manière implacable. Dufaux joue un peu avec l'écoulement du temps, certaines séquences se suivant dans la même journée, d'autres étant séparées par plusieurs semaines. Le lecteur ne s'en retrouve pas moins accroché par le mystère de ce que peut être cette frontière. Il retrouve avec plaisir Jessica Blandy toujours aussi calme et déterminée, rien ne pouvant entamer sa résolution d'aller jusqu'au bout. Il se prend vite de sympathie pour Forest Dingley, même s'il sait peu de choses sur lui, juste parce que ce personnage jouit du respect et l'amour de Jessica Blandy. Les personnages du Passeur et de la sorcière le font sourire car ils jouent un rôle mystérieux, tout en étant inquiétants par l'emprise qu'ils ont sur d'autres êtres humains.



Le rythme posé de l'intrigue incite le lecteur à prendre le temps de regarder les cases à loisir. L'aménagement de la chambre à coucher de Dingley n'est pas spectaculaire par sa décoration, mais unique par son mur en briques apparentes, les cadres accrochés au mur et un effet d'espace ouvert qui donne à penser qu'il n'y a pas forcément un mur de séparation avec le salon. Le lecteur contemple ensuite une vue sur des façades d'immeubles, avec les réservoirs typiques en bois sur les toits, les façades avec de nombreuses fenêtres toutes identiques, et des gratte-ciels disparates attestant d'un urbanisme de type libéral. Au cours du récit, il peut contempler la ville depuis le trottoir à plusieurs reprises en relevant les détails : le bloc d'air conditionné à l'extérieur sous la fenêtre, une riche demeure dans les faubourgs, une rue déserte avec les échelles métalliques de secours en façade, un quartier résidentiel défavorisé avec une dent creuse (l'équivalent d'un gros pâté de maison en France), et à nouveau une vue un peu éloignée d'immeubles, en pied rendant bien compte de l'échelle des gratte-ciels à New York.



Sur le fil directeur de son intrigue, le scénariste sait faire en sorte de promener ses personnages, chaque nouvelle rencontre se produisant dans un nouveau lieu. C'est un dispositif narratif qui permet d'éviter une forme d'uniformité d'une discussion à une autre, et d'apporter des informations visuelles nourrissant elles aussi l'histoire. Là aussi, les images invitent le lecteur à consacrer un peu de temps : regarder les fonctionnaires de police et les civils dans la grande salle du commissariat, avoir envie de s'assoir à la table de Charlène pour prendre un café avec elle dans cet établissement peu fréquenté à cette heure-là, naviguer de groupe en groupe dans cet hangar industriel reconverti en lieu de fête en détaillant les tuyauteries apparentes et les poutrelles métalliques, s'assoir sur la pelouse devant le fleuve aux côtés de Jessica Blandy pour profiter du calme de la verdure et de la silhouette des gratte-ciels dans le lointain, prendre place à une longue table froide et métallique pour une séance d'un genre très particulier. Renaud est toujours aussi épatant pour décrire des lieux plausibles, concrets, dont l'aménagement entretient une étroite relation avec la scène qui s'y déroule, et une incidence sur le comportement des personnages.



Bien sûr, le lecteur est impatient de retrouver Jessica Blandy : toujours aussi séduisante et toujours aussi endurcie. Cette fois-ci, elle ne se retrouve pas nue, et ne doit subir qu'un pelotage de sein. Elle est toujours aussi magnifique sous le crayon de l'artiste, avec une distinction et une classe naturelle qui en impose. Comme à son habitude, Renaud ne cherche pas à épater le lecteur par des toilettes exquises : il ne fait que montrer que Jessica sait choisir la bonne toilette dans sa garde-robe, une robe très échancrée pour une soirée mondaine, une robe un peu plus sophistiquée pour un dîner, une robe noire stricte pour le deuil, un pantalon et un corsage pour marcher en ville. La direction d'acteur reste dans un registre naturaliste, donnant ainsi encore plus de personnalité à Jessica Blandy, et aux autres. Ces derniers existent avec le même naturel sur la page : Forest Dingley assuré et agréable, Kevin Manson aux abois et fiévreux, Charlène Blaine sûre d'elle avec une magnifique chevelure, sans oublier la sorcière noire jouant son rôle, totalement habitée par ses certitudes. Le lecteur observe Jessica Blandy, et observe avec elle les personnages qu'elle rencontre.



Le scénariste fait reposer la dynamique de son récit sur une disparition et de mystérieux propos évoquant une frontière à atteindre et à franchir, ainsi qu'une mystérieuse sorcière noire. Jessica Blandy et Forest Dingley suivent les traces de Kevin Manson découvrant très progressivement ce qui a pu l'inciter à tout quitter. La nature de ce qu'il cherche n'est révélée que dans l'avant-dernière scène qui dure 9 pages. D'un côté, Jean Dufaux sait bien mettre en scène une envie irrépressible, au point d'en devenir une obsession faisant perdre le sens commun, une forme d'addiction ultime, en même temps que la recherche d'une sensation forte sans égale, en mettant en œuvre des conventions de polars et de thriller. D'un autre côté, le lecteur n'est pas forcément convaincu par le traitement de ces conventions qui apparaissent souvent un peu exagérées, un peu artificielles. La sorcière noire semble singulièrement dépourvue de mystère et de pouvoir de conviction, au point de ne pas être crédible. Les épreuves finales sont bien classiques : elles sont censées acquérir une autre envergure par l'absorption d'un mystérieux breuvage, beaucoup trop mystérieux pour être convaincant, pour dépasser le stade de l'artifice narratif superficiel. En outre, le scénariste ne parvient pas à connecter son récit avec une forme de culture ou une autre, même en citant le Dixieland Jazz band ou Walt Whiteman (1819/1892), et en déclamant des platitudes comme les sortilèges des grandes jungles ou l'esprit libre qui a franchi la frontière.



D'un côté, il est impossible de résister à la narration visuelle de Renaud, toujours aussi élégante et sophistiquée, tout en restant naturelle et discrète. De l'autre côté, la dynamique simple du récit ne suffit pas pour masquer une intrigue manquant de corps.
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Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2001, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Magnum Jessica Blandy intégrale T6 qui contient les tomes 18 à 20.



Un train entre en gare de New York : parmi les passagers qui en descendent se trouve Eugène Palma Robinson, ex inspecteur de police de la côte Ouest dont les intérêts étaient souvent en conflit avec ceux de Jessica Blandy. Il est venu pour traquer une proie : une femme à qu'il veut faire payer ce qu'elle lui a fait subir. Jessica Blandy est assise sur un banc, avec Horneby à ses côtés, un afro-américain d'un certain âge en habit de chauffeur de maître. Il lui explique qu'il travaille pour Miss Lilian, une femme d'un certain âge elle aussi, riche, qui a lu ses livres et qui a été touchée par la compassion pour les marginaux, les rejetés et les exclus, qui s'en dégage. Pendant un temps, elle a fondé et subventionné le centre Hamler, un institut pour handicapés physiques et mentaux, géré par sa fondation. Il a dû fermer suite à un scandale : suite à un appel pour incendie, les pompiers ont découvert trois cadavres menottés appartenant à des patients. De son côté, Robinson est accosté par Moonsie : ce dernier lui indique que Blakie est sorti de son trou et qu'il a peur. Horneby continue : parmi les décombres, les ouvriers ont retrouvé un carnet de notes et une photographie qu'il tend à son interlocutrice. Jessica Blandy la prend et constate qu'il s'agit d'une photographie d'elle nue. Elle accepte de rencontrer miss Lilian.



La nuit, monsieur Robinson a trouvé son contact : madame Moreno. Il l'aborde et lui indique que Jackie est toujours vivant et qu'il a été aperçu récemment : il va les conduire à la femme qu'il cherche et elle va payer. Le lendemain, Jessica Blandy se trouve dans le luxueux salon de Miss Lilian, et Horneby leur sert un verre de vodka à chacune et miss Lilian donne sa version de ce qui s'est passé du scandale de l'institut Hamler et la manière dont elle a mis fin à l'affaire en payant la famille des victimes, fermant les portes de l'institut et renvoyant le personnel. Mais voilà, le souvenir des victimes la hante et elle veut savoir. Elle a songé à engager un enquêteur, mais la présence de la photographie de Jessica et la lecture de ses livres l'ont incité à l'engager elle. Elle met Horneby à sa disposition pour l'aider et lui laisse les carnets. Elle lui suggère d'aller interroger la veuve d'Emmett Walt, le gardien de nuit, et le rédacteur du carnet. De son côté, Eugene Robinson progresse également et il arrive à son rendez-vous dans un salon de billard clandestin où l'attendent trois individus peu commodes. Il a vite fait de les calmer : l'un d'eux lui confirme que Blakie est passé et qu'il cherchait quelqu'un du nom d'Emmett Walt.



