Citations de Saint Ange (55)
Rien n’est émouvant comme l’image d’un être paré des séductions de la jeunesse, alors qu’on le sait déjà retourné à la terre et en train de se confondre avec les morts sans nombre d’une bataille.
Si elle dort, comme hier, lorsque je l’aborderai la prochaine fois, que ferai-je ? Oser l’éveiller et par quels mots ? Rester dans l’ombre à la contempler ? me contenter du seul bonheur de l’avoir revue, pour disparaître ensuite sans avoir rien tenté ?
Il n’est pas lamentable d’avoir vingt-cinq ans, d’être en excellente santé et de devoir se créer un avenir. Des milliers de garçons sont dans mon cas et trouvent cela naturel.
Lorsque vous m’avez choisi, je représentais pour vous non seulement un type d’homme qui ne vous a pas trop déplu, mais aussi un genre de vie qui vous a agréé. Il y aura tromperie si brusquement je vous oblige à végéter dans la médiocrité…
Après le « conte bleu » la vie, la vie se montrait telle qu’elle est le plus souvent, elle prévenait la chère enfant que la roule à suivre ne serait pas toujours claire, qu’elle pourrait s’assombrir au moment le plus imprévu, qu’il fallait compter avec les maladies, les séparations et tant d’autres complications moindres et tant d’autres souffrances quotidiennes… L’enfant gâtée se sentait submergée par une lassitude indéfinissable qu’elle croyait provoquée par la tristesse de son deuil. Mais cette lassitude provenait aussi d’une autre cause…
Les hommes livrés à eux-mêmes sont si imprudents. Qui donc, à son foyer, s’est jamais préoccupé de sa personne. Ah ! voyez-vous, il a beau avoir entassé de l’argent tout au long de son existence, c’en est encore un qui n’a pas su trouver son bonheur…
Cette boulangère s’abrutit à lire des romans ; quant à ces Léchelon, des orgueilleuses qui se figurent qu’il y a deux poids, deux mesures pour elles et le reste de l’humanité. Naturellement, dans leur famille, on peut se permettre n’importe quoi ! Personne n’a le droit de juger ! Que les petites gens s’inclinent !
Lorsque des mariés ne veulent rencontrer personne de connaissance, ils filent vers l’étranger. C’est la solution admise
Je suis humilié jusqu’au fond de l’âme par cette exhibition invraisemblable. Quand il m’arrivait de songer aux moyens de séduire une jeune fille, je ne songeais pas à me présenter à elle de cette façon. Je me situais sur un court de tennis, au banc d’un canoë. Je me voyais sautant d’une carlingue, arrachant mon masque de cuir… Hélas, je dois continuer à subir mon destin.
« Quel enfant ! Le voici comblé pour bien peu de choses. Comment le suspecter du moindre calcul… Quel dommage qu’une aussi belle jeunesse ne soit pas au service d’une grande cause, qu’elle ne soit avide que de sport, d’effort physique, de records… C’est un record de solitude que ce Francis veut battre chez moi… un point c’est tout…
Quand Yann est gai, il rit franchement. Il ne s’abaisse jamais à l’ironie. Il ne triche pas avec ses sentiments. S’il avait soupçonné qu’on l’espionnait derrière une porte, il eût tenté de l’ouvrir aussitôt, quitte à s’excuser après. Ce Duroc a eu l’intuition que je le regardais, alors il est passé avec ce geste dont il doit être très content : Je ne trouve pas qu’il y ait là une occasion d’être fier…
Il doit s’agir d’amours secrètes et persécutées. Cette pauvreté qui oblige le marquis à mener l’existence d’un pêcheur est déjà bien romanesque. Je soupçonne quelque drame au début de l’histoire. Je ne puis pas interroger Le Jolif, mes curiosités sont déjà mal tombées si j’en témoigne de nouvelles, je me ferai rabrouer. Mieux vaut me taire et mener une enquête en dehors de ces murs, » Ces gens paraissent décidés à me mettre à la porte cette nuit. Je ne vois guère ce que je pourrais entreprendre pour être invité à rester… Me rendre utile ? indispensable même ?… Le temps me manque… ou il faudrait que les événements me servent d’une façon toute particulière… »
« Comme je suis heureux. Comme peu de chose suffit à contenter un être. Comme la recherche des plaisirs compliqués et coûteux est vaine. Où donc ai-je été aussi satisfait de mon sort ?… »
Comme j’ai été malheureux toujours… Je n’ai bénéficié d’aucune tendresse. Ce sont des domestiques qui m’ont élevé. Je n’aurais qu’à desserrer mon étreinte, et à glisser…
Il y a toujours eu parmi mes relations des complots de mères décidées à se trouver un gendre orphelin et riche comme moi, précisément. Est-ce que les jeunes filles savent quand elles aiment ? « Mon enfant, ce garçon possède tant de millions, te plaît-il ? – Oui, maman. » Je me défie des sentiments que je suscite. Et Betty ? Oh ! Betty, c’est la dernière en date. Elle a toujours affecté de me traiter en camarade. Est-elle sincère ?
Il y a en lui quelque chose qui vous dépayse, quelque chose qui n’a pas été altéré par les dons que le destin lui a prodigués. Une âme qui ne se satisfait pas de la vie futile que vous menez… que nous menons…
Nous ne sommes plus au moyen âge. Que des coutumes barbares se perpétuent encore chez nous, je le déplore de tout cœur.
Le costume, on ne peut plus simple, s’adaptait parfaitement aux circonstances. A le détailler, on ne découvrait rien de sensationnel. Le raffinement était dans l’harmonie des teintes, dans ce camaïeu de bruns soutenus, atténués, éclaircis. D’ailleurs, la suprême aisance avec laquelle Olof portait chaque pièce de sa garde-robe donnait une impression de perfection naturelle et sans apprêts.
— Comment jugez-vous les adaptations françaises de nos vieux poèmes ? Vous ne m’en avez pas parlé.
— Je suis impardonnable, car je les ai beaucoup appréciées. Elles sont d’une langue parfaite et débordent de poésie. La chanson du roi Denis m’a particulièrement touchée. Je l’avais entendue chanter par des ouvriers agricoles et des bergers, près d’un feu dans la campagne. Frank Boisselier m’en avait traduit une partie.
« Cette tour me rappelle ma fièvre et ma folie. Et pour la première fois, près d’une enfant qui souffre, qui a besoin de moi, à qui je me dévoue, j’ai moins mal à l’âme. Je respire mieux. Il y a là un signe. Le dévouement aux autres me guérira. Le dévouement aux enfants malheureux. »