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Critiques de Renaud (II) (104)
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Venus H., tome 1 : Anja

Oui, cette BD est réellement de glace à l'image d'un dessin aux tons grisâtres. Entre érotisme très soft et thriller sur fond politique, cette BD n'arrive pas à trouver son souffle.



La fin de ce récit est navrante et j'avoue ne pas avoir compris les motivations d'Anja dans cet acte désespéré. Pour laver son honneur et ses fautes passées? La dernière page de ce roman photo est tout fait risible. On atteint des sommets dans le comble.



Je reconnais cependant une certaine fluidité dans le scénario de l'excellent Dufaux.



Vénus H. se voulait entrer dans le monde de la prostitution de luxe et apporter un regard sans complaisance. Je préfère cent fois Djinn. C'est dit.
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Jessica Blandy, tome 11 : Troubles au paradis

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 10 : Satan, ma déchirure (1994) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1995, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée par Renaud (Renaud Denauw), et mise en couleurs par Béatrice Monnoyer. Elle a été rééditée dans Jessica Blandy, tome 4 : Magnum Jessica.



Jessica Blandy s'est arrêtée dans un petit patelin sur sa route pour faire une pause. Elle regarde une peinture murale qui représente une locomotive à vapeur et repense à celle qui lui faisait peur quand elle était enfant, ainsi qu'aux ailleurs où elle aurait pu l'emmener. Cela fait déjà deux jours qu'elle est sur la route pour rallier la ville natale. Dans une autre ville, Van s'est rendu à la mairie pour récupérer un acte administratif. Il tue le fonctionnaire qui lui remet, et repart avec l'homme de main qui l'accompagne. Jessica Blandy est arrivée dans sa ville natale et voie un train à vapeur passer au milieu. Elle se rend au bar et prend une bière, tout en interrogeant le barman sur les usines Nesbit, l'affaire étant toujours dirigée par Salomon Nesbit qui n'a pas cédé sa place à son fils Henry. Elle se souvient que c'était sur une des banquettes qu'Henry lui avait expliqué qu'il reprendrait l'affaire familiale. Elle se lève et part pour se rendre chez son père, en repensant aux bancs de l'école, à la fois où elle s'était couchée sur les rails et qu'Henry l'avait relevée à temps avant le passage du train. Chez Josuah Blandy, au rez-de-chaussée, Johnny est en train de fricoter avec Sue, essayant de la déshabiller, mais elle ne veut pas faire ça alors que le vieux est à l'étage. Johnny finit par renoncer, et pioche dans le plateau repas avant de l'apporter à l'étage. Jessica Blandy entre à ce moment-là, se montre très sèche avec eux, les renvoie, et apporte elle-même le plateau à son père.



Josuah Blandy est en train de lire son livre préféré : La Vie et les Opinions de Tristram Shandy, Gentleman (1759) de Laurence Sterne (1713-1768). Il lève la tête et reconnait immédiatement sa file. À la station-service de Sam, un peu à l'extérieur de la ville, l'avocat Carl Ledington s'est arrêté pour faire le plein. Il part aux toilettes pendant que Sam fait le plein de la voiture. L'avocat est abattu dans les toilettes par Van. Ce dernier sort du bâtiment avec la mallette de l'avocat et il ordonne à Sam de s'occuper de la voiture. Josuah Blandy et Jessica papotent tranquillement : il la met au courant de la volonté de Salomon Nesbit de vouloir racheter le territoire du cimetière pour y faire construire, et de l'association qui s'est montée pour défendre la pérennité du cimetière. Johnny et Sue marchent dans la rue quand Johnny entend arriver la voiture de Jessica. Il décide de se mettre au milieu de la route pour abimer la voiture, mais il doit reculer car Jessica ne se laisse pas impressionner. Elle va ensuite se recueillir sur la tombe de sa mère Rachel Blandy (1933-1972). Elle y est saluée par Mooha, un indien algonquin qui fait partie du comité de préservation du cimetière. Ils évoquent les papiers qui devraient permettre de savoir à qui il appartient réellement. Au petit matin, Lionel Natan, le fils d'Elmor Natan l'ancien maire de la ville, se réveille en bordure d'un étang avec du sang sur sa veste. Le cadavre de sa copine flotte au milieu des nénuphars. Van est présent sur les lieux et témoin de la scène. Le soir, Jessica Blandy se rend à la réunion du comité de préservation du cimetière qui se tient chez les époux Emma & Abraham.



Après deux tomes passés à la Nouvelle Orléans, le temps est venu pour Jessica Blandy de changer de ville et d'état pour une histoire en un épisode. Elle arrive dans sa ville natale et renoue le contact avec son père, tout en se retrouvant embringuée dans l'avenir du cimetière. Le PDG et propriétaire a la ferme intention de raser le cimetière pour y installer de nouveaux entrepôts. Il y a une sombre histoire d'acte de vente : l'ancien maire se souvient bien d'avoir refusé le terrain à Salomon Nesbit, et ce dernier prétend avoir l'acte de vente en question en sa possession. Dès la deuxième séquence le lecteur fait connaissance avec Van, l'homme des basses besognes de Salomon Nesbit, et il ne fait pas de doute qu'il y a entourloupe et que Jessica Blandy va prêter main forte au comité de préservation du cimetière. Le lecteur retrouve les meurtres faciles, et les vies humaines qui ne valent pas grand-chose face à la volonté des puissants. Il se prépare à affronter des formes de maladies mentales et des actes atroces. Jean Dufaux a décidé de le prendre à contre-pied : le premier meurtre se passe hors champ, le second aussi, le troisième aussi, et seul le troisième cadavre est montré flottant dans l'eau froide d'un étang. De la même manière, Renaud n'a pas à représenter Jessica plantant une fourchette dans la main de Johnny. Les actes criminels découlent d'individus n'éprouvant pas d'empathie pour leur victime, sans que cela ne soit à un niveau pathologique. Le donneur d'ordre agit par mesquinerie plus que par réelle déviance. Au final, Johnny incarne une forme d'égocentrisme combinée avec une force physique lui permettant d'imposer sa volonté, sans être inquiété. À nouveau l'acte le plus déviant n'est pas montré : une petite fille qui se couche sur les rails pour attendre le train de 12h32 et qui ne doit de se relever à temps qu'à l'intervention de son copain, un mélange de peur panique et de pulsion de mort inconsciente.



Dans l'horizon d'attente du lecteur figure la visite de recoins de l'Amérique profonde. Renaud sait transporter le lecteur dans un environnement, avec des dessins précis et méticuleux, donnant la sensation de pouvoir se projeter dans chaque endroit. Ainsi, il peut se tenir les pieds dans la boue d'un champ en regardant passer le coupé décapotable de Jessica au loin, voir paître les vaches, s'assoir au comptoir d'un diner avec une décoration pas encore standardisée et aseptisée, s'arrêter pour faire le plein dans une station isolée, regarder les nénuphars sur un étang, apprécier le riche ameublement de la demeure de Salomon Nesbit, marcher tranquillement dans les rues de la ville, s'asseoir dans un fauteuil d'une salle de cinéma avec un seul occupant, se recueillir au cimetière. L'artiste ne se contente pas de transposer des paysages européens aux États-Unis et de les retoucher : il permet au lecteur de faire un tourisme bis, loin des lieux habituels, dans des endroits banals que les dessins rendent singuliers. Le scénariste ajoute lui aussi une ou deux touches d'Americana, avec le visionnage du film Haute Pègre (Trouble in Paradise) d'Ernst Lubitsch (1892-1947) sorti en 1932, la présence d'un indien algonquin.



Comme à son habitude, Renaud sait créer une galerie de personnages distincts facilement reconnaissables. Le lecteur voit tout de suite la différence vestimentaire, mais aussi comportementale entre Van maître de ses gestes au visage inexpressif, et Johnny plus extraverti, plus mené par ses émotions. Les épaules tombantes de Sam le garagiste montrent sa soumission à la domination inéluctable de Salomon Nesbit et de son homme de main. Le lecteur peut voir les rouages en action du cerveau de Natan Elmore au fur et à mesure qu'il prend conscience du caractère implacable du chantage de Salomon Nesbit, et du fait qu'il n'y en a aucune échappatoire. Il se trouve un peu décontenancé par l'étrange passivité de Josuah Blandy, comme s'il était résigné à son fauteuil roulant, plus qu'il ne l'avait accepté. Il ne peut pas s'empêcher de remarquer que Jessica Blandy reste une belle femme, et qu'elle ne se retrouve pas déshabillée dans ce tome.



Le lecteur ne s'attendait pas à en apprendre plus sur la vie personnelle de l'héroïne, sur son passé, et même sur sa famille. L'intrigue trouve sa raison d'être dans le cimetière de la ville où vit son père, et c'est l'occasion pour Jessica d'aller se recueillir sur la tombe de sa mère. Le lecteur voit la pierre tombale et les inscriptions : Rachel Blandy (née O'Hara) 1938-1972. Au cours des conversations avec son père, il comprend que ce dernier n'était pas favorable au départ de sa fille, vraisemblablement du fait de valeurs morales incompatibles avec le risque d'une vie dissolue à la ville. Il apprend également qu'à peine adolescente Jessica Blandy était déjà en état de rébellion par rapport aux normes sociales implicites de cette ville de province. Jean Dufaux fait évoquer sa carrière d'écrivaine par le père de Jessica : sa mère Rachel a appris quel genre de vie mène sa fille en lisant ses livres. Au cours de ses souvenirs, Jessica Blandy en dit plus sur sa vocation d'écrivain : c'est la peur des mots et de ce qu'ils cachent qui l'a conduite à écrire, pour les apprivoiser, pour leur donner un autre sens, le sien. Il est possible d'y voir une déclaration de Dufaux sur sa propre vocation. En filigrane, le lecteur voit aussi que les auteurs mettent en scène plusieurs relations entre un père et son enfant : Josuah Blandy & Jessica, Salomon Nesbit & son fils Henry, ainsi que Van qui apparaît comme un fils de remplacement, et même Sam le garagiste et sa fille Sue. Le scénariste met en scène ces relations sans y injecter une dose de poison, sans y ajouter les désordres de la folie. Malgré les morts et les regrets, ce tome est un peu moins désespéré que les précédents.



Avec ce onzième tome, le lecteur retrouve l'héroïne en butte à la violence meurtrière des hommes habités par la soif de vengeance et de domination, mais sans l'horreur de la folie en plus. Renaud décrit une Amérique de gens ordinaire, avec une justesse discrète, et Jean Dufaux emmène le lecteur dans un monde d'adultes où le polar sert de révélateur des turpitudes humaines.
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Jessica Blandy, tome 10 : Satan, ma déchirure

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 9 : Satan, mon frère (1993) qu'il faut avoir lu avant car il contient la première partie de cette histoire en 2 parties. . Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1994, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle a été rééditée dans Jessica Blandy - Intégrale, tome 3.