C'est le retour du terrible Eugene Palma Robinson, personnage semi-récurrent de la série, commissaire de police aux méthodes très personnelles (comprendre violentes, avec intimidation, chantage et élimination pure et simple si nécessaire), auquel Jessica Blandy s'est frottée à plusieurs reprises, et dans la chute duquel elle a pris part dans le tome Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000). Les auteurs font en sorte que les séquences consacrées à Robinson débouchent sur une case représentant Jessica, comme si sa vengeance était dirigée contre elle. Mais dès le début, le lecteur n'y croit pas parce que le motif de cette vengeance n'est pas explicite et ne semble en rien être rattaché à elle, et que les personnes à la rencontre desquelles il va n'ont aucun lien avec elle. Cela n'empêche pas de piquer la curiosité du lecteur quant à découvrir sa véritable cible et sa motivation. Renaud représente un individu massif, en obésité morbide, avec un double (triple ?) menton, une expression de visage désagréable. Robinson se fait même la remarque qu'il devrait perdre du poids en planche 35. Renaud montre que les gens se tiennent à bonne distance de lui, son allure les repoussant inconsciemment. Son langage corporel monte des gestes effectués à l'économie, c’est-à-dire uniquement dans l'efficacité, sans chercher à impressionner, en faisant mal directement. D'un côté, le lecteur part avec un a priori négatif sur le personnage, de l'autre il l'admire pour son manière professionnelle et compétente dont il procède. Il prend conscience qu'il s'investit émotionnellement dans ce personnage bien incarné.



Le lecteur retrouve évidemment Jessica Blandy avec plus de plaisir car c'est un personnage plus positif, et également l'héroïne de la série. Elle est toujours aussi élégante, avec de belles tenues : une mini-jupe avec un chemisier au décolleté descendant au-dessous du nombril, un pantalon droit avec un chemisier blanc à manche longue, une jupe fuchsia arrivant à mi-cuisse avec un beau blazer, une robe brune fendue assez haut. L'artiste ne transforme ces apparitions en défilé de mode, mais il soigne discrètement les toilettes de Jessica, attestant de son goût pour s'habiller, et de sa conscience de son corps, sans pour autant le mettre en valeur comme un objet publicitaire. Cette fois-ci, elle tient le rôle central dans l'enquête qui mène au coupable. Elle est engagée pour remplir cette mission, ce qu'elle fait avec l'aide du majordome de miss Lilian, pour le coup une dynamique très proche d'un roman policier traditionnel. Horneby l'emmène d'un endroit à un autre en limousine. Elle évolue dans des cercles sociaux ordinaires, sans la misère noire présente dans la plupart des tomes. Il est question de sa nudité, mais sans que le lecteur ne la voie dans le plus simple appareil : cela se limite à une photographie qui n'est jamais représentée dans une case. Elle semble calme et apaisée. Son visage sourit au lecteur à plusieurs reprises.



Même si le récit se déroule presque exclusivement à New York, les auteurs varient les lieux. Le lecteur peut se projeter à chaque endroit grâce aux dessins minutieux et précis avec des détails concrets et réalistes : les escalators de la gare ferroviaire, le banc en pleine rue entre deux pots avec arbuste, les étals du marché découvert, les devantures des magasins dans un quartier populaire, les échelles métalliques de secours sur les façades immeubles, l'intérieur d'une église à l'occasion d'un rendez-vous, la façade d'une autre église à l'occasion d'un entretien sur un banc de l'autre côté de la rue, une énorme structure d'antenne relais métallique, la salle d'un restaurant de luxe, les rues d'un quartier chaud, une zone pavillonnaire. Comme à son habitude, Renaud épate en sachant préserver une lisibilité facile, avec des descriptions détaillées. Le lecteur note que la colorisation est devenue plus évidente, avec de beaux effets. La plupart du temps, Renaud utilise une palette naturaliste et de temps à autre, il se sert des couleurs pour un effet particulier. Dans ce deuxième registre, il y a les cases en fuchsia pour les salles de l'institut quand Jessica lit le carnet de notes : un effet de tension et d'angoisse, évoquant un état d'esprit dégageant une ambiance d'agressivité latente. En planche 22, l'artiste oppose des cases noyées dans le vert d'un revêtement en marbre avec celles proches du pourpre de l'acte violent, pour un contraste saisissant. Il y a également cette scène de deux pages sous la pluie dans une ambiance verdâtre inquiétante.



Les auteurs reviennent avec une fluidité élégante et raffinée aux bases de la série : les crimes atroces commis par un individu anormal. Cette fois-ci, le scénariste a choisi d'affliger le criminel d'une difformité physique, ce qui n'apporte pas grand-chose l'intrigue. C'est le seul élément visuellement sensationnaliste du récit. Il n'enlève rien au fait qu'il n'y a pas d'explication rationnelle à ces actes abjects et barbares. Ils sont le fait de deux individus travaillant en équipe, comme si leurs folies s'étaient révélées compatibles et étaient entrées en résonance, se justifiant l'une l'autre et déclenchant un passage à l'acte très organisé. La réaction corporelle de Jessica Blandy en découvrant ces actes dans le carnet montre leur caractère inhumain sans que le dessinateur ait besoin de les représenter. La détermination farouche de monsieur Robinson agit de même. Cela suffit à convaincre le lecteur, car il a peut-être déjà été confronté à ce genre de crimes dans les gros titres des journaux. Les auteurs savent montrer que les deux criminels agissent sous le coup d'une conviction relevant de la pulsion qui ne peut pas être raisonnée, et aucunement maîtrisée. Ils brisent une des principales lois morales qui est de ne pas faire du mal à autrui, encore moins de le faire souffrir sciemment, tout en ayant la conviction d'œuvrer pour leur bien. Le lecteur éprouve pleinement ce point de vue anormal, à l'opposé des règles implicites de la société, et sans possibilité de guérison, ni même de thérapie : un comportement monstrueux, assumé et sans effet négatifs pour les deux criminels.



Il s'agit d'un excellent tome de la série : des crimes sordides, une enquête menée de façon laborieuse, sans héros à l'intelligence supérieure ou avec des capacités physiques extraordinaires. La narration visuelle est simple et factuelle en apparence, réalisé par un artiste d'excellent niveau. L'histoire met le lecteur face à l'anormalité de comportements déviants assumés, pour une sensation de malaise qui le confronte à ses propres certitudes sur la normalité.
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Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude

Le monde est dans ma tête. Mon corps est dans le monde.

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Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2001, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 6 qui contient les tomes 18 à 20.



Après avoir échappé au contrat passé sur sa tête, Jessica Blandy a décidé de devenir anonyme, de se perdre dans la foule en séjournant à Manhattan. Elle va travailler à la bibliothèque publique, visite des musées, et s'achète de temps à autre une toilette clinquante. Ce jour-là, elle va visiter l'exposition de toiles au musée Solomon R. Guggenheim. Elle s'arrête devant une toile, un nu de femmes. Un autre visiteur lui adresse la parole constatant qu'elle est troublée devant un corps de femme dénudé. Il se présente : Gary Benson. Il aimerait bien lui offrir un verre. Elle accepte et la conversation s'engage : lui aussi est un peintre. Ailleurs dans une étendue naturelle recouverte de neige, un inspecteur de police rejoint son équipe qui lui montre le corps d'une jeune femme pris dans la glace sous la couche de neige qu'ils ont déblayée : le cadavre d'Eunyce Heyman, la troisième victime du tueur. Gary Benson continue de parler : il a retrouvé l'inspiration et repris le travail. Il expose bientôt à la Hines Gallery. Il aimerait montrer ce qu'il fait à Jessica. Il lui propose de payer les consommations, mais elle ne sait pas trop si elle souhaite le laisser faire.



Gary Benson poursuit : il aimerait reprendre un de ses projets, peindre des femmes à un moment précis de leur existence, et c'est en voyant Jessica qu'il a repensé à ce projet. Répondant à sa question, il indique qu'il essaye de restituer par sa peinture ce moment de détente inoubliable où la vie prend enfin un sens, le moment de l'orgasme. Sarah Adisson est la quatrième : elle descend d'avion et sort de l'aéroport, tout en laissant un message sur la messagerie d'une amie : Eunyce est morte, alors qu'elle devait lui apporter la chanson murmurée dans le téléphone. Elle hèle un taxi après avoir raccroché. Le chauffeur lui propose d'écouter un peu de musique, il a un air dont il est certain qu'il lui plaira.



Eh bien voilà un titre qui promet de la nudité et de la séduction charnelle, vraisemblablement vénéneuse et malsaine. Mais bien sûr, rien de si évident ou premier degré dans cette série, et en même temps si. Oui Jessica se retrouve nue et est représentée de manière frontale à deux reprises, mais le temps de quelques cases, et pour une partie de jambes en l'air en total consentement. Oui, elle a un corps de rêve, et pour autant elle n'est pas réduite à l'état d'objet car sa posture montre clairement qu'elle est à l'aise et qu'elle maîtrise la situation, sans l'ombre d'un rapport de force défavorable pour elle. Oui, il y a un cadavre de femme dénudé, mais la sensation n'a rien non plus d'érotique, plutôt un sentiment malsain de chair morte. La fameuse attitude érotique correspond au choix de langage de l'artiste Gary Benson pour désigner le fait qu'il souhaite capturer l'expression d'abandon du visage féminin au moment de la jouissance sexuelle. Au vu de la façon dont il s'y prend pour disposer de cette expression, il apparaît comme un individu obsédé par la volonté de rendre pérenne un instant fugace, une forme de fétichisme, de lutte idiote et vouée à l'échec contre l'expression furtive et fuyante d'un état d'esprit auquel l'artiste accorde une valeur quasi mystique. Dans les faits, Jessica Blandy s'avère bien plus troublante dans l'intensité de sa présence, dans son goût vestimentaire, ce que les dessins montrent avec élégance et justesse.



Le lecteur retrouve les sensations spécifiques de cette série dès la première page, avec le récitatif de Jessica Blandy évoquant son souhait de se fondre dans la foule pour être anonyme, et profiter du repos qu'apporte cette absence de mise en avant. Les auteurs ont choisi de changer d'environnement, en l'amenant à New York, et plus particulièrement à Manhattan. Comme d'habitude, le lecteur prend plaisir à la dimension touristique, avec l'Empire State Building en première case, Central Park dans la troisième case de la première page, puis la Bibliothèque publique de New York, le musée Solomon R. Guggenheim (avec une vue extérieure et une vue intérieure de ce bâtiment à l'architecture si particulière), les maisons urbaines avec une façade en grès rouge du Trias (Brownstone) et plusieurs ponts remarquables. Les auteurs font ressortir ce paysage urbain avec quelques courtes scènes comme la découverte d'un cadavre dans un champ enneigé ou une maison isolée au bord d'un lac, également recouverte d'un manteau de neige. Régulièrement le lecteur ressent le besoin de s'arrêter pour contempler un décor dans une case : une belle pelouse de Central Park où bronze Jessica et d'autres personnes, le magnifique salon de Lyn Dorset, la promenade plantée en hauteur (High Line), le train circulant dans un paysage enneigé dans une case de la largeur de la page, le soleil couchant sur le panorama de gratte-ciels de Manhattan vu depuis l'océan.



Le lecteur ressent également que le récit se déroule en milieu urbain en observant les personnages : la gamme de tenues vestimentaires est différente. Pour commencer, il est visible que Jessica Blandy, elle-même, dispose d'une bonne source de revenus, à voir son tailleur élégant, son ensemble pantalon blanc & blazer bleu, sa robe de soirée échancrée dans le dos jusqu'à la chute de rein, son manteau de fourrure lors de son voyage vers la maison sous la neige. Il en va de même pour les autres protagonistes car ils évoluent dans des milieux aisés, et le lecteur voit bien que les pantalons et vestes assorties de Benson ne proviennent pas du premier magasin de chaîne venu, pareil pour Bore Tatoo, ou pour les tenues excentriques de sa compagne Audrey Logan, ce qui est encore plus flagrant en comparaison avec la tenue de l'inspecteur de police, beaucoup plus fonctionnelle et bon marché. S'il y est sensible, le lecteur effectue le même constat en ce qui concerne les coupes de cheveux des uns et des autres, soigneusement étudiées, et certainement exécutées par des coiffeurs aux tarifs conséquents. Pour autant, Renaud ne force pas la dose, ne joue avec la caricature, et reste dans le domaine du plausible et du vraisemblable.



La première séquence montre Jessica Blandy observant une peinture de nu, le lecteur supposant qu'elle est animée d'une curiosité artistique ou esthétique. Lorsqu'il lui adresse la parole, Gary Benson place de suite cette curiosité sur un plan sexuel, sous-entendu par la nudité. En orientant ainsi l'interprétation consciente ou inconsciente, il met en jeu un fétichisme s'exerçant sur le corps de la femme, et le lecteur en déduit qu'il n'est pas forcément bien dans sa tête, avec cette forme d'obsession, peut-être inoffensive, mais vraisemblablement pathologique. La découverte des deux cadavres (ceux des victimes 3 et 4) constitue la preuve qu'un individu a franchi la frontière de la normalité, pour adopter des comportements anormaux avec une motivation profonde qui reste à découvrir. Le lecteur sait que ce tome part sur les composants spécifiques de la série. Il en a la confirmation avec le rôle joué par Jessica Blandy qui n'est pas une héroïne au sens premier du terme. Elle se retrouve dans une affaire de meurtres sans avoir rien demandé, étant au cœur de l'affaire, mais sans être le héros qui découvre le pot aux roses, ou qui triomphe du criminel à la force du poignet, en se montrant d'un courage extraordinaire, confinant à la témérité. Au contraire, Jessica est venue se mettre au calme, anonyme au milieu de la foule. Mais elle ne peut pas faire autrement que d'interagir avec d'autres êtres humains, et de se laisser tenter par une relation sexuelle intéressante.



Le lecteur se laisse prendre à ces contacts avec des personnes pas si étranges que ça, très humaines, habitées par des névroses qu'il reconnaît facilement comme étant siennes, mais pas avec une telle intensité. Le besoin de se détacher de Jessica, de prendre du recul, être excédé d'avoir un coup de retard (l'inspecteur de police écœuré de découvrir un nouveau cadavre malgré ses efforts pour découvrir le coupable des précédents meurtres), l'obsession pour une forme particulière de jouissance, la fascination du pouvoir lié à la nudité d'un corps féminin, la capacité de se forcer à réaliser une tâche qui ne nous plaît pas (l'inspecteur assurant la garde d'une jeune femme), le besoin de tenter de nouvelles expériences même si elles ne sont pas raisonnables, la jalousie irrépressible. Les auteurs savent faire partager ces émotions négatives au lecteur, avec une habileté élégante, donnant l'impression d'une grande facilité, d'une évidence, ce qui rend encore plus mal à l'aise d'ainsi se reconnaître.



Le titre annonce une histoire sulfureuse au cours de laquelle Jessica Blandy va être amenée à mettre ses charmes en avant, au vu de tout le monde. Il y a de cela, mais c'est en fait anecdotique. Renaud est une fois encore un conteur visuel extraordinaire de simplicité et de précisions dans les détails concrets et descriptifs. Jean Dufaux se montre plus sophistiqué que dans les tomes précédents avec une histoire simple, utilisant les conventions de genre attendues, mais aussi une grande justesse dans les états d'esprit, et les petits décalages d'avec la normalité, qui deviennent des déviances hideuses et angoissantes. Il reste honnête, avec une séquence explicitant sa source d'inspiration, ou l'hommage qu'il a souhaité rendre à Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock.
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Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 17 : Je suis un tueur (2000) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2000, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 6 qui contient les tomes 18 à 20.