Jessica Blandy est revêtue d'une belle robe blanche, avec un rouge à lèvre rouge intense sur ses lèvres. Elle est allongée dans un cercueil fermé, ses mains serrant un chapelet avec un crucifix, croisées sous sa poitrine. À l'extérieur, une fanfare accompagne la procession, une vierge noire est portée sur un plateau par 4 personnes. La porte d'un caveau en pierre s'ouvre : les porteurs déposent le cercueil dans la réservation ouverte. La procession repart. Jessica reprend conscience dans le cercueil et tambourine en vain contre le couvercle. Elle se sent étouffer : un œuf sort de sa bouche. Elle se réveille dans le lit d'une des chambres de la demeure du gouverneur, en hurlant. Aubercombe entre dans la chambre avec un serviteur qui apporte le petit déjeuner sur un plateau. Elle raconte à Aubercombe sa visite dans la cabane des Charman, et la pulsion irrésistible de manger l'un des œufs présents sur un plateau. Aubercombe mentionne des œufs au plat pour le petit déjeuner, ce qui a pour effet que Jessica se précipite aux toilettes pour vomir.



Une jeune femme se présente à a porte de la demeure et Jessica Blandy accepte que Victoria Charman pénètre dans sa chambre. Elle demande à Aubercombe d'en sortir pour les laisser seules. Victoria Charman est venu lui remettre un domino (un double Deux), un remerciement (pour avoir témoigné de ce qui s'est passé chez madame Grandville) et un avertissement de la part de son frère. Le soir, Louis Charman est dans un club de jazz. Une femme vient le remercier de tout ce qu'il a apporté à la communauté. Après que le groupe ait terminé son set, Carl (le trompettiste) vient saluer Luis Charman. Il refuse le verre que celui-ci lui propose de prendre. Charman a un dernier petit service à lui demander, pour acquitter sa dette. Comme il lui a demandé, Carl sort de la boîte et s'installe à bord d'une décapotable rouge à capote blanche pour la conduire. Il sort de la ville et se gare à côté d'Audubon Park. Il ouvre le coffre et doit jeter le sac qu'il contient : il s'agit du cadavre d'Alma Dove. Un fusil est posé sur le sac et le visage de la jeune femme est visible.



Après un une première moitié tout en tension psychologique, le lecteur revient curieux de savoir comment Louis & Victoria Charman vont être neutralisés, en sachant que plusieurs personnes paieront le prix fort. Il a également conscience qu'il attend les manifestations surnaturelles attestant de l'emprise mentale de Louis Charman sur les personnes de son entourage et ses clients. À ce titre, la première scène exprime avec force cette sensibilité à la persuasion subliminale, à la fois pour cet individu, à la fois par les croyances implicites et les non-dits. Renaud met en scène plusieurs éléments tirés du folklore lié à la Nouvelle Orléans : la fanfare, les caveaux, la population majoritairement afro-américaine. Le lecteur identifie clairement une mise en scène, mais les détails réalistes (costume, ordre de marche, texture des pierres) en font une description naturaliste plausible d'autant plus impressionnante. Les auteurs n'étirent pas le moment de panique de Jessica Blandy comprenant où elle se trouve, introduisant le motif écœurant et symbolique de l'œuf dans la même page, produisant un effet horrifique d'une autre nature. Outre les conséquences des capacités de Louis Charman, Renaud et Dufaux laissent planer le doute sur une intuition de Jessica Blandy (elle sait qui lui rend visite avant d'avoir aperçu la personne), un autre crime commis sous l'influence de Louis Charman, une séance de spiritisme avec poupée vaudou (plutôt des pantins frustes) et sang de poulet, un esclandre d'un client dans un restaurant trouvant que la nourriture est infecte et apostrophant les autres clients, une pratique sexuelle ritualisée. Il n'y a que la séquence finale dans laquelle les auteurs mettent en scène le surnaturel de telle manière à ce que le lecteur ne puisse plus y voir une simple métaphore.



Ces différentes séquences continuent de laisser le lecteur libre d'interpréter ces phénomènes comme étant surnaturels, ou comme étant des manifestations d'hallucinations ou d'hystérie collective, la concrétisation de la capacité d'influencer l'état d'esprit des individus, à jouer sur le pouvoir d'autosuggestion des interlocuteurs. Jean Dufaux retranscrit des pratiques culturelles avérées, et Renaud reste dans un registre réaliste, sans montrer d'éléments surnaturels. Dans le cadre du registre de la série, le lecteur fidèle depuis le premier tome aurait plutôt tendance à y voir la manifestation de désordres psychiques. Le récit peut alors se lire comme une enquête classique, nécessitant que les principaux personnages s'immergent dans un milieu socio-culturel particulier, avec ses propres conventions. Il leur faut déterminer les coutumes et les croyances qui permettent au criminel d'agir, et les utiliser sur son propre terrain. À nouveau, la narration visuelle est cruciale pour pouvoir faire croire à cette histoire. Outre les éléments folkloriques de la première séquence, le lecteur observe également la présence d'un vierge noire (Erzulie) portée par 4 membres du cortège, faisant écho à sa présence lors des séances de Louis Charman.



Comme dans les tomes précédents, la condition d'héroïne de Jessica Blandy ne se manifeste pas de manière exclusive des autres personnages. L'enquête progresse avec l'aide d'Aubercombe qui sait qui aller voir dans le milieu des praticiens vaudou, de Victoria Charman, d'Oscar Beaubois. Renaud donne une apparence distincte à chacun de ces personnages : la silhouette raide et le sérieux d'Aubercombe, la silhouette longiligne et sensuelle de Victoria avec son air assuré, l'apparence folklorique de Beaubois cohérente avec le domaine dans lequel il exerce ses compétences. Plus que dans le tome précédent, le scénario met en scène des individus issus de différentes origines sociales, du prolétariat à un grand patron, emmenant le lecteur dans différentes strates de la société. Pour autant, il ne s'agit pas non plus d'une radioscopie de ladite société. Renaud montre les endroits associés : la chambre d'ami spacieuse de la demeure du gouverneur (avec cheminée, riches draperies, buste sur pied), avec toujours la très belle allée boisée pour accéder à l'entrée, quelques rues du Vieux Carré (quartier français) avec ses façades typiques, la belle terrasse du restaurant où déjeunent Caroline Baldwin, son éditeur et Aubercombe, l'échoppe à la décoration particulière d'Oscar Beaubois, le bateau avec une roue à aube où se déroule la réception de Pierre Lavish, l'arrière-salle d'un bar avec sa table de billard. Les dessins précis et minutieux montrent les éléments concrets, les traits fins assurant une grande lisibilité quel que soit le nombre de détails, permettant au lecteur de se projeter à chaque endroit.



Dans ce tome-ci, Jessica Blandy n'est pas qu'un simple catalyseur des événements ou de la résolution : elle y joue à chaque fois un rôle actif. Pour autant elle ne se montre pas plus maligne que les autres. En la regardant, le lecteur se rend compte que ce qui fait sa spécificité, c'est sa capacité à s'impliquer dans les situations, à donner de sa personne, à être capable de s'imprégner de la culture du milieu dans lequel elle se trouve. À la fin du tome précédent, sa curiosité l'avait poussée à inspecter la demeure des Charman, mais pas comme une tête brûlée, en ayant bien pris soin de s'assurer qu'ils ne seraient pas présents, pour ne pas déclencher une confrontation à haut risque. Le scénariste n'avait pas utilisé le cliché qui veut que les propriétaires surviennent inopinément. Ici, elle continue de s'informer avant d'agir, que ce soit auprès de Victoria Charman, auprès d'Aubercombie, auprès d'Oscar Beaubois. Elle réfléchit avant d'agir. Dans le même temps, elle ne reste pas en simple observatrice du milieu socio-culturel : elle y participe en se soumettant à ses us et coutumes, en s'impliquant physiquement. Elle se met en situation de risque et paye de sa personne, à l'opposé d'un héros qui arrive avec son système de valeurs et sa façon de faire et qui l'impose aux autres. Elle se soumet ainsi au rite vaudou pratiqué par Oscar Beaubois, a priori sceptique tout en étant réceptive aux croyances mises en jeu. De la même manière, elle accepte de suivre Victoria Charman sur son terrain, de se laisser aller à son invitation sexuelle.



Jessica Blandy reste largement une énigme quant à son passé, ce qui l'a construite en tant qu'individu. Dans le même temps, son comportement est cohérent depuis le début de la série, avec cette mise en danger à chaque histoire, attestant d'une forme de mal-être parfois morbide, d'une façon d'être entière et de ne pas tricher, une authenticité intègre qui qui la pousse à faire l'expérience de l'altérité d'une partie des individus qu'elle rencontre. Lorsqu'elle papote avec Victoria dans une boîte de nuit, il apparaît que l'un et l'autre présentent une fêlure intérieure, caractéristique qu'a identifié Jessica et à laquelle elle répond. Ce comportement permet que le dénouement fasse sens. Il montre également en quoi Jessica Blandy est capable de traverser les épreuves transformatives (ici le rite vaudou) et de surmonter le traumatisme qu'elles provoquent. Le dénouement peut sembler ridicule sur un plan matérialiste ou rationaliste, mais il fait sens sur le plan spirituel et psychologique, Jessica Blandy ayant traversé les épreuves spirituelles et ayant été capable de s'adapter au nouveau point de vue qu'elles apportent.



Renaud et Jean Dufaux concluent l'histoire commencé dans le tome précédent en répondant aux attentes du lecteur en ce qui concerne la mise en scène d'éléments vaudou, sans tomber dans le spectacle de pacotille, en montrant des environnements à la fois touristiques et plausibles, et en apportant un dénouement à leur polar. En creux, le lecteur se rend compte que le thème principal de la série reste bien présent avec une autre forme d'écart par rapport à ce qui est considéré comme la normalité psychologique et avec la personnalité psychologique de Jessica Blandy qui lui permet de s'immerger corps et âme dans une culture différente et de s'y adapter sans s'y perdre.
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Jessica Blandy, tome 9 : Satan, mon frère

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 8 : Sans regret, sans remords... (1992) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1993, écrite par Jean Dufaux, dessinée, encrée et mise en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Elle a été rééditée dans Magnum Jessica Blandy intégrale T3.