Une équipe de trois tueurs se trouve dans un grand hôtel de d'une station balnéaire au Mexique, sur la côte Pacifique. Le responsable appelle leur commanditaire Ernest Zoloco pour indiquer que Jessica Blandy n'est pas dans sa chambre, mais qu'ils vont aller la buter sur la plage. Ils trouvent rapidement une jeune femme allongée sur le ventre, avec un sombrero lui cachant la tête, avec sa clé de chambre à ses côtés, correspondant à la chambre de Jessica. Ils l'abattent en lui tirant chacun une balle dans la tête. L'un d'eux retourne le cadavre et ils découvrent une chevelure rousse : erreur de cible. Le responsable appelle Ernest Zoloco et admet leur erreur. Ils vont continuer leurs recherches. Ernest Zoloco est lui-même sur la plage, en costume, accoudé à un petit bar de plage, sans personne. Il y est abordé par une magnifique jeune femme en maillot vert. Ils papotent un peu et elle lui propose d'aller sur la corniche pour une vue magnifique. Il accepte. La discussion se poursuit au sommet d'une falaise, elle se termine mal pour la jeune femme.



Pendant ce temps-là, Jessica Blandy est au volant de sa voiture et elle arrive dans une ville de moyenne importance au Mexique. Elle va dans un bar pour prendre une bière. Le téléphone sonne, et c'est pour elle : Salina lui donne rendez-vous à l'église de Santa Prisca. Sur place, elle soliloque devant une statue du Christ, puis elle sort. Elle est suivie par un homme qu'elle n'a aucune difficulté à repérer. Elle parvient à passer derrière sans qu'il ne s'en aperçoive et elle le menace avec son pistolet. Il joue les innocents. Salina arrive sur ces entrefaites et assomme l'homme. Puis elle salue Jessica et lui demande ce qu'elle lui veut. Celle-ci explique qu'un contrat a été passé sur sa tête par un inspecteur de la police américaine. Elle a besoin de trouver une planque. De son côté, Gus Bomby est planqué tranquillement chez lui, quand il voit arriver une équipe de 5 tueurs en costume. Il parvient à se sortir de cette mauvaise situation, sans tirer une seule balle. Une fois chez elle, Salina écoute la version longue de l'histoire de Jessica Blandy. Une fois l'explication terminée, Salina a une proposition à faire à Jessica pour la planque, et elle lui annonce le prix à payer.



Finalement non, pas de retour de Razza dans ce nouveau tome, mais une histoire qui met en avant un personnage secondaire des plus désagréables : Robby. Le lecteur apprend enfin son vrai nom : Eugene Palma Robinson. Cet inspecteur de police était présent dès le premier tome de la série, avec un comportement qui l'avait rendu détestable d'entrée de jeu. Sans tambour ni trompette, sans signe annonciateur, Jean Dufaux décide de faire basculer la situation de Robby : il passe de flic vraisemblablement pourri, ses trafics n'ayant jamais fait l'objet de l'intrigue d'un album, à individu aux abois. En parallèle, Jessica Blandy est en cavale essayant de ne pas se faire avoir par les tueurs à ses trousses. Comme à son habitude, elle est au cœur des événements, mais sans avoir un rôle d'héroïne qui résoudrait les problèmes à la force de sa volonté et de ses capacités physiques ou intellectuelle, sans être ni un artifice narratif miracle, ni une potiche. Renaud est égal à lui-même, descriptif et précis, pour des planches sages et posées, malgré les enjeux mortels, et les jeux de contrainte et de pression malsains. Le lecteur découvre donc cette situation in media res, et le scénariste lui apprend progressivement ce qui s'est passé précédemment pour en arriver là.



Indépendamment de l'intrigue, le lecteur sait qu'il va prendre plaisir à découvrir des lieux singuliers, représentés avec précision. Arrivé au dix-huitième album, il s'agit d'une collaboration bien huilée entre artiste et scénariste, et selon toute vraisemblance, ce dernier fait en sorte de jouer sur ce point fort du premier. Le lecteur en a la confirmation dès la première page avec cette case singulière montrant les balcons des chambres d'hôtel par une magnifique vue en plongée sur sa cour intérieure. Ensuite Renaud s'attache plus aux arbres de la plage qu'à la texture du sable qu'il préfère représenter avec la couleur. Les formations rocheuses en bordure d'océan sont déchiquetées et réalistes, l'eau de l'océan étant vivante grâce à la couleur. En planche 3, le lecteur découvre une autre vue d'ensemble splendide : la vision en légère élévation de la ville où arrive Jessica Blandy. En repensant aux différents lieux visités, il prend conscience de leur variété, de l'effet de diversité géographique, et de décalage parfois d'une simple case. Ainsi il va prendre un verre dans un petit bar mexicain, il se recueille devant une effigie du Christ dans une église. Il profite du calme avant le déchaînement de violence dans le salon de Gus Bomby. Il regarde un car traverser une zone désertique. Il admire la luxueuse villa d'Osmond Portland sous plusieurs facettes : son ponton, son kiosque au toit de chaume, ses volumes spacieux et propices à la circulation de l'air dans cette région chaude, la baraque en planches mal jointives où Ernest Zoloco reçoit Portland, etc. Il est pris par surprise avec cette simple case de 5 tueurs avançant dans un champ de blé (planche 9). Renaud & Dufaux ne cherchent pas à épater le lecteur en le baladant d'un endroit magnifique à un autre : le passage par un endroit, par un lieu arrive de manière organique dans l'intrigue, et l'artiste ne se lance pas dans des cases démonstratives pour attirer l'attention. Il réalise des cases pour raconter l'histoire, investissant du temps du talent pour montrer le lieu avec un regard attentif aux détails qui en font son identité, à l'opposé d'une enfilade de lieux génériques.



L'investissement pour que les lieux soient si consistants a une incidence sur les personnages : à aucun moment le lecteur n'éprouve la sensation de voir des acteurs jouant leur rôle sur une scène de théâtre. Chaque protagoniste interagit avec le lieu où il se trouve, se livre à une occupation particulière en utilisant les accessoires de manière organique. Dans un autre endroit, les choses se dérouleraient autrement. En outre, chaque personnage dispose d'une apparence physique unique, se déclinant en postures spécifiques. Le lecteur voit par lui-même que la corpulence de Robby fait qu'il évite les gestes brusques, que la maladie d'Osmond Portland fait qu'il se montre précautionneux dans ses gestes, que Jessica Blandy entretient un rapport d'assurance vis-à-vis de son apparence. Comme souvent dans une de ses aventures, elle se retrouve nue face à un homme ou plusieurs. Sa confiance en elle et son naturel font que le lecteur ressent qu'elle impose sa nudité à son interlocuteur qui en ressent une gêne, à l'opposé d'une victime à la merci d'un individu exerçant une forme de sadisme ou de cruauté mentale pour assurer sa domination. Jessica n'apparaît pas dans toutes les planches, le récit n'est pas raconté de son seul point de vue, ce qui n'obère en rien sa force de caractère, sa présence rayonnante.



Le scénariste prend le lecteur au dépourvu avec ce basculement imprévu de la situation de Robby, un individu détestable apparaissant de manière chronique dans la série. Jessica Blandy continue d'être le point d'ancrage pour le lecteur, toujours aussi belle et forte. Dufaux bâtit son intrigue sur la dynamique d'une course-poursuite, moteur toujours efficace pour insuffler un rythme dans le récit. Il met en œuvre des personnages secondaires apparus de manière encore plus sporadique dans la série, personnages qui ne parleront vraisemblablement qu'au lecteur assidu : le tout jeune adolescent Rafaele, et sa tutrice officieuse Victoria. Il est également fait référence à Kim, une amie décédée de Jessica, apparue pour la première fois dans le tome 1 (1987). Salina était déjà apparue dans Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille d'Ipanema... (1990). D'un côté la fonction de Victoria et Rafaele est assez basique (otages potentiels) pour que tous les lecteurs puissent la saisir ; de l'autre cela a plus d'impact pour ceux connaissant leur lien avec l'héroïne. Le scénariste a conçu une intrigue avec une belle mécanique, dont le déroulement se fait de manière linéaire. Même si le caractère de chaque personnage n'est pas très développé, le lecteur perçoit que l'histoire se serait passée autrement si cela avait été d'autres personnages. Ce n'est pas donc une intrigue générique plaquée sur les personnages qui aurait très bien pu se dérouler à l'identique, indépendamment des protagonistes. Le thème sous-jacent de la série reste mineur dans ce tome : les comportements déviants ne sont pas au cœur du récit. Toutefois, le scénariste en intègre au début avec le meurtre gratuit commis par Zoloco, pour bien montrer qu'on ne plaisante pas avec lui. En revanche, le thème de la contrainte par la violence court tout le long de cette histoire, thème également inhérent à la série.