Alors que l'autoradio diffuse la chanson Careless Love de Dr. John (Malcolm Rebennack), Raymond Dove (un représentant de commerce) franchit un pont, puis s'enfonce dans une petite route dans la campagne. Il perd le contrôle de son véhicule et percute un arbre à vitesse réduite. Il sort de sa voiture et se met à marcher en se tordant de douleur du fait de crampes à l'estomac, jusqu'à une grange abandonnée. Il y pénètre, tombe à genou plié en deux par la douleur, et régurgite un œuf entier dans sa coquille. Ce dernier se fendille alors qu'il tombe des pétales de roses noires du plafond. À la Nouvelle Orléans, un barbier pose le linge protecteur autour du cou de son client, alors que la radio diffuse la chanson These Foolish Things de Billie Holiday. Des pétales de roses noires se mettent à tomber du plafond, le barbier tranche la gorge du client. Dans sa cellule, le révérend Ismaël finit sa prière devant une icône de la Vierge Marie. 2 policiers viennent le chercher.



Le révérend Ismaël est conduit à l'étage dans la demeure du gouverneur de la Louisiane. Dans le même temps, Jessica Blandy se présente à la porte principale de ladite résidence. Un domestique la conduit jusqu'au gouverneur qui lui dit avoir aimé son dernier livre. Il lui explique la situation : la présence inquiétante dans la région de 2 prêcheurs (Louis et Victoria Charman) appartenant à l'église de Satan. Jessica Blandy se rend compte qu'il y a une autre personne présente dans la pièce : Auberville qu'elle connaît depuis l'affaire de la famille Anderson et l'enlèvement d'Henry Balasco. Elle accepte de monter à l'étage pour se retrouver face au révérend Ismaël (qu'elle a aussi croisé lors de la même affaire) car il a déclaré qu'elle est la seule à pouvoir mettre fin à l'influence pernicieuse des 2 prêcheurs qui semble provoquer une recrudescence de suicides pour la plupart d'une violence extrême. Ismaël l'accueille dans la chambre en la qualifiant de fille d'Éléazar, en lui rappelant qu'il a consacré son union avec Clay Anderson, le fils d'Éléazar. Il lui indique que la voix du Seigneur lui a parlé de sa rédemption et du mal incarné par Victoria et Louis Charman, les deux prêcheurs.



En ouvrant un nouveau tome de la série, le lecteur sait ce qu'il vient chercher : Jessica Blandy enquêtant de manière plus ou moins développée, des criminels qui font peur, des dessins qui montrent des endroits spécifiques et des individus énigmatiques dans leur comportement. Arrivé au neuvième tome, ce n'est pas une évidence pour les auteurs de se renouveler tout en répondant aux attentes implicites du lecteur, en respectant les caractéristiques de la série qu'ils ont eux-mêmes crées. La scène d'ouverture établit que le récit ne se déroule plus sur la côte Ouest, mais en Louisiane, et que les meurtres présentent une caractéristique potentiellement surnaturelle (pour ce qui est de la pluie de pétales de roses noires). Le lecteur sait aussi que cet élément peut être la visualisation de ce que représente l'individu dans sa tête. Jean Dufaux et Renaud n'ont pas perdu la main pour installer une atmosphère inquiétante et malsaine : un individu qui se suicide à l'écart de tous sans raison apparente, un barbier qui égorge un client sans signe annonciateur. Voilà qu'en plus revient un personnage secondaire de Jessica Blandy, tome 3 : Le Diable à l'aube (1988), s'étant montré malveillant à l'encontre de Jessica Blandy et ayant eu une forme d'emprise sur elle. A priori, le lecteur peut trouver ridicule que le scénariste ait recours à des croyances vaudou, et Jessica montre dans le face à face avec le révérend Ismaël que celui-ci a perdu son emprise sur elle. Il n'est pas sûr que l'intrigue tienne la route sur la base d'un vaudou de pacotille.



Dans le même temps, il retrouve la narration visuelle appliquée et substantielle de Renaud. Dès la première page, il a l'impression d'être en train de conduire sur ce pont métallique à la rouille apparente, d'avancer sur route secondaire bordée d'arbres, avec une végétation en cohérence avec cette région. Dans l'échoppe du barbier, le dessinateur représente les éléments attendus (fauteuil, plan de travail) et va plus loin avec les cartes postales au mur et les flacons de produits. En planche 7, le lecteur voit un peu en élévation Jessica Blandy marcher dans l'allée qui mène chez le sénateur, bordée d'arbres sur une belle pelouse, pour un paysage qui donne envie d'y être. Au fil des séquences, il peut s'installer sur une chaise pour participer à une séance dans la grande salle de la maison des Charman, prendre un canot à moteur dans le bayou, déambuler dans un marché couvert, s'installer dans le salon chic de madame Grandville pour une deuxième séance de spiritisme (avec un mobilier et une décoration bien différente de la première), ou encore marcher dans les rues typiques du quartier français de la Nouvelle Orléans.



Renaud continue de détourer les décors et les personnages avec un trait très fin et précis, mais sans impression de fragilité. Ce choix peut parfois donner une impression un peu clinique (les façades des maisons dans Bourbon Street), ou un peu artificielle (l'oreille en gros plan de Jessica Blandy, planche 13). Majoritairement, ce détourage au trait fin produit un effet de précision et de délicatesse, et il est complété par une mise en couleurs de type naturaliste rendant bien compte de la qualité de la lumière. Les différents protagonistes ont une apparence à chaque fois différenciée, sans être exagérée, à la fois par leur morphologie, leur visage, leur coupe de cheveu et leur tenue vestimentaire. Jessica Blandy est plus séduisante que jamais, avec un corps élancé, un maintien droit et un visage expressif, parfois un peu triste. Rien qu'en regardant le révérend Ismaël, le lecteur peut ressentir la force inébranlable de sa foi, l'impossibilité de remettre en cause ses valeurs et ses rites. Aubercombe apparaît froid et efficace, mais aussi capable d'écouter. Albie, un indicateur employé par Aubercombe, donne l'impression de quelqu'un de courageux, mais aussi de peu réfléchi. La surcharge pondérale et la robe de madame Grandville lui donne une apparence de rombière, tout en conservant son naturel, sans en devenir comique. Le lecteur éprouve donc la sensation de regarder de vraies personnes, évoluant dans des endroits réels.



Les talents de dessinateur de Renaud font que le lecteur ressent la souffrance de Raymond Dove due à ses crampes d'estomac. Il ressent la curiosité et la fascination d'Albie qui le conduisent à manger un œuf dans la demeure des Charman. Il comprend comment une personne peut être convaincue par la voix et les paroles de Louis Charman, grâce à son attitude calme et posée. De la même manière, Jean Dufaux évite d'en faire trop et dose ses effets. Il n'abuse pas de la pluie de pétales de roses noires, et il ne sort pas tout l'attirail souvent associé aux pratiques vaudou. Il se tient à l'écart du satanisme (pourtant évoqué dans le titre). Quand il fait référence à une pratique religieuse, c'est juste en passant, sans insister, et le lecteur peut très bien ne pas la relever (comme l'usage du silice pour la mortification, planche 12). Il installe des morceaux de musique en ouverture de plusieurs scènes : à chaque fois un interprète issu de la région ou un morceau en lien, Billie Holiday (1915-1959), Danny Elfman (pour le film Nightbreed 1990), The Jumping Rivers, Sarah Vaughan (1924-1990). L'intrigue fonctionne sur la base d'une enquête sur la nature des prêches et de l'influence de Louis Charman, et l'assistance de sa sœur Victoria. Le lecteur peut très bien s'en tenir là dans son approche de la lecture, en estimant que les gogos se laissent influencer par les Charman du fait de leur crédulité, et que les œufs et les pétales sont effectivement la manifestation de leur esprit enfiévré, qu'ils se sont auto-persuadés du la réalité du boniment du prédicateur.



L'adresse des auteurs résident dans la mise en scène des suicides sans explication rationnelle, et dans l'utilisation du symbole de l'œuf (objet fermé contenant la vie). Au lieu de mettre en scène le folklore spectaculaire associé aux rites vaudou, ils mettent en scène le thème de l'influence pernicieuse, de l'emprise mentale, de l'ascendant d'une personne sur une autre. Mis à part une référence à Marie Laveau (pas très subtile), Dufaux ne fait référence qu'à la vierge noire, et encore que par la présence d'une statuette lors des séances de Louis Charman. Le lecteur qui ne connaît pas le lien avec Erzulie (esprit vaudou) n'y voit qu'une bizarrerie. Il associe alors les comportements étranges uniquement au fait que les protagonistes sont inconsciemment influencés par le comportement de Louis Charman. Sans qu'ils ne s'en rendent compte, ils ont intégré un élément ou un autre de son discours, de son système de croyance, leur inconscient faisant le reste jusqu'à ce qu'ils accomplissent un geste inhabituel, ou qu'ils manifestent des douleurs psychosomatiques insupportables. La force des convictions personnelles de Louis Charman est aussi intense que celle des convictions d'Ismaël, une foi aveugle dans un système de croyance qui par voie de conséquence fait douter les autres de leurs propres certitudes. Le lecteur peut très bien n'ajouter aucune foi au vaudou ou à la religion chrétienne, il finit par être gagné par le malaise de ces individus perturbés dans leur confiance en eux au point que ce conflit psychique ait des répercussions physiques sur leur corps et leur esprit.



Une fois encore, Renaud et Jean Dufaux réussissent à mettre le lecteur mal à l'aise avec des comportements sortant de la norme sociale acceptée, et provoquant la mort de plusieurs personnes. Il s'agit d'enquêter sur l'influence d'un prédicateur et de sa sœur se réclamant de l'église de Satan, normaux en apparence. Évitant les clichés du vaudou, ils mettent en scène la notion d'influence mentale, d'angoisse pour des personnes impressionnables. Cette première partie de l'histoire reste bien dans le registre de la série : sonder des comportements sortant de la norme de la bonne santé mentale.
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Jessica Blandy, tome 1 : Souviens-toi d'Eno..

Je garde un très bon souvenir de mes lectures de Jessica Blandy. Des scénarios directs, des dessins épurés rehaussés par zeste de sensualité, des crimes; et le tout comme bercé par des chansons de blues comme en toile de fond...
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Jessica Blandy, tome 3 : Le Diable à l'aube

Dans un coin perdu des bayous des Everglades, une petite fille pauvre rêve d'avoir un bel ours en peluche. Pendant ce temps, un émissaire est poignardé par deux malfrats alors qu'il tentait de négocier les conditions de la remise d'une rançon. Son corps est jeté aux alligators. La journaliste Jessica Blandy et le cousin d'un mafieux sont les otages qu'il s'agit (apparemment) de libérer. Les malheureux ne savent pas qu'ils risquent de subir le même sort que l'envoyé car vivants ils sont trop encombrants pour tout le monde. Le charme et la beauté de Jessica Blandy lui permettront-ils d'échapper à la mort ?