Les auteurs surprennent le lecteur avec cette nouvelle aventure de leur personnage. Jessica Blandy n'est pas confrontée à un nouveau tueur à l'esprit dérangé : elle doit se sortir d'un contrat sur sa tête, passé par un personnage récurrent de la série. Le scénariste met à profit plusieurs éléments et personnages des tomes précédents pour un thriller bien construit. Lui et Renaud savent donner vie aux personnages par leurs actions, leurs expressions, leurs décisions. Le récit est d'autant plus savoureux qu'il se déroule dans des lieux particuliers, réalistes et uniques dans lesquels le lecteur se projette avec plaisir.
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Jessica Blandy, tome 16 : Buzzard Blues

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 15 : Ginny d'avant (1998) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1999, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale 05 qui contient les tomes 14 à 17.



Jessica Blandy conduit sa voiture au soleil couchant, sur une route déserte longeant une grande étendue d'eau dans un état du Sud. La radio diffuse du blues, celui de l'artiste appelé Buzzard, avec des paroles évoquant le fait que la paysage n'est qu'un reflet de ce que l'on souhaite découvrir, de ce qui est déjà inscrit dans le voyageur. Sur le porche d'une maison en bois, une vieille femme afro-américaine chante un blues, pendant que son compagnon l'accompagne au banjo. Jessica arrive à sa destination, descend de voiture et se rend dans le bar de la ville. Elle demande où elle peut trouver la maison d'Earl Memphis, dit le Buzzard. Le barman lui répond, mais les clients la regardent bizarrement. À la nuit tombante, Benny et Dan Calder sont descendus de leur voiture en laissant le conducteur attendre à l'intérieur. Ils sont tous les deux armés d'un fusil et décident de se séparer pour retrouver Bud Busky. Dan entend le hennissement d'un cheval et s'avance prudemment, prêt à faire feu. Il découvre un magnifique cheval blanc dans une clairière, qui se remet à hennir. Soudain, il entend un coup de feu : il se met à courir dans cette direction pour savoir sur quoi Benny a tiré. Il le retrouve mort, pendu à un arbre. Il entend alors le klaxon de leur voiture en continu. Il y court et découvre le conducteur mort, affalé sur le volant et sur l'avertisseur sonore.



Alors que le ciel est toujours chargé d'orage, Jessica Blandy a atteint la demeure d'Earl Memphis, s'est garée devant et lit la note sur la porte. Earl Memphis en a eu assez d'attendre et il est parti à un rendez-vous. Jessica Blandy peut aller demander la clé en frappant à la porte de la grange et Peck lui donnera en la glissant sous la porte, ce qu'elle fait. Elle rentre dans la maison et se couche dans le lit de la chambre des invités pour la nuit, nue comme à son habitude. Elle est réveillée le lendemain par Earl Memphis habillé, avec un fusil dans a main, et en train d'admirer son corps. Elle le prend à parti mais sans l'émouvoir, sans obtenir d'excuse. Elle va prendre un bain dans la pièce d'eau, et cette fois-ci elle est interrompue par M'am Lizzy, elle non plus pas gênée par sa nudité. Lizzy ajoute même que Jessica va plaire au vieux, en parlant d'Earl Memphis. Enfin, Jessica va prendre son petit-déjeuner avec Earl Memphis et lui explique qu'elle est venue pour l'interviewer, mais aussi pour savoir d'où lui est venue l'inspiration pour parler de Razza dans une de ses chansons.



Dans le tome précédent, Jessica Blandy arrivait dans une petite ville à l'invitation d'une ancienne amie, inquiète du fait de la survenance de plusieurs décès violents sans explication. L'histoire évoquait l'existence d'un mystérieux personnage appelé Razza à l'influence maléfique, une sorte d'individu à l'aura surnaturelle très floue. Lorsque Jessica indique qu'elle souhaite en savoir plus sur Razza, le lecteur comprend que cette histoire contient elle aussi une touche surnaturelle. En fonction de sa sensibilité, il peut s'en offusquer parce que le scénariste va mettre à profit cet élément non rationnel pour s'affranchir pour partie des contraintes de logique et de cohérence, ou il peut l'accepter en l'état en sachant que cela autorisera des situations angoissantes peu probables. D'une certaine manière, l'existence de ce personnage libère Dufaux de devoir tout expliquer. Un exemple : qui a pendu Benny à un arbre dans la forêt, comment ? Peu importe : l'important est dans la mise en scène macabre. D'ailleurs qu'est-ce que ce canasson vient faire là ? Peu importe : c'est un symbole, une allégorie de la folie galopante, hurlante à chaque fois qu'un personnage est confronté à une manifestation de violence hors de contrôle. Sous réserve d'accepter de passer en mode métaphorique, ou de savourer les choses comme elles sont, le lecteur ressent ces moments irrationnels comme étant l'expression de l'irrationalité de l'être humain, que ce soit ses émotions qui prennent le dessus, ou une réaction primaire dictée par son cerveau reptilien, ou encore une manifestation de son inconscient, ou encore le diktat d'un archétype de l'inconscient collectif. Avec un de ces principes en tête, le lecteur retrouve la touche de folie qui était présente dans les premiers tomes, celle qui anime l'être humain à son insu, qui rend un comportement horrible par son anormalité.



De fait, l'intrigue recèle plusieurs sorties de la normalité. Certaines sont évidentes : la manifestation du cheval, le frère fou d'Earl Memphis, la voyante, le suicide pendant l'interrogatoire, les individus entendant ou voyant Razza. D'autres sont plus subtiles : le décalage entre ce que Jessica considère comme normal et ce qu'Earl Memphis considère comme normal (la regarder nue comme étant un droit), la puissance d'évocation du blues, la dette que Stella est persuadée qu'elle doit payer. L'intrigue entraîne le lecteur dans un microcosme plausible et réaliste : le musicien qui essaye d'emballer tout ce qui passe à sa portée comme un vieux beau, la méfiance entre les différentes communautés, la défiance vis-à-vis d'un ancien détenu, l'hostilité envers les forces de l'ordre. Le scénariste ne force rien de tout ça, restant dans les antagonismes ordinaires. Du coup, la composante surnaturelle s'apparente encore plus à une métaphore qu'à des conventions du genre horrifique à prendre au premier degré, ou à des facilités pour scénariste paresseux. Comme d'habitude, les dessins de Renaud sont au diapason du récit. Le lecteur est direct plongé dans cette région des États-Unis avec la première page : la teinte orangée du ciel, se reflétant sur l'étendue d'eau, les arbres décharnés sans feuille, la maison de maître abandonnée. Bienvenu dans le Sud.



Par la suite, le lecteur retrouve l'urbanisme très aéré des villes américaines quand Jessica Blandy va demander son chemin dans le bar. En planche 3 et suivantes, l'artiste prend soin de représenter une végétation qui correspond aux essences présentes dans cette région du monde. La mise en couleurs a conservé les nuances évidentes dans le tome précédent. Elle complète les dessins, nourrit les contours des formes délimités par le trait encré très fin, sans entrer en compétition avec, sans alourdir les cases. Dans le même temps, le lecteur imagine ce que serait une planche avant la mise en couleurs et perçoit bien ce qu'elle apporte. Les dessins présentent plusieurs aperçus de la maison d'Earl Memphis et de sa grange, permettant de se faire une bonne idée de l'extérieur comme de l'intérieur de la propriété. Le lecteur regarde quelques ouvriers travailler aux champs. Il se tient devant les mobil homes de la population défavorisée. Il regarde le cyclone se déplacer et tout détruire sur son passage. Comme à son habitude, Renaud met en œuvre une direction d'acteurs de type naturaliste, l'état d'esprit des personnages pouvant se voir dans leurs postures et leur visage. Le lecteur ressent bien l'hostilité passive des clients du bar regardant Jessica Blandy, le début de gêne de Jessica se trouvant nue devant M'am Lizzy alors qu'elle n'est pas pudique, la méfiance d'une mère et d'une fille afro-américaine en voyant un conducteur les observer depuis sa voiture en passant, l'effroi qui gagne progressivement le détenu interrogé par la police, la résignation de la mère de Bud Busky alors que son interlocuteur commence à user de la violence pour l'intimider.