Ce troisième épisode est une histoire complète qui tient en un seul volume, d'où son côté plus sommaire, moins travaillé que la précédente qui en avait nécessité deux. Les dessins précis et délicatement colorés de Renaud et l'intrigue de Dufaux campent bien l'ambiance glauque du monde un peu étrange des marginaux des marécages de Floride. Il faut lire ce roman noir en BD en imaginant la bande sonore proposée. Il s'agit des chansons des Doors dont de larges extraits sont cités (« Light my fire », « People are strange », « The end »... etc...). Une sorte de concept assez original : la BD d'ambiance avec hommage au chanteur décédé Jim Morrison.
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Jessica Blandy, tome 2 : La maison du Dr Zack

Gus Bomby, le détective privé ami de Jessica Blandy, abat en légitime défense une femme complice d'un guet-apens et se retrouve à la merci de l'inspecteur Robbie qui mène l'enquête de son côté en espérant en tirer profit pour lui-même en bon ripoux qu'il est. Lee, le malfrat asiatique qui a attaqué Jessica, est retrouvé assassiné dans les locaux de la police alors que Jessica découvre une photo de GI's au Viet-Nam qui pourrait l'amener à trouver une explication à la longue série de meurtres qui se poursuit allégrement...

Ce deuxième tome permet de clore l'histoire d'Enola Gay et de comprendre enfin les raisons de l'hécatombe. Il s'agissait d'une vengeance, d'un règlement de comptes suite à une trahison qui coûta la vie d'un certain nombre de soldats sur le champ de bataille. L'intrigue est bien menée, les personnages bien campés et les vignettes un peu minimalistes mais bien dessinées quand même. L'héroïne, aussi jolie que sexy, est un plus souvent qu'à son tour en petite tenue ou carrément nue, mais comme sa plastique est parfaite, on ne s'en plaindra pas. Un bon thriller bien noir. Du coup, on a envie de lire la suite des aventures de la beauté californienne...
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Jessica Blandy, tome 19 : Erotic attitude

Installée à New York, Jessica Blandy tente de se reconstruire et de vivre une existence plus normale quand elle rencontre un certain Gary Benson, peintre en perte de vitesse, qui s'était rendu célèbre pour une série de portraits de femmes surprises en plein orgasme. L'ennui, c'est qu'une à une, tous ces modèles ont été assassinées sans doute par un serial killer. La police soupçonne Benson. L'affaire se complique quand ce dernier propose à Jessica de poser pour lui...

Un thriller bien mené avec une série de crimes et un soupçon d'érotisme et de perversion bien dans le ton de la série. L'intrigue est rondement menée. L'ennui, c'est que la fin est un peu légère pour ne pas dire carrément invraisemblable. Le graphisme est particulièrement soigné comme dans tous les autres tomes. Le filon des aventures de la charmante bimbo blonde semble avoir encore de beaux jours devant lui avec cet épisode intéressant.
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Jessica Blandy, tome 10 : Satan, ma déchirure

Jessica est allée perquisitionner chez les Charman. Elle y a trouvé un oeuf qu'elle a gobé. Depuis, elle a des hallucinations et elle fait des cauchemars pendant lesquels elle se voit morte et enterrée. Elle sympathise avec Victoria Charman qui semble subir l'emprise de son frère plutôt qu'autre chose. Elle pense se servir d'elle pour parvenir à ses fins. Initiée à son tour au vaudou, Jessica se sent suffisamment forte pour affronter l'étrange sorcier sur son propre terrain. Mais auparavant, il lui faut faire la lumière sur les rapports qui lient Charman et Lavish un milliardaire dont la fortune a décuplé du jour où celui-ci a rencontré le couple.

Ce 10ème tome permet au lecteur de connaître la fin de cet épisode particulièrement noir. Il apprendra pas mal de choses sur le vaudou, ce mélange étrange d'animisme, de catholicisme et de sorcellerie pratiqué dans le sud des Etats-Unis, en Amérique du Sud et dans les Antilles. Les auteurs font dériver leur histoire du simple thriller ou roman policier au roman noir en privilégiant l'ambiance, et obtiennent une véritable réussite sur ce plan. Certaines vignettes d'intérieur de bordels ou de coins du Quartier français la rendent particulièrement bien. A cela, s'ajoutent de nombreuses allusions à des morceaux cultes de musique jazz, pour rester « In the mood ». Sans doute faut-il relire ce magnifique album en les plaçant sur sa platine...
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Jessica Blandy, tome 7 : Répondez, mourant...

Einstein Bragman quitte l'établissement psychiatrique où il était soigné depuis trois ans alors que son médecin émet les plus gros doutes sur sa guérison. Linda, sa soeur, une très riche femme d'affaires le prend en charge... Elle a également demandé à Gus Bomby, le privé, de surveiller Jessica Blandy qu'elle soupçonne de draguer son mari architecte lors d'entretiens au sujet de la construction de sa maison sur un coin isolé de la côte californienne. Deux crimes étranges sont commis à l'aide d'un poignard fin comme un stylet. On note la présence d'une jeune femme blonde ressemblant étrangement à Jessica et une signature, « Jalaca »...

Ce septième tome ne présente pas vraiment une énigme policière très compliquée (le lecteur un peu futé en trouvera aisément et rapidement la clé) mais plutôt une plongée dans les méandres de la folie, des obsessions et autres troubles mentaux des divers . Einstein est un grand psychopathe. Jessica peine à se remettre de ses aventures au Mexique des tomes précédents et Linda a également bon nombre de problèmes. Le tout dans une ambiance « west coast » très bien rendue. Du point de vue graphique, c'est un album particulièrement soigné, précis dans le trait et d'un grand réalisme. De jolies couleurs claires et fraîches ainsi que des bimbos aux anatomies gracieuses agrémentent l'ensemble. Un des meilleurs de la série de la pin-up détective.
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Jessica Blandy, tome 5 : Peau d'enfer

Non loin de la frontière mexicaine, sévit un certain Peau d'Enfer qui rackette les commerçants et se livre au trafic d'immigrants clandestins avec la complicité de la police et de certaines élites locales. Le privé Gus Bomby en fait les frais. Comme Jessica le récupère en piteux état, elle tente une action auprès d'un certain Singfold, homme d'affaires qui semble avoir beaucoup de relations dans la région. Mais cela se retourne contre elle et elle tombe dans un guet-apens. Les gangsters la capturent dans l'intention de l'expédier dans un claque de l'autre côté de la frontière...

Ce cinquième tome ne représente que la première partie d'une nouvelle enquête particulièrement difficile de la belle blonde à la gâchette facile. Le milieu de la frontière est particulièrement hostile. La corruption règne partout. Les flics sont des ripoux. La violence, la drogue, les viols et la pédophilie sont partout la règle. Cet épisode commence de façon fort sombre et pourtant les couleurs sont fraîches et gaies, les dessins délicats et élégants et l'héroïne sympathique et sexy à souhait. Nul doute que le lecteur n'ai hâte de lire la suite dans le tome suivant...
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Jessica Blandy, tome 6 : Au loin, la fille ..

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 5 : Peau d'enfer (1989) qu'il faut avoir lu avant car les 2 tomes forment un diptyque. Il est initialement paru en 1990, écrit par Jean Dufaux, dessinés et mis en couleurs par Renaud (Renaud Denauw). Ce tome a été réédité dans un format plus petit, dans Jessica Blandy, L'intégrale - Volume 2.



Quelque part dans le désert, Floyd, l'aigle borgne, contemple l'humanité s'affairer depuis les hauteurs. Dans un taudis perché sur une colline jonchée d'immondices, Latino Babe est en train de déguster une tortilla de Mama Rosa, particulièrement relevée par les piments qu'elle contient. Il indique à Mama Rosa qu'elle peut aller chercher la fille qu'il a laissée dans la carcasse d'une voiture, sous un soleil de plomb. Jessica Blandy a bien du mal à avancer sous la menace du fouet de Mama Rosa car elle est complètement déshydratée et encore un peu dans les vapes du shoot d'héroïne injecté par Latino Babe peu de temps auparavant. Ce dernier oblige Jessica à manger la tortilla si elle veut avoir de l'eau. Contrainte et forcée, elle est obligée d'obtempérer malgré la douleur provoquée par la force des piments. Puis les deux geôliers emmènent Jessica dans la chambre d'à côté, souillée par les déjections de poules. Mama Rosa la déshabille et Latino Babe prend des polaroïds pour pouvoir montrer la marchandise plus tard aux clients potentiels. Enfin, il viole Jessica pour tester la marchandise.



Dans la propriété d'Adrian Montague, Gus Bomby a recouvré assez de conscience pour se soustraire à la piqûre bien chargée de l'infirmière Nancy, et la contraindre par la force à lui fournir une arme, à l'emmener auprès de Sam Sam (le chauffeur de Montague), et avant tout ça l'embrasser sous la contrainte. Bomby réussit à maîtriser Sam Sam, mais il est obligé d'abattre Nancy pour le décider à coopérer. Son cadavre tombe dans la piscine. Mama Rosa a la désagréable surprise de voir arriver un client pour Jessica, alors que Latino Babe vient de partir. Il s'agit d'un individu se faisant appeler El Presido, accompagné par Sirto, un nain tiré à quatre épingles. Mama Rosa n'est pas très disposée à laisser El Presido faire son affaire avec Jessica car il a une fâcheuse tendance à abîmer les femmes avec son couteau, auquel il a donné le nom de Jalaga. Malheureusement, Mama Rosa ne dispose pas des moyens pour pouvoir s'opposer réellement à la volonté d'El Presido. En outre, Jessica est encore à moitié dans les vapes du fait de son shoot d'héroïne. De l'autre côté de la frontière, Rafaele joue au ballon avec d'autres enfants, sous la surveillance d'une femme, en attendant le passeur qui doit les amener aux États-Unis.



Ce tome formant un diptyque avec le précédent, il était impensable de ne pas le lire. Le lecteur sait qu'il sera glauque avant même de l'entamer, car Jessica Blandy a été enlevée par deux tristes individus gérant un clandé avec un rythme d'abattage à la frontière mexicaine. Comme à son habitude, Jean Dufaux ne joue pas l'hypocrisie. Jessica Blandy est déshabillée, photographiée comme une vulgaire marchandise et violée. Renaud la représente nue, mais ne montre pas le viol, ce qui ne diminue en rien l'intensité de la souffrance du personnage, exprimée par un hurlement qui fait mal à voir. Arrivé à ce sixième tome, le lecteur a bien intégré la nature de la série : des romans noirs et glauques, qui ne peuvent pas finir bien, même si le personnage principal survit. Ce tome ne déroge pas à la règle puisqu'il s'y produit plusieurs meurtres de sang-froid, à l'arme à feu, à l'arme blanche, au poison, il y en a pour tous les goûts. Les dessins continuent de s'inscrire dans une veine réaliste, sans rendre la violence spectaculaire pour éviter d'en faire l'apologie. Le premier coup de feu est tiré de manière posée et réfléchie. Les 2 meurtres au couteau se produisent hors champ de la caméra (ou hors case). La troisième mort par balle se concentre sur le canon de l'arme, sans montrer le cadavre. Par la suie un individu en immobilise un autre en lui tirant dans la rotule, mais avec une prise de vue éloignée qui ne s'attarde pas sur la blessure. Cette mise en scène qui prend ses distances a pour conséquence de focaliser l'attention du lecteur plus sur le geste de l'agresseur, que sur la mort de la victime, et d'éviter tout voyeurisme.