En 3 pages, le lecteur est déjà immergé dans le récit : le trajet en voiture de Jessica, son premier contact avec la population locale, la mort bizarre de Benny. Il constate que comme la plupart du temps, Jessica Blandy n'exerce pas son métier d'écrivaine, et que l'interview pour un article n'est qu'un prétexte. Il note également que cette fois-ci elle est proactive dans le sens où elle a pris l'initiative de contacter Earl Memphis pour en savoir plus sur Razza plutôt que de juste se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Pour autant, elle reste un personnage parmi d'autres qui ne résout rien à elle toute seule, qui n'incarne pas un héros salvateur. Au-delà des comportements violents ou excessifs et de l'agressivité banale et ordinaire, la dynamique du récit repose sur un amour malencontreux, un crime banal, une volonté de vengeance. D'une certaine manière, il s'agit d'un fait divers, d'une histoire qui tourne mal parce que l'être humain est soumis à la survenance du mal (l'influence de Razza) contre lequel il n'a pas de défense. Il ne s'agit pas du poids d'une condition sociale, d'un milieu défavorable, mais plus d'une fatalité implacable, celle qui hante le blues.



La narration visuelle de Renaud est toujours aussi impeccable, sans affèterie ni effets de manche, emmenant le lecteur dans des lieux réalistes et consistants, le faisant côtoyer des personnages plausibles et humains. Jean Dufaux continue d'utiliser un personnage qui ne se fait sentir que par sa présence, amenant une touche de surnaturel. S'il ne se braque pas sur ce dispositif narratif, le lecteur se rend compte qu'il concourt à ramener la folie destructrice qui hantait les criminels des premiers tomes, ramenant paradoxalement plus de réalisme dans les événements et les comportements.
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Jessica Blandy, tome 15 : Ginny d'avant

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 14 : Cuba ! (1998) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1998, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle compte 46 planches. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale 05 qui contient les tomes 14 à 17.



Jessica Blandy a pris l'avion pour se rendre à l'invitation d'une ancienne amie : Meg. Elle descend de l'avion et Meg la repère facilement grâce à sa silhouette inchangée par rapport à l'époque où elles avaient toutes les deux 17 ans. Meg emmène son amie jusqu'à sa voiture et commence à lui expliquer pourquoi elle lui a demandé de venir. Tout a commencé en février avec l'incendie de la manufacture. Certains ouvriers ont pensé que c'était Hogan, le propriétaire qui aurait mis lui-même le feu à l'atelier principal. Le lendemain, son cadavre a été retrouvé dans sa voiture qui avait versé dans un ravin. Le soir-même, le mannequin servant à exposer les robes de mariée s'est mis à briller dans la vitrine, sans raison apparente, sans explication rationnelle, phénomène qui se reproduit chaque nuit. Ce mannequin est surnommé Ginny, parce qu'il rappelle une fille qui avait vécu dans cette ville et dont tous les garçons du coin en étaient fous. Un jour, elle a disparu et personne n'a jamais su ce qu'elle était devenue. Deux mois après l'accident d'Hogan, Fletch un habitué et un brave type travaillant pour la mairie est entré dans son bar habituel et a ouvert le feu sur les clients. Il a gardé la dernière balle pour lui et s'est sauter le caisson. Il n'a donné aucune explication de son geste. Il a juste prononcé ces mots : le fléau est sur la ville.



Meg gare sa voiture devant chez elle en indiquant que son mari Billy a lui aussi entendu la dernière phrase de Fletch car il était dans le bar. Meg présente Jessica Blandy à son mari. Celui-ci lui parle de son patron Ryan Dougby. Un jour, ce dernier a reçu une boîte en carton au bureau, que sa secrétaire lui a apportée. Il l'a ouverte, et est devenu tout pâle. Il s'est levé, s'est habillé pour sortir, et est parti en emmenant la boîte et son mystérieux contenu. Le soir, il a téléphoné à Billy pour lui dire qu'il ne reviendrait plus au bureau, car de toute façon le fléau les emporterait tous. Puis, il s'est pendu dans sa chambre. La boîte et son mystérieux contenu n'ont jamais été retrouvés. Meg raconte ensuite comment le pompier Tobby s'est jeté dans le feu du haut de la grande échelle à la fin d'une intervention. La nuit, Bambing, un sans domicile fixe, se rend devant la vitrine des robes de mariée pour admirer le mannequin Ginny en train de briller. Le lendemain, Meg emmène Jessica Blandy devant l'épave d'un bateau où ont été retrouvés les corps de sept adolescents (5 garçons, 2 filles), morts d'overdose, avec une inscription relative au fléau.



Comme à chaque tome, l'horizon d'attente du lecteur est conditionné par les caractéristiques récurrentes de la série. Il en retrouve la plupart : un environnement nord-américain, une touche d'érotisme, Jessica enquêtant sur des morts sordides, des comportements anormaux apparaissant monstrueux. Le lecteur remarque rapidement que la mise en couleur a franchi un palier d'élégance. Béatrice Monnoyer continue d'utiliser des aplats de couleurs pour les surfaces détourées d'un trait fin et précis par Renaud. Elle se lance dans un rendu peint pour les arrière-plans, avec plus de confiance que dans le tome précédent, et peut-être plus d'expérience. Cela devient évident à partir de la planche 5, avec une pelouse verte qui contient des reflets jaune. Il ne s'agit plus d'un coloriage qui permet de refléter la couleur réelle et de faire ressortir les formes détourées les unes par rapport aux autres, il s'agit d'apporter des informations supplémentaires (une partie plus soumise au soleil) qui ne se limitent pas aux traits de contour ou à des effets spéciaux comme les flammes. Cet apport se retrouve avec évidence sur la planche 7 où le reflet de l'eau se retrouve dans le camaïeu du ciel alors que Jessica et Meg observent la silhouette du navire échoué au loin. La coloriste réalise des magnifiques cieux marins tout du long de cette promenade. Au fil des pages, le lecteur admire un ciel bleu traversé de reflets orange, une mer émeraude avec un ciel grisâtre, un coucher de soleil embrasé, la terre des champs avec des reflets roux.



La complémentarité entre les couleurs et les traits encrés est étonnante. Renaud est toujours aussi précis et minutieux dans ses cases : il est visible qu'il a délimité des zones avec moins de traits, avec l'intention que la coloriste les habille. Il continue de prendre en charge tous les autres éléments d'information visuelle, y compris les textures. Le lecteur ressent la frontière définissant la nature de la complémentarité entre les deux artistes. Chaque personnage dispose d'une apparence spécifique, souvent élégante, et de tenues vestimentaires appropriées aux conditions climatiques, à son occupation, à son profil socioculturel. Jessica Blandy est toujours aussi bien habillée, et séduisante, sans être vulgaire ou aguichante, un peu glaciale parfois. L'érotisme est présent à trois reprises avec une femme dénudée, très léger. Le jeu des acteurs est naturaliste, avec des postures variées et parlantes, et des expressions de visage sans exagération qui amènent parfois le lecteur à se demander ce que pensent vraiment les personnages en train de s'exprimer.