Cette distanciation n'obère en rien la violence du geste, la transgression de donner la mort. En 2 pages, Jessica Blandy règle son compte à 3 personnes. Pour les deux premières, la boucherie au couteau est laissée à l'imagination du lecteur. Les auteurs ont parfaitement préparé la situation, que ce soit la détresse de Jessica destinée à être victime, ou l'absence de toute empathie des agresseurs, prêts à jouer du couteau pour leur plaisir pervers. La tension malsaine qui se dégage du plaisir anticipé des 2 agresseurs induit l'épreuve psychologique endurée par Jessica Blandy, même si elle en ressort vivante. Le meurtre suivant est accompli par un coup de feu tiré à bout portant, dans une situation de vie ou de mort. L'acte n'est pas rendu anodin par la conscience des 2 opposants de l'absence d'alternative. À nouveau la description prosaïque de la situation montre que Jessica Blandy ressort de cette confrontation avec un traumatisme psychologique supplémentaire. À chaque fois, la violence est sèche et froide, efficace, un simple moyen pour arriver à une fin. Mais à chaque fois le meurtre est généré par une contrainte qui place l'individu dans une situation où il n'a d'autre choix que de tuer. La perversité du récit réside plus dans cette absence de choix, que dans la transgression morale de prendre une vie.



Cette façon de positionner des individus dans une situation où leur comportement ignoble fait sens déstabilise le lecteur. C'est une évidence aveuglante que Latino Babe et Mama Rosa sont des ordures, des prédateurs avilissant leurs proies, les utilisant de manière abjecte, et prêts à les exploiter jusqu'à ce qu'elles soient trop endommagées. Ils prostituent des femmes en les droguant pour s'assurer de leur docilité, et en les livrant à des clients aux pratiques au mieux douteuses, au pire sadiques, avec un objectif de rendement et de profit. Dans le même temps, Mama Rosa ne fait que reproduire un schéma dont elle a été elle-même la victime, et Latino Babe ne fait que générer de l'argent de la seule manière dont il soit capable. Les dessins montrent deux individus obèses, mal dans leur peau, résignés à exploiter d'autres êtres humains, conscients de devoir infliger des souffrances terribles pour garder l'ascendant, et en même temps pas assurés de maintenir leur position dans la chaîne alimentaire. À les voir effectuer leurs gestes familiers, le lecteur reste écœuré par leur cruauté, sans pouvoir réprimer une forme de pitié pour leur condition.



De séquence en séquence, le malaise s'intensifie à la fois par la violence s'exerçant sur des individus prisonniers de leur place et de leur rôle social, à la fois par le mal-être accablant chaque personnage, à chaque fois de nature différente. Gus Bomby s'est fait avoir, et il ne lâchera pas l'affaire tant qu'il n'aura pas mené au bout son enquête, visiblement pour une question d'amour propre. Il n'a d'autre choix que d'aller jusqu'au bout car il ne peut pas envisager les choses à partir d'un autre point de vue. Latino Babe ne sait pas faire autrement que d'abuser des plus faibles, tout en sachant pertinemment qu'il se trouve dans un mouvement de fuite en avant, sans échappatoire, l'entraînant vers une mort prématurée et sûrement très douloureuse. Mama Rosa reproduit le schéma de sa propre existence de souffrance, en devenant tortionnaire sans en éprouver de satisfaction, en regrettant la tournure qu'a pris sa vie. De ces individus, aucun n'éprouve de paix intérieure. Chacun souffre en répétant le même schéma qui continuera d'engendrer les mêmes insatisfactions et les mêmes souffrances. Le cas de Peau d'Enfer participe de cette dynamique, avec en plus une soif d'absolu qui ne peut être satisfaite, un retour à la liberté animale que la conscience de soi rend impossible.



Au regard de ces individus condamnés à répéter inlassablement le même schéma sans espoir de briser le cercle de l'Ourobos, quelques rares individus peuvent espérer une rémission. Les dessins de Renaud montrent l'évolution qui s'opère chez Sam Sam, le chauffeur d'Adrian Montague. Il passe d'un individu arrogant, dominateur et violent, à un individu contraint de se soumettre à la menace d'une arme à feu. Le registre des expressions de son visage change durablement, montrant qu'il s'installe une forme de résignation. Jean Dufaux aménage une confrontation paisible entre Sam Sam et Gus Bomby, au cours de laquelle le premier accepte volontairement une blessure incapacitante. Ce choix s'apparente à une acceptation de son nouveau statut, de sa dégringolade dans la chaîne alimentaire, d'un changement inéluctable. Il passe d'une forme de résignation à une forme d'acceptation dont le scénariste ne s'engage pas sur la pérennité. Un autre individu est en mesure d'accomplir sa vengeance, de participer à l'exécution de celui qui a rendu possible la mort de sa fille. Lui aussi donne l'impression d'avoir la latitude d'oublier avec le temps, de surmonter le traumatisme.



Il reste le cas particulier de Jessica Blandy. Dans ce tome, Dufaux lui donne plus souvent la place de personnage principal. Renaud continue de la montrer comme une femme à la beauté physique indéniable, mais pas incendiaire pour autant. Elle ne se montre pas aguicheuse, et son langage corporel reste banal, celui du quotidien, sans intention particulière. Elle réagit par rapport à une injustice patente, par rapport à la maltraitance, la cruauté envers les plus faibles, la perversité. Une fois encore, le lecteur s'interroge sur sa personnalité. Elle se retrouve à nouveau victime des pires sévices, mais elle dispose d'une force intérieure qui lui permet de continuer. Elle ne se met pas en colère, mais accomplit sa vengeance froidement, motivée par le mal qu'on lui a fait, et encore plus par le mal fait aux autres victimes. Dans le même temps, ce n'est pas un ange exterminateur abattant froidement tous les criminels qui passent à proximité. Ce n'est pas non plus une machine insensible aux coups et blessures, ou aux traumatismes psychiques. Elle semble se remettre rapidement de ses 2 shoots d'héroïne, mais dans le même temps sa maltraitance a laissé des séquelles. Son comportement lui évite de répéter le même schéma et d'en rester prisonnière, pour autant la guérison psychologique n'est pas instantanée. Pour éviter de sombrer dans la dépression ou un accablement apathique, elle s'octroie l'aide de Rafaele, enfant pré-pubère dont le lecteur se demande bien s'il sera capable de ne pas reproduire les schémas comportementaux dont il a été la victime.



Ce sixième tome concilie des approches qui ne semblaient pas pouvoir coexister. Il propose une vengeance globale avec de nombreux cadavres, sans tomber dans une tuerie généralisée. Les auteurs mettent en scène des comportements sadiques et pervers, sans voyeurisme, des individus inexcusables et malsains tout en réussissant à générer de l'empathie pour eux. Le lecteur prend plaisir à voir les bons reprendre le dessus, tout en se désolant du prix à payer sur le plan psychique, et en comprenant dans son for intérieur que ces comportements déviants sont le fruit d'un mal-être consubstantiel de la condition humaine, un mal qui ronge chaque être humain, à commencer par lui.
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Jessica Blandy, tome 4 : Nuits couleur blues

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 3 : Le Diable à l'aube (réédité dans Jessica Blandy - L'intégrale - tome 1) auquel il est fait allusion au début du récit. Ce tome 4 est initialement paru en 1988, écrit par Jean Dufaux, dessiné et encré par Renaud (Renaud Denauw) qui a également réalisé la mise en couleurs. Ce tome a été réédité avec les 2 suivants dans format plus petit, dans Jessica Blandy, L'intégrale - Volume 2.



Dans une rue de San Francisco, un clochard est en train d'écluser une bouteille, assis appuyé contre un mur, à côté de 3 gros sacs poubelle. Il vient de finir sa bouteille en espérant en trouver une autre pour le lendemain, quand il se rend compte que l'eau dans le caniveau est chargée en sang. Il provient d'un cadavre de femme tout frais, juste à côté. L'assassin regarde son œuvre en prenant une lampée dans sa flasque. Le lendemain, l'inspecteur Robby interroge le Rital, un de ses indics, sur un banc, sur une jetée, au sujet de Louisa, la femme assassinée qui travaillait pour la police. Comme à son habitude, Robby violente son interlocuteur qui sait juste qu'elle fréquentait le bar de Maxie. La copine qui héberge Jessica Blandy a fait entrer Gus Bomby (un détective privé) et lui montre Jessica en train de dormir, nue sur le canapé, en train de cuver. Ils regardent tous les deux Jessica en train de s'éveiller difficilement ; elle leur demande à quoi ils jouent. Gus va préparer du café, et une fois Jessica prête, ils sortent tous les 3 se promener sur la plage.



Chez Maxie, Stan (Stanley Oskin) est en train de s'en mettre quelques-uns derrière la cravate. Le barman lui passe un coup de fil, un proche qui lui demande de l'aide. Il indique qu'il arrive de suite. Il emprunte la voiture du barman et se rend fans un appartement de haut standing. Il y trouve un cadavre de jeune femme dans la baignoire de la salle de bain. Il se met au travail pour empaqueter le cadavre afin de l'emmener, et pour nettoyer la baignoire et effacer toutes les traces. Jessica et ses deux amis sont sortis pour aller déjeuner en terrasse dans un restaurant. L'inspecteur Robby se rend au bar de Maxie pour lui poser quelques questions sur Louisa, au cas où… Le soir, Stan se remémore une anecdote de la vie de Charlie Parker (1920-1955, saxophoniste alto de jazz américain), surnommé Bird, l'un des créateurs du style Bebop. Un soir, Parker a froid, il se déshabille dans sa chambre d'hôtel et il finit par mettre le feu aux rideaux pour se réchauffer, pour être retrouvé nu dans le hall de l'hôtel, hurlant comme un possédé, un démon échappé des flammes.



S'il a lu les 3 premiers tomes, le lecteur sait qu'il peut s'attendre à une plongée dans des comportements déviants assez glauques, dans le cadre d'une enquête de type policière, avec un rôle assez décalé pour Jessica Blandy qu'il n'est pas possible de qualifier d'héroïne. Effectivement, Renaud et Jean Dufaux commencent par une page dédiée à un clodo en train de s'imbiber, suivi par un caniveau charriant du sang. L'artiste continue de détourer les formes avec un trait très fin, avec une utilisation très rare des aplats de noir pour les ombres portées. Le lecteur observe des dessins descriptifs qui donnent une impression bizarre, d'un degré de simplification pas facile à cerner, comme s'il manquait un petit quelque chose. Au fil des séquences, il apparaît que ce degré de simplification, cette forme déconcertante d'artificialité peut provenir d'un manque de texture des différents éléments représentés. Les tissus semblent être tous les mêmes, de couleurs et de motifs différents, mais de texture identique. Il retrouve cette impression lorsque l'inspecteur Robby oblige un indicateur à plonger sa main dans un panier de crabes vivants. Les dessins des crabes sont minutieux et anatomiquement exacts, mais l'impression tactile n'y est pas.



Malgré cette sensation fugace et intermittente de dessins un peu appliqués, le lecteur s'immerge facilement dans le récit, car la mise en scène et le découpage sont impeccables. La deuxième page est impressionnante avec l'utilisation de cases de la largeur de la page très fine, avec des informations visuelles sur toute leur largeur. Renaud n'abuse de ce type de cases, mais les utilise à bon escient, soit pour focaliser l'attention du lecteur sur un élément (le sang en train de se mêler à l'eau du caniveau, progressant de droite à gauche), une ouverture du panorama (quand Stan Oskin et Jessica Blandy prennent la voiture pour longer la côte de l'océan pacifique). Le travail de concertation entre dessinateur et scénariste apparaît régulièrement, lors des pages muettes pour des prises de vue d'une grande rigueur (peu nombreuses dans ce tome), et se remarque par la clarté de la narration, comme si l'histoire était racontée par un unique créateur. Le niveau de détails élevé permet d'inscrire le récit dans une réalité concrète, avec des éléments du quotidien banals, aisément reconnaissables. Le lecteur aimerait bien pouvoir s'assoir sur l'un des bancs de la jetée (mais pas à côté de Robby et de son indicateur), même si le temps est couvert. Il n'éprouve pas de gêne particulière à regarder Jessica nue en train de dormir, en même temps que son amie et Gus. Il s'installerait bien à la même terrasse que Jessica et se amis pour déjeuner. Il passerait bien quelques jours dans l'appartement somptueux et élégant de Stanley Oskin. S'il aime le jazz un peu suintant, nul doute qu'il fréquenterait la boîte de jazz où se produit Oskin et le pianiste.



L'attention aux détails confère également une forte plausibilité aux 3 scènes évoquant la vie de Charlie Parker. Renaud réalise une reconstitution historique convaincante, sans être pléthorique. Il sait montrer l'attitude sortant de l'ordinaire de ce jazzman, tout en restant assez éloigné du personnage pour qu'il reste un mystère pour le lecteur, que ses pensées lui soient inaccessibles. Il s'agit de 3 passages dans lesquels Jean Dufaux développe le thème sous-jacent de la série, celui de la folie, des comportements déviants, dans le sens où ils sortent de la norme sociale admise. N'ayant pas accès aux pensées de Charlie Parker, le lecteur ne peut que constater l'anormalité du comportement (mettre le feu aux rideaux de sa chambre, se faire sucer sur le quai du métro, manger de façon écœurante et morbide), en ne pouvant que supputer sur le chemin de pensées qui a conduit à ces actes. L'artiste sait les rendre crédibles en développant la normalité de l'environnement des accessoires, en se focalisant sur un détail (la passivité de Charlie Parker, sa braguette, les aliments dans sa bouche quand il mastique) qui devient monstrueux dans le contexte de la scène. Ces éléments visuels en deviennent plus dérangeants que les actes de violence qui sont dépeints d'une manière très froide, sans jouer sur le caractère spectaculaire ou gore.



Les auteurs font ressortir un accessoire ou une attitude ordinaires dans tout ce qu'ils peuvent avoir de connoté. Le lecteur se surprend à avoir des haut-le-cœur en voyant un hamburger entamé et laissé en l'état, en regardant Jessica Blandy remarquer un coupe-chou, ou encore à découvrir que Jessica nue est réveillée une deuxième fois par un autre étranger. Bien sûr, la folie devient encore plus angoissante quand elle s'exprime à l'occasion d'un acte de violence (donner un doigt coupé, à manger à ses poissons) ou d'un meurtre. Mais elle n'en est pas moins dérangeante quand elle affleure dans des actes inattendus sans présenter de danger, sans qu'ils ne relèvent d'une conduite à risque. Les auteurs brouillent avec habileté la frontière entre les actes machinaux du quotidien, et les comportements déviants, d'autant qu'ils ne sont pas toujours faciles à qualifier ainsi du fait d'une tolérance floue, introduisant une incertitude sur l'état d'esprit de tel ou tel personnage. Il n'est pas normal que l'inspecteur Robby parle de lui à la troisième personne du singulier, mais est-ce grave ? Cela n'a pas l'air de l'empêcher de fonctionner ; c'est plus un mécanisme psychique pour pouvoir accomplir les tâches de son métier.



Dans un monde parfait, il n'y aurait pas d'individus contraints de passer la nuit à dormir dehors, contraint de s'abrutir dans l'alcool pour supporter leur déchéance et les conditions d'une telle nuit. D'un point de vue relationnel stable et sain, Jessica Blandy ne devrait pas rechercher une relation sexuelle dans les toilettes (sales) d'un bar. D'un autre côté, le lecteur n'en sait pas plus sur la santé mentale de la personne à la rue. Par contre, les auteurs lui rappellent que les traumatismes subis par Jessica dans le tome précédent, n'ont pas disparu d'un coup de baguette magique, qu'ils ont des conséquences. Ainsi, elle ne peut pas oublier le sort de Loretta Anderson. Son comportement résulte d'une forme d'extériorisation de ce traumatisme qu'elle n'a pas surmonté, sans parler de son mariage dans des conditions sordides. Dans le même temps, elle continue d'être une énigme. C'est une belle femme désirable, dénuée de pudeur mais pas de morale, à la recherche d'une relation émotionnelle de type amoureuse, mais ni naïve, ni prête à tout. Elle participe plus à la résolution de l'enquête que dans le tome précédent, se montrant perspicace et prenant une initiative.



Ce quatrième tome confirme la capacité des auteurs à mettre en scène la folie ordinaire, dans le cadre d'une enquête aussi sordide que banale, d'autant plus terrifiante. Renaud continue de réaliser des pages descriptives soignées et détaillées, et Jean Dufaux met en scène des personnages plausibles, pas plus fous que son lecteur, mais irrémédiablement abîmés par la vie.
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Jessica Blandy, tome 3 : Le Diable à l'aube

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 2 : La maison du Dr Zack qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il est paru pour la première fois en 1988, écrit par Jean Dufaux, dessinés et encrés par Renaud (Renaud Denauw) et mis en couleurs par Béa Monnoyer. Ce tome a été réédité avec les 2 premiers dans format plus petit, dans Jessica Blandy, Intégrale : Tome 1, Souviens-toi d'Enola Gay ; Tome 2, La maison du Dr Zack ; Tome 3, Le diable à l'aube.



Dans une petite ville de Floride, il y a un ours en peluche sur l'étagère de la devanture d'un magasin. Alice, une petite fille, en parle le soir à ses parents, en espérant qu'un jour son père (qui est au chômage) puisse lui offrir. Dans l'une des voies d'eau du marécage des Everglades, James Currie, le secrétaire particulier d'Irving Balasco, vient remettre l'argent promis aux frères Anderson (Clay & Boogie Woogie). Mais l'entretien ne se passe pas comme prévu : Clay récupère l'argent et poignarde le plénipotentiaire, puis lui tranche le doigt qui porte une chevalière. Boogie Woogie donne le cadavre à manger aux crocodiles. Pendant ce temps-là, la police vient de retrouver la limousine d'Henry Balasco (le cousin d'Irving Balasco) qui a été enlevé. Plus profond dans les marécages, une très jeune adolescente fait cuire des œufs, au son d'un disque des Doors. Elle les apporte aux 2 prisonniers dans une autre baraque : Hector Balasco (avec une blessure importante au niveau du ventre) et Jessica Blandy.



Sur ces entrefaites, Clay et Boogie Woogie Anderson rentrent de leur mission, et Clay rend compte à son père de ce qu'il a accompli. Clay fait comprendre à son père qu'il compte bien garder Jessica Blandy pour lui, et que son père a intérêt à ne pas y toucher. Puis il part à la recherche de sa sœur Loretta qu'il commence à réprimander pour avoir abimé un de ses disques. La petite ne se laisse pas faire, le menace avec un couteau, et exige qu'il la laisse tranquille, alors qu'elle se repose à côté de la tombe de leur mère Emma Lyons. À Miami, dans une riche demeure, monsieur Blue se présente devant Irving Balasco. Ce dernier lui explique que sa combine pour faire enlever, puis assassiner son propre cousin se retourne contre lui, car le clan des Anderson le fait chanter, après avoir froidement exécuté son secrétaire James Currie. Il demande à monsieur Blue de mettre de l'ordre dans tout ça et de ne laisser aucun survivant, même la pauvre blonde (Jessica Blandy) qui s'est retrouvée mêlée à tout ça, juste parce qu'elle souhaitait interviewer Henry Balasco, pour écrire un article de journal.



Les 2 premiers tomes de la série ont montré au lecteur son originalité quant au personnage principal. Ce troisième enfonce le clou. La série porte le nom de Jessica Blandy, mais celle-ci ne joue pas le rôle de femme d'action, ni même de femme fatale. Le lecteur habitué à des héros ou héroïnes classiques ne peut qu'être fortement déconcerté par le traitement de Jessica Blandy. Dans ces polars, elle ne résout pas l'enquête, elle ne mène pas l'enquête. Plus surprenant, elle n'est ni le catalyseur des événements ou du dénouement, ni même un deus ex machina qui débloque la situation. Arrivé au troisième tome, le lecteur ne peut pas s'empêcher de s'interroger sur ce personnage singulier, sur cette femme maltraitée. Comme dans les tomes précédents, Dufaux aménage une scène où elle se retrouve nue et en fait un objet du désir masculin. Renaud représente la nudité frontale, mais sans gros plan, ni pose lascive. Si l'effet sur le lecteur mâle est indéniable, les événements et le comportement des personnages justifient cette séquence, et le place en position inconfortable de voyeur impuissant. Par ailleurs, Renaud montre que Jessica soigne sa silhouette, à la fois sur le plan physique, à la fois avec ses tenues vestimentaires, ici un superbe ensemble blanc immaculé, et de la lingerie recherchée. En fait, malgré une relation sexuelle contrainte pour Jessica, le moment le plus chargé en érotisme pervers intervient au bord d'une piscine avec 2 beaux éphèbes dans le plus simple appareil, ce qui sous-entend une relation de nature homosexuelle et vraisemblablement tarifée, ou tout du moins intéressée comme peut l'être un gigolo.