L'un des grands plaisirs de cette série est de pouvoir se projeter dans les différents lieux où se déroule l'histoire, de profiter du talent de l'artiste pour la description précise et réaliste. Dès la première page, le lecteur constate que l'exactitude tient à cœur de Renaud : les fixations des anneaux de verre sur la terrasse de l'aéroport sont techniquement irréprochables. Par la suite, le lecteur se projette avec plaisir dans plusieurs endroits : la rue de desserte bordée de pavillons dont celui de Meg, le champ s'étendant à perte de vue avec des meules de foin de ci de là, la grande terrasse de la maison de Meg avec une table pour manger dehors, la magnifique piscine de la demeure des parents de Loomie Max (une case de la largeur de la page, somptueuse, on n'a qu'une envie : s'assoir dans un transat), le diner sans panache où Jessica Blandy offre un café à Bambing, la ruelle pavée où se déroule l'agression, les pièces de la demeure de Razza et sa piscine, etc. La mise en scène est tout aussi limpide et factuelle, avec des séquences mémorables. L'artiste rehausse la démarche factuelle de sa narration par une mise en scène clinique qui fait ressortir l'étrangeté ou l'horreur de ce qui est montré. En voyant l'habitué tirer sur les clients avec son fusil à canon scié, le lecteur a l'impression de vivre un fait divers, ressentant toute l'horreur de cette tuerie arbitraire. Il éprouve l'impression d'accompagner Meg et Jessica sur la plage, de lever les yeux pour regarder passer une mouette. En tournant une page, il se retrouve dans un cimetière de nuit, à attendre de voir ce que Bambing va trouver dans un cercueil. Comme Dougby, il est troublé par la nudité de Ginny sur la plage. Il est pris à la gorge par la monstruosité du comportement d'un groupe d'individus quand ils commettent un crime abject, et dans le même temps il voit bien à quel point c'est plausible, possible comme en atteste les faits divers. Ce mode de narration visuelle produit également un effet étrange pour les éléments inexpliqués comme la meute de chiens sauvages qui se retrouvent silencieux devant la maison de Meg de nuit, ou la brillance inexplicable du mannequin dans la vitrine.



Avec cette histoire, Jean Dufaux assume pleinement une composante chronique de la série et parfois sous-entendue : une touche de surnaturel. Il n'y aura pas d'explication à la brillance du mannequin : c'est comme ça. Il n'y aura pas d'explication à la mort d'un personnage dans la piscine de la demeure de monsieur Razza : c'est comme ça. Pareil pour le comportement de la meute de chiens. Ce parti pris narratif peut agacer : le lecteur peut y voir un raccourci facile qui dédouane l'auteur de raconter une intrigue cohérente où tout est expliqué de manière rationnelle. Dans ce cas-là, il est vraisemblable que ce tome le convainc d'abandonner la série. Il est également possible de considérer que cette part d'irrationnel est le reflet ou la matérialisation de ce que le comportement humain peut avoir d'irrationnel en étant le jouet des émotions, un petit peu comme peu le faire Stephen King dans ses romans, toute proportion gardée. Sous réserve d'accepter cet outil narratif (la touche de surnaturel), le lecteur se rend compte que la série a retrouvé ses racines : confronter des êtres humains (dont Jessica Blandy) à des comportements irrationnels. Avec ce point de vue en tête, la série retrouve sa richesse thématique : l'individu qui commet un geste irréparable inexplicable et incompréhensible (mettre le feu à son usine, tirer dans la foule et se suicider..), imposer sa volonté par la force, l'usage des armes à feu, la culpabilité qui ronge le coupable mais aussi son entourage. Toute la saveur malsaine de la série est de retour : anormalité, comportement aberrant, violence infligée aux autres et à soi-même, irrationnalité.



Ce quinzième tome amène une évolution dans la série. Renaud est de plus en plus soigneux dans ses dessins combinant une précision remarquable avec une lisibilité optimale, la collaboration avec la coloriste gagnant également en sophistication. Jean Dufaux s'éloigne du simple polar réaliste avec une intrigue logique, en utilisant un élément surnaturel qui lui permet de s'affranchir d'un déroulement logique et cartésien. Cela ne peut pas être du goût du tous les lecteurs, mais il utilise cet outil avec élégance, pour des séquences malsaines qui mettent mal à l'aise, sans avoir besoin de verser dans le gore ou de mettre en scène des monstres folkloriques. L'être humain est beaucoup plus monstrueux.
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Jessica Blandy, tome 24 : Les gardiens

Suite et fin de ce diptyque qui clôture cette série après bientôt vingt ans.



Missie Lizzie, la petite fille défenestrée de la chambre 27, est revenue à la vie et est bien décidée à mettre fin aux jours des gardiens qui ont tenté de l’empêcher de revenir de l’enfer. Mais Jessica Blandy a déjà affronté le Mal et franchi la frontière trop souvent et va étaler dans ce dernier tome de la série toute son expérience, qu’elle soit humaine ou paranormale.



On retrouve une Jessica Blandy moins fragile et moins tourmentée qu’auparavant, déterminée à ne plus se laisser bousculer par les forces obscures et bien décidée d’en découdre avec les forces du Mal et d’en finir avec cette série. Alors que Jessica Blandy avait entamé cette série avec joie de vivre, fougue et poussée par le goût de l’aventure, les nombreuses aventures l’ont rendu plus pessimiste, sombre et ironique. Souvent frôlant la rupture, sa psychologie a fortement évolué, de la joie de vivre au désir de la mort, pour finalement avoir juste envie de survivre et de faire un trait sur les aventures et son passé.



Pour ce dernier tome, le fantastique est omniprésent, comme dans la plupart des derniers tomes de cette série. Tout comme dans la plupart des tomes, on retrouve également certains amis de Jessica et certains de ses démons, mais également un fond musical, question de nous mettre dans la bonne ambiance.



Les dessins de Renaud se sont améliorés au fil des ans, en restant toujours réalistes et sans surprises, mais malheureusement pourvus d’une colorisation parfois douteuse.



Une des grandes forces de cette série se situe dans l’évolution de la psychologie et de la relation des personnages qui vont et viennent au gré des tomes. Et si Jessica Blandy tire ici sa révérence, en guise d’épilogue, trois personnages viendront témoigner et nous en apprendre plus sur Jessica Blandy et sur sa nouvelle vie. Un cycle séparé, une approche différente et un dernier regard sur notre héroïne, dont le premier album devrait paraître en juin 2009.



Imaginez quelques derniers mots échangés, le ronronnement d'un moteur qui ne demande qu'à s'emballer, la fraîcheur d'un rire, les armes déposées. Et puis, c'est fini, il y a comme un froissement dans l'air, le pli d'une jupe qui retombe, vous vous retrouvez seul...

Jessica Blandy est partie.
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Jessica Blandy, tome 23 : La chambre 27

Dans ce vingt-troisième tome on prend plaisir à retrouver Gus Bomby et Victoria Charman dans une aventure à la recette connue et mélangeant fantastique et intrigue obscure. Des relations et des amitiés qui vont et viennent et qui évoluent au fil des tomes.



Missie Lizzie, la fille d’un architecte c’est fait défenestrée de la chambre 27 d’un immeuble de son père et depuis, à l’anniversaire de cette mort, des fanatiques viennent se sacrifier dans tous les appartements de l’architecte portant le numéro 27 afin de faire revenir Missie Lizzie à la vie. Victoria Charman et Jessica Blandy, qui ont déjà combattu des forces maléfiques, se font engager en tant que gardiennes de la chambre 27.



Ce premier volet de cet ultime diptyque de la série, nous livre un scénario classique et entraînant qui atteint son paroxysme en fin de tome avec une belle touche de fantastique, et qui nous conduit avec nostalgie vers le dernier et vingt-quatrième tome de cette série.
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Jessica Blandy, tome 22 : Blue Harmonica

Jessica Blandy a toujours aimé flirter avec les hommes et avec la mort. Dans ce vingt-deuxième tome elle flirtera avec Blue, un rédempteur qui tue des victimes consentantes et soulagées de quitter leur souffrance quotidienne. Un tueur qui joue de l’harmonica et qui ne laisse aucun souvenir dans les mémoires, sauf dans celle de Jessica Blandy.



On constate à nouveau l’évolution psychologique de Jessica Blandy depuis le début de la série et surtout depuis son épisode au Mexique («Au loin, la fille d'Ipanema...»). On retrouve une Jessica Blandy qui, même si la mort ne l’effraye pas, ne la désire plus pour échapper à ses malheurs. Son âme semble avoir trouvé du repos.



Dufaux nous livre un nouvel épisode aux frontières du réel et renoue avec cette ambiance musicale qui caractérise de nombreux albums de cette série. Un épisode plus calme, sur fond de blues et de jazz, sur fond d’harmonica, sur fond de meurtres quand la musique s’arrête.
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Jessica Blandy, tome 21 : La Frontière

Malgré un ou deux clins d’œil discrets à des aventures antérieures (Erotic attitudes, Nuits couleur blues), ce vingt-et-unième tome peut facilement se lire indépendamment du reste de la série.