Dans le même temps, Jessica Blandy ne se comporte pas comme une allumeuse. Sa tenue correspond à son activité initiale : accompagner un riche entrepreneur pour bénéficier d'une interview, afin de rédiger un article sur cette famille aux affaires opaques. C'est une autre particularité de ne quasiment rien savoir de Jessica Blandy. Le lecteur reçoit juste la confirmation qu'elle exerce le métier de journaliste et qu'elle a déjà écrit 2 livres. Elle ne semble avoir aucune attache familiale, et les auteurs ne révèlent rien de son passé. En ce qui concerne son caractère, elle se retrouve à nouveau dans une situation horrible, séquestrée à côté d'un blessé, dans des conditions d'hygiène douteuse, aux mains d'individus sociopathes, contrainte à un mariage forcé, et à la nuit de noces qui s'en suit. L'absence de bulles de pensée ou de voix intérieure limite fortement la projection du lecteur dans le personnage. Son visage indique des émotions qui sont le plus souvent en réaction à ce qu'elle voit ou ce qu'elle observe. En termes de caractère, le lecteur retient donc de son visage ses expressions d'indignation. Finalement le caractère de Jessica Blandy apparaît en creux et déstabilise le lecteur. Malgré sa situation (enlevée, séquestrée, mariée de force) et le danger grave et imminent, elle ne se conduit pas en victime et elle ne perd jamais sa capacité d'empathie, ce qui lui confère malgré tout un réel statut d'héroïne.



Comme dans le tome précédent, les auteurs savent s'y prendre pour développer une ambiance malsaine et créer un mal-être existentiel chez le lecteur. Dans un premier temps, il peut sourire en découvrant les stéréotypes utilisés comme les bouseux isolés dans leur coin d'Amérique rurale, faisant régner leur loi, devant le prêtre à l'interprétation très personnelle de la Bible, devant l'opulence de la demeure de l'homme d'affaires illicites, ou encore les conditions de détention rudimentaires de Jessica Blandy et Henry Balasco. Mais les auteurs mettent ces éléments en œuvre, au premier degré, sans aucune ironie. Bientôt, le lecteur ressent l'effet cumulatif de ces différents éléments, pas très originaux pris un par un, mais formant un tableau sombre de l'humanité dans ce qu'elle a de plus misérable et méchante. Quand il découvre la manie malsaine de Boogie Woogie, (lécher les plaies pour en laper le sang), à nouveau la représentation très prosaïque, sans hémoglobine qui coule par litre, transcrit avec force cette manie irrépressible déviante de manière plausible dans tout ce qu'elle a de répugnant. Renaud n'est pas adepte des gros plans gore, ou de l'exagération dramatique, ce qui donne plus de réalisme à cette manie dégénérée. De la même manière, il n'exagère pas l'état de délabrement de la cabane où sont détenus Jessica et Henry. Ce n'est pas une construction très solide, mais elle ne menace pas de s'écrouler au premier coup de vent.



Alors quand le comportement de Clay Anderson monte qu'il est incapable d'éprouver de l'empathie, son discours sur la manière de traiter une femme prend une dimension horrifique sans même qu'il n'ait besoin de le mettre en pratique. Il suffit que Jean Dufaux glisse une allusion discrète à un moment d'égarement du même personnage, pour que le lecteur comprenne par lui-même qu'il s'agit d'un acte de pédophilie, sans que le mot ne soit écrit. L'évocation de la chanteuse disparue Emma Lyons produit un impact sur le lecteur non pas à cause de la maltraitance qui a été son lot, mais par l'évocation d'un passé révolu et disparu. Le malaise naît de son oubli par le monde extérieur, alors même que ses chansons ont parlés à des dizaines de milliers d'auditeurs et les ont émus. Le lecteur ressent l'inéluctabilité du temps provoquant un oubli qui efface tout, jusqu'à l'existence des individus, relativisant les accomplissements de chacun jusqu'à les rendre insignifiants. L'horreur devient psychologique, d'une redoutable efficacité. La fin positive ne parvient aucunement à effacer la sensation de futilité de la vie humaine, la vanité des réussites personnelles.



Du fait du pragmatisme de la narration, l'œil du lecteur a tendance à ne pas prêter attention aux dessins, à regarder avec condescendance ces formes détourées d'un trait fin peu consistant, à n'y voir qu'une représentation un peu superficielle d'une réalité évidente et facile. Pourtant les pages de Renaud sont loin d'être vides. Il s'investit fortement pour donner de la consistance aux personnages, avec un casting qui ne repose pas sur des trognes, mais sur des morphologies différentes, une direction d'acteur naturaliste, avec la limite des expressions faciales pas toujours nuancées. Il s'implique tout autant dans les décors, que ce soit la régularité de leur présence (dans plus de 80% des cases, ce qui est très élevé) ou dans les détails réalistes qui leur donnent des caractéristiques concrètes et différenciées. Le lecteur observe que les milieux naturels sont représentés avec soin, en particulier sur l'exactitude de la végétation, même si la faune n'est pas très présente. Lors des dialogues, il ne se contente pas d'une alternance de têtes en train de parler, mais il travaille à partir d'un véritable plan de prises de vue préétabli.



Ce troisième tome constitue la confirmation des éléments constitutifs de la série, ainsi que la capacité des auteurs à se renouveler, tout en restant dans le même registre. Jessica Blandy reste une énigme, et dans le même temps son caractère se dessine en creux, très étonnant. Le récit reste dans le registre du polar très noir, et les auteurs continuent à employer des conventions d'une Amérique parfois stéréotypée, mais en jouant sur l'effet cumulatif, et une narration prosaïque et premier degré. Il n'y a pas d'enquête à proprement parler, il s'agit plus d'un thriller. Dans le même temps, il y a bien des meurtres et des actes de violence, et la fin fait encore plus ressortir l'amoralité des individus impliqués, ainsi que la manière dont le déroulement de leur vie découle de leur situation à la naissance, et du milieu dans lequel ils ont grandi, avec une bonne dose de fatalisme et de prédétermination sociale et culturelle. 5 étoiles pour un récit à ne pas lire quand on est déprimé. Quelques séquences bénéficient d'un sous-titre (comme : le coup du sourire au fond de la boîte) qui traduise un cynisme désabusé d'une rare dureté.
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Jessica Blandy, tome 2 : La maison du Dr Zack

Ce tome fait suite à Jessica Blandy, tome 1 : Souviens-toi d'Enola Gay avec lequel il forme une histoire complète en 2 parties. Il est initialement paru en 1987, écrit par Jean Dufaux, dessiné par Renaud (Renaud Denauw) et mis en couleurs par Béa Monnoyer. Ce tome a été réédité avec le premier et le troisième dans format plus petit, dans Jessica Blandy, Intégrale : Tome 1, Souviens-toi d'Enola Gay ; Tome 2, La maison du Dr Zack ; Tome 3, Le diable à l'aube.



À San Francisco, le détective Gus Bomby mène l'enquête à sa manière : au cours d'une partie de poker nocturne, avec Pete le rat. Comme ce dernier est rincé et que Gus continue de gagner, la mise devient des informations. Gus apprend ainsi que l'assassinat de Scott Mitchell est lié à celui de Jeffrey Lanes. Gus relance d'une partie, mais il se fait choper par les 2 autres joueurs la main dans le sac en train de tricher. Il s'en suit un échange de coups alors que les 2 joueurs essayent de la neutraliser afin de lui faire passer l'envie de tricher. Une fois qu'ils l'ont maîtrisé, Ma (une femme enrobé d'un certain âge qui était occupée à repasser dans la même pièce) s'approche de lui avec le fer à repasser brandi d'une main pour s'en servir sur le visage de Gus. Il réussit à se libérer de justesse et fait usage de son arme à feu, tuant Ma sur le coup. Contre toute attente, il appelle la police pour signaler ce qui vient de se passer, en parlant à l'inspecteur Robby. Ce dernier s'apprête à interroger Lee, l'un des agresseurs de Jessica Blandy.



Grâce à une mise en scène roublarde pour intimider le détenu, l'inspecteur Robby obtient 2 noms : celui de Chuck qui a commandité l'agression à l'encontre de Jessica, et celui de son employeuse Pénélope Mitchell, la sœur de Scott Mitchell. Cette dernière est immédiatement avertie de l'aveu de Lee et prend les mesures qui s'imposent. Jessica Blandy se rend à un rendez-vous fixé par un appel anonyme dans un casino abandonné à l'écart de tout. Elle y découvre Lars Groffin affalé dans un fauteuil, une méchante blessure au ventre, faite au couteau. Il se présente à elle et a juste le temps d'énoncer une citation : none knows how it comes, how it goes, but the name of the secret is love. Pendant ce temps-là l'agresseur de Groffin est en train de fouiller la boîte à gant de la voiture de Jessica Blandy, où il y trouve son permis qu'il empoche. Il la laisse repartir sans se manifester. Jessica rentre à la villa qu'elle partageait avec Scott Mitchell et se dirige vers la bibliothèque pour consulter l'exemplaire de Sylvie et Bruno (1889/1893) de Lewis Carroll.



Intrigué par le premier tome (et un peu aguiché par la singulière héroïne), le lecteur revient pour découvrir le dénouement de ce polar poisseux. Il lui faut attendre une dizaine de pages avant de retrouver les beaux paysages de la côte ouest des États-Unis, lorsque Jessica Blandy se rend à son mystérieux rendez-vous dans un casino désaffecté qui commence à tomber en ruine. Il a alors le plaisir de retrouver de grands espaces, avec un océan d'une belle eau, et une végétation authentique. Une quinzaine de pages plus loin, il peut apprécier le soin avec lequel Pénélope Mitchell a choisi les plantes de sa serre, grâce aux dessins précis de Renaud. Il aura encore une fois l'occasion de bénéficier d'une scène en extérieur, lors d'une évocation du passé, dans la jungle du Vietnam, à nouveau avec une représentation fidèle, précise et une colorisation transcrivant bien l'ambiance lumineuse.



Pour le reste il faut attendre la fin de la partie de poker pour que les décors acquièrent plus de substance. Passée cette première séquence, le lecteur peut se projeter dans le commissariat de l'inspecteur Robby, puis dans la somptueuse demeure de Pénélope Mitchell. Il bénéficie d'une vision d'ensemble du grand hall du commissariat (avec une architecture fonctionnelle et réaliste pour disposer d'une aussi grande pièce, puis du bureau de l'inspecteur Robby (avec ses casiers métalliques tout aussi fonctionnels), qu'il peut mettre en regard de la vue sur la grande pièce de la demeure de Pénélope Mitchell, puis de la pièce de dimension plus petite abritant sa bibliothèque, l'artiste ayant sciemment établi un parallèle entre les 2 en adoptant un plan de prise de vue similaire.