On y retrouve Jessica en compagnie d’un nouvel amant (un flic noir nommé Forrest Dingley) et au milieu d’une nouvelle enquête mystérieuse. Dufaux nous livre une chasse aux sorcières à la limite d’une frontière qui se veut tout de même assez vague. S’agit-il de la frontière de préjugés qui sépare blancs et noirs, de la frontière que nous font franchir les drogues ou plus simplement de la frontière qui nous sépare de la mort.



Je ne sais toujours pas où est la frontière. Une sorcière noire la garde !
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Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson

Une couverture où l’on retrouve le nom et les visages de deux des personnages principaux de cette série; l’un donne son nom à la série et l’autre au titre de l’album. Et, vu le titre de l’album et les évènements du dix-huitième tome, on s’attendait un peu à retrouver l’ex-inspecteur Robby plein de vengeance.



Cependant, si on retrouve effectivement un Mr. Robinson fort revanchard et bien déterminé à retrouver et éliminer sa proie qu’il cherche dans la foule new-yorkaise, en cas d’affrontement final entre Jessica Blandy et Robby, Dufaux aurait du probablement prendre parti pour l’un des deux ténors de cette série.



Grâce à une nouvelle intrigue sordide au sein d’un hôpital psychiatrique, Dufaux parvient néanmoins à se sortir habillement de cette impasse et à sortir ses deux personnages principaux plus ou moins indemnes de ce vingtième tome. La relation complexe qu’entretiennent les deux va encore évoluer au long de cette nouvelle histoire noire. Longue vie à Jessie, à Robby et à cette série !



A noter également qu’un superbe dossier/hors-série, pourvu de planches inédites et de dessin d’autres dessinateurs, est offert avec l’édition originale de cet album.
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Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude

Après avoir rencontré le diable et échappé à un contrat de 250.000 $ sur sa tête, Jessica Blandy a sagement pris la décision de se fondre dans la foule new-yorkaise et de jouer la carte de l’anonymat afin de se faire oublier. Evidemment, il est clair que si elle avait réussi à résister à ses pulsions aventureuses, il n’y aurait pas eu de dix-neuvième tome.



Dans ce tome Jessica Blandy va poser pour un artiste nommé Gary Benson, dont tous les modèles féminins de sa collection ‘Erotic Attitude’ sont assassinés. Je crois qu’il est assez inutile de préciser que Jessica Blandy pose nue, étant donné que généralement il ne lui faut même pas d’excuses pour se dénuder. Mis à part une Jessica Blandy dans sa tenue préférée, on ne retrouve aucun personnage connu de la série. Du coup, ce polar peut plus facilement se lire sans avoir lu le reste de la série.



On s’attendait à un tome confrontant Jessica Blandy à l’ex-inspecteur Robby, mais à la place on a droit à une intrigue classique et moins recherchée qu’à l’habitude. Mais, pas de panique, avec un vingtième tome qui se nomme Mr. Robinson, on devrait logiquement y retrouver un Robby plutôt revanchard.
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Jessica Blandy, tome 18 : Le contrat Jessica

Suite logique du tome précédent, où Jessica Blandy avait découvert que les services de l’inspecteur Eugène Palma Robinson, alias Robby, étaient pourris jusqu’à la moelle et peux maintenant le prouver.



La suite d’une intrigue où l’on prend plaisir à retrouver Gus Bomby, Victoria et Rafaele et qui oblige Jessica Blandy à se réfugier au Mexique pour échapper au contrat qui a été placé sur sa tête.



Un pays qui fait ressurgir de nombreux souvenirs chez Jessica Blandy, mais également un pays où sévit Ernest Zoloca, un tueur à gages sans pitié. Un pays qui va lui permettre de retrouver Salina, dont elle avait fait la connaissance dans le sixième tome, et qui tient maintenant le destin de Jessica Blandy entre ses mains.
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Jessica Blandy, tome 16 : Buzzard Blues

Une nouvelle aventure de Jessica Blandy, dans la continuité de la précédente, dans la continuité du fantastique et du paranormal.



Une Jessica Blandy qui prend les commandes au lieu de se laisser guider par les autres, et qui part à la recherche de Razza, mystérieux personnage qui sème la mort depuis le tome précédent.



Mais, contrairement au tome précédent, tous les éléments sont cette fois-ci présents afin de crédibiliser le fantastique et le surnaturel qui entourent ce nouveau récit. Des personnages typés, un endroit éloigné, une tempête qui approche, une vieille femme noire qui lit les cartes, mais surtout le blues baby.



De la musique qui a plus d’une fois réussi à mettre cette série dans l’ambiance adéquate et qui crée ici une atmosphère propice au surnaturel ... car quand le blues appelle, le Diable n’est jamais loin et la mort omniprésente.

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Jessica Blandy, tome 15 : Ginny d'avant

On quitte Cuba dans ce quinzième tome pour une nouvelle enquête de Jessica Blandy dans un petit village américain. Appelée à la rescousse par son ancienne amie Meg, Jessica Blandy va tout faire pour découvrir le secret que cache cette petite communauté et ainsi trouver une explication à la série de meurtres et suicides inexpliqués.



Après avoir flirté avec le fantastique dans les neuvième et dixième tomes grâce aux forces obscures qu’incarnaient Louis et Victoria Charman, cette série récidive avec le surnaturel dans ce tome. Mais, alors que la précédente incursion dans le fantastique (vaudou) était plutôt crédible et collait parfaitement à l’ambiance du récit, on a l’impression que cette histoire et cette petite communauté n’est pas trop faite pour se marier au fantastique.



On a finalement l’impression de se retrouver à cheval entre une enquête classique de Jessica Blandy et un épisode pas vraiment réussi des X-files.
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Jessica Blandy, tome 14 : Cuba !

Voilà déjà un titre et une couverture plus attrayants que ceux du tome précédent. Par contre, si le tome précédent avait tout d’un ‘classique’ de la série Jessica Blandy, celui-ci est tout le contraire.



Déjà on retrouve moins cette atmosphère typiquement ‘States’ et particulière qui caractérise la série, car l’histoire se déroule à Cuba. En suite, la vraie force de cette série est normalement l’évolution des personnages qui vont et reviennent au gré des tomes, mais dans ce quatorzième tome on ne retrouve aucun personnage connu, mis à part Jessica Blandy. Du coup, sans Robby, Gus, Victoria et autres, et sans l’ambiance hollywoodienne on est un peu perdu.



Pour finir, l’intrigue qui est d’habitude plutôt policière vire vers l’espionnage. On se retrouve donc avec des personnages annexes qu’on ne connaît pas, qui ont des liens compliqués, le tout pourvu d’une histoire qu’il faut relire douze fois avant de pouvoir vraiment tout comprendre. Et au milieu de cette histoire tirée par les cheveux, une Jessica Blandy plutôt spectatrice dans un univers qui n’est pas le sien et dont on finirait par se demander ce qu’elle fabrique dans cet album.



Bref, le moins bon tome jusqu’à présent.
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Jessica Blandy, tome 13 : Lettre à Jessica

Ce treizième tome est un classique du genre dans la série Jessica Blandy. On y retrouve cette ambiance typique des polars hollywoodiens dans les eighties. Une histoire de crimes et d’intrigues, mélangée à des passions bien humaines.



Des personnages qui ont chacun une très forte personnalité, et qui disparaissent au gré des tomes pour mieux réapparaître par la suite. On prend plaisir à les retrouver et à voir l’évolution des personnages et des relations entre les différents personnages qui vont et viennent autour de Jessica Blandy.



Ainsi, dans ce treizième tome on va retrouver l’ex détective privé Gus Bomby et sa secrétaire Pearl, ainsi que l’inspecteur Robby. Ils devront faire face à un mystérieux tueur à gages qui a mis Gus Bomby en haut de sa liste de futures victimes.



Bizarrement, j’ai trouvé le dessin un peu moins bon que dans les tomes précédents, avec des décors plus figés et manquants de détails et des couleurs parfois douteuses.



Pour le reste l’intrigue est assez classique, mais sympathique. Par contre, ne me demander pas pourquoi, mais je trouve le titre de cet album plutôt nul.
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