Les scènes suivantes recèlent encore des surprises en termes de lieux, à commencer par la découverte de la grande salle du casino ayant subie les ravages du temps et des intempéries. Le lecteur accompagne encore les personnages dans un laboratoire souterrain à l'aménagement plus spartiate et plus convenu. Il peut effectuer une autre comparaison entre la chambre de Jessica Blandy et celle de Pénélope Mitchell, toutes les 2 arrangées avec goût. D'ailleurs, Jessica Blandy est toujours aussi aguicheuse. Le lecteur la retrouve à partir de la page 12 dans un magnifique tailleur blanc immaculé, avec un décolleté moins prononcé que dans le tome 1. Par contre, il assiste à sa douche et à sa toilette. Renaud lui fait adopter des postures un peu cambrées, mais dans le même temps, il s'agit d'un moment ordinaire, à sa place dans sa journée. Il est indéniable que cette séquence a pour but de titiller le lecteur masculin, mais elle établit aussi que le personnage n'est pas pudique, sans connotation sexuelle. Le lecteur a encore l'occasion de se rincer l'œil une deuxième fois, dans une séquence plus perverse où un homme profite de sa position de force pour obliger une femme à se déshabiller et à se tenir nue devant lui. À nouveau, cette scène se justifie par ce qu'elle révèle de la personnalité du personnage masculin, mais aussi de la femme choisissant de se livrer à cet effeuillage pour obtenir une faveur d'une autre nature. Elle participe également à la représentation de rapports humains fondés sur différentes formes de domination.



Comme dans le premier tome, le lecteur peut s'interroger sur le choix de Renaud de n'utiliser que des traits fins pour détourer les formes, de proscrire les aplats de noir (à de rares exceptions près pour des ombres portées) et de ne pas faire varier l'épaisseur des traits encrés, engendrant une impression visuelle étrange de formes uniquement détourées, sans réelle substance. Dans le même temps, chaque case bénéficie d'une construction qui permet de hiérarchiser les différents plans, de faire ressortir les formes les unes par rapport aux autres et de donner du relief aux éléments représentés. S'il y prête attention, le lecteur se rend compte que l'artiste utilise régulièrement des vues de dessus avec des angles plus ou moins inclinés pour donner une vision adaptée du positionnement relatif des personnages. Il s'aperçoit aussi que les plans de prise de vue sont variés, adaptés à chaque séquence, et qu'ils permettent de montrer les environnements suivant différents angles de vue, ainsi que les interactions des personnages avec les différents accessoires. Alors que l'usage exclusif de traits fins donnent une impression de superficialité, la richesse et la sophistication de la narration visuelle racontent une histoire substantielle, avec de nombreux détails qui viennent la nourrir, que ce soit la planche à repasser de la matrone, le présentoir à trombone sur le bureau de Robby, le modèle de cheminée du salon de Pénélope Mitchell, les sous-vêtements de Kim, ou encore les postures de Pearl, la secrétaire du détective privé Gus Bomby.



Le lecteur revient donc pour la résolution de l'intrigue et pour un récit inscrit dans le genre polar poisseux. Jean Dufaux continue d'utiliser une partie des conventions du polar : des individus avec un comportement agressif et sadique (l'agression au fer à repasser, l'intimidation pendant l'interrogatoire, l'assassinat à l'arme blanche, etc.), une sexualité soumise à des rapports de force (l'inspecteur Robby extorquant une faveur à Kim), les privilèges illégaux de l'argent (Pénélope Mitchell commanditant un meurtre et rabaissant son personnel), des individus pas tous bien dans leur tête (du comportement obsessionnel au syndrome post traumatique). En outre, Jessica Blandy se retrouve à nouveau dénudée. Dans le même temps, le scénariste raconte bien un polar dont les personnages et les événements servent de révélateur à l'état d'une société, que ce soit le flic prêt aux compromis pour aboutir et en même temps conscient des limites de ses interventions, ou les vétérans d'une guerre sans gloire et sale. Néanmoins en ayant choisi de situer son récit aux États-Unis, l'auteur se retrouve toujours sur le fil entre une évocation nourrie de faits et de recherches, et des clichés prêts à l'emploi. Par exemple, plusieurs personnages picolent régulièrement, comme une forme de stéréotype, sans incidence sur leur comportement ou leur état d'esprit.



Même si son enthousiasme peut être un peu émoussé par quelques éléments un peu factices, le lecteur se rend compte qu'il reste sensible au mal être des personnages. Dufaux & Renaud ne font pas qu'assembler des situations éculées, leur histoire exhale un parfum entêtant de difficulté à exister d'imperfection, de comportements déviants pour pouvoir supporter la douleur d'exister. L'inspecteur Robby parle de lui à la troisième personne du singulier comme s'il se voyait comme un personnage différent de ce qu'il est vraiment. Il ne peut satisfaire ses pulsions sexuelles que par des moyens détournés. Le lecteur se retrouve face à plusieurs personnes handicapées physiquement, comme une matérialisation dans leur chair des traumatismes psychologiques qu'ils ont endurés. Kim doit se déshabiller devant l'inspecteur Robby, contrainte à accomplir des actes humiliants pour le bien-être d'une tierce personne qui n'en saura jamais rien. Jessica Blandy se retrouve dans un casino désaffecté tombant en ruine, oublié de tous, une preuve manifeste du temps qui passe, d'une époque révolue dont personne ne se souvient, d'efforts qui n'ont rien produit de durable, la preuve matérielle que l'entropie est plus forte que tout.



Pour la deuxième fois, le lecteur est fortement tenté de ne voir dans ce récit qu'un polar un peu facile, aux dessins manquant 'épaisseur à l'instar des traits de contour trop fins, au scénario s'appuyant sur des situations toutes faites. Pourtant, l'histoire prend une forme inhabituelle avec son personnage principal ayant un rôle presqu'incident et une souffrance d'exister bien réelle, s'exprimant sous des formes variées.
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D'encre et de sang, tome 2

Entre thriller et aventure de guerre mâtinée des charmes de l'héroïne, D'encre et de sang séduit par la reconstitution de l'ambiance et des lieux de l'époque.
Lien : http://www.auracan.com/album..
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D'encre et de sang, tome 1

Au début de la guerre, le journal de la famille Rossel avait cessé de paraitre le 18 mai 1940 mais fut relancé quelques temps plus tard par les autorités d’occupation. L’histoire n’est pas méconnue mais elle n’a jamais ou rarement été abordée en bande dessinée.
Lien : http://www.actuabd.com/D-Enc..
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Jessica Blandy, tome 20 : Mr Robinson

Un certain Robinson arrive à New York, bien décidé à retrouver Jessica Blandy. Celle-ci est contactée par Miss Lilian, une milliardaire qui a consacré une partie de sa fortune pour subventionner le centre Hamler, une institution pour handicapés physiques ou mentaux et en a été bien mal remerciée car il dut fermer ses portes suite à un énorme scandale. Un incendie ayant ravagé le bâtiment, on retrouva trois squelettes de jeunes patients attachés par des menottes. Certains membres du personnel leur infligeaient des sévices et des tortures de toutes sortes. Miss Lilian demande à Jessica d'élucider l'affaire en s'aidant d'un carnet retrouvé dans les décombres.

Ce nouvel épisode des aventures de « Jessica Blandy », la blonde écrivain-détective, est nettement moins érotique que le précédent. Sans doute pour compenser, il est plus glauque et même un tantinet teinté de paranormal voire de sorcellerie, pour ne pas déroger à l'un des deux pôles majeurs de la série. L'intrigue se tient bien sans réserver de grosses surprises. Les auteurs ont préféré s'attacher à une ambiance générale très sombre, type roman noir des années soixante avec psychopathes et demeurés bien inquiétants. Le rôle de Robinson est ambigu à souhait, mais presque indispensable car lui seul maintient le suspens. Un ensemble réussi néanmoins.
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/
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Jessica Blandy, tome 14 : Cuba !

A Cuba, un américain est abattu par un enfant déguisé en cadet de l'armée en plein Malecon, l'avenue principale de La Havane. Salute, un exilé cubain à Miami propose à Jessica Blandy de partir sur l'île pour rencontrer le général Rosario, compagnon de la première heure de Castro, qui doit bientôt sortir de prison. Avec la belle Haydée, Jessica va devoir supporter bien des tribulations et des humiliations avant de pouvoir quitter l'enfer castriste sans jamais rencontrer le général en question.

Ce 14ème tome des aventures de la bimbo blonde change le lecteur de cadre et de sujet. Cette histoire pleine de meurtres et de fureur a un très fort arrière-plan politico historique. Elle aborde la réalité des réseaux d'opposants au dictateur, des filières de fuite du pays, des tractations secrètes entre les cubains et les américains, sans parler du rôle des exilés de Miami. Tout cela est trouble, assez compliqué. Le lecteur comprend que Blandy est à son insu la chèvre qui doit servir à démanteler le réseau d'opposants, mais il peine un peu sur le rôle des américains et des exilés. Le cadre est magnifiquement rendu du point de vue du graphisme. L'histoire est racontée de façon hachée, dans un style cinématographique prononcé, ce qui ne facilite pas la compréhension d'une affaire déjà passablement embrouillée. Pas le meilleur de la série.
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/
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Jessica Blandy, tome 15 : Ginny d'avant

D'étranges évènements se produisent dans la petite ville où vient de débarquer Jessica sur l'invitation d'une amie d'autrefois : la manufacture de M. Hogan a subi un grave incendie provoqué semble-t-il par le propriétaire lui-même, Fletch, un brave employé de mairie pris d'un coup de folie, a déclenché une fusillade qui a fait un véritable carnage chez Maxie, un pompier s'est jeté dans la fournaise, cinq garçons et deux filles ont été retrouvés morts suite à une overdose dans la cale d'un bateau échoué, un homme s'est pendu, un autre s'est noyé dans la mer. Un véritable fléau s'est donc abattu sur cette ville. Il semblerait qu'il ait un rapport avec une certaine Ginny d'autrefois.

Ce 15ème tome des aventures de Jessica Blandy, la bimbo blonde à qui arrivent toutes sortes de malheurs, commence comme un roman noir avec une longue suite d'horreurs qui serait la conséquence logique d'un événement dramatique survenu de nombreuses années plus tôt. Situation et intrigue ultra classiques, grand nombre de personnages et difficulté à mettre en corrélation la suite d'évènements qui se produisent attisent la curiosité du lecteur. Malheureusement, l'intérêt retombe dès qu'est dévoilée la clé de l'énigme et la déception devient encore plus grande quand arrive une conclusion aussi embrouillée qu'invraisemblable. Un bon départ et une médiocre arrivée ne donnent pas un bon épisode. Attendons le suivant et oublions cette demi-réussite ou ce demi-échec...
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