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Citations de Voltaire (2229)


52. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES

Villars, le jeudi… 1722.

J’ai assez bonne opinion de vous, madame, pour croire que vous vous souviendrez de m’écrire parmi les embarras de votre déménagement. J’attends avec impatience la nouvelle de la conclusion du traité avec M. de Banville. Je vous déclare d’avance que je veux avoir un pot-de-vin de cette belle affaire, qui sera, s’il vous plaît, un bon souper avec milord Bolingbroke et M. de Maisons, dans votre nouveau palais. Je crois que la proposition ne vous déplaira pas.

Et vous, mon cher Thieriot, mandez-moi si vous êtes déjà en possession de votre taudis. Je vous demande instamment un Virgile et un Homère (non pas celui de Lamotte). Envoyez cela, je vous prie, au suisse de l’hôtel de Villars, pour me le faire tenir à Villars ; j’en ai un besoin pressant. Envoyez-le-moi plutôt aujourd’hui que demain. Ces deux auteurs sont mes dieux domestiques, sans lesquels je ne devrais point voyager. Ayez donc la bonté, mon cher ami, d’user, en cette occasion, de toute la diligence que peut avoir un aussi grand paresseux que vous.

Adieu, madame ; adieu notre ami : aimez-moi un peu. Faites mes compliments au maître de la maison, si vous le rencontrez.
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51. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Villars, … 1722.

Je resterai encore sept ou huit jours à Villars, où je bois du cidre et mange du riz tous les soirs, dont je me trouve fort bien. Messieurs des gabelles peuvent bien retarder leur affaire de huit jours. La personne que vous savez a parole réitérée de M. le Régent pour la plus grande affaire. Vous devriez bien remettre le souper à mon retour. Je suis fâché de la justice qu’on a rendue à la petite Livry[1]. Si on faisait dans tous les corps ce qu’on vient de faire à la Comédie, il me paraît qu’il resterait peu de monde en place. Je fais à peu près la même réforme dans mon poème ; je suis occupé à en chasser tous les mauvais vers. C’est une opération un peu longue ; mais j’espère que je la terminerai à la Rivière-Bourdet. Je vous fais mes compliments de la vie dissipée que vous menez. Je voudrais bien en pouvoir faire autant ; mais dans le malheur où je suis d’avoir une santé et une tête de linotte, je ne pouvais avoir de plus grande consolation que la bonté que vous avez eue d’égayer mon régime par la compagnie que vous m’avez tenue à Paris. Vous pouvez compter que je n’oublierai de ma vie les marques que j’ai reçues de votre amitié, et que je vous serai toujours très-tendrement attaché.

Cette ancienne maîtresse de Voltaire avait dû se retirer de la Comédie-Française, le 27 mai 1722. Voyez, tome X, page 269, l’épître des Vous et des Tu.
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49. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES[1].
chez madame la marquise de lézeau, rue de la seille, à rouen.

Paris, mercredi au matin… 1722.
J’attends votre retour avec la plus grande impatience du monde. Je prends du Vinache[2] et ne vas point à Villars ; voilà trois choses dont je vous ai vue douter un peu, et qui sont très-vraies. Je ne puis vous pardonner votre absence que par l’idée flatteuse que j’ai que vous allez nous préparer une retraite où je compte passer avec vous des jours délicieux. Préparez-nous votre château[3] pour longtemps, et revenez au plus vite. Si vous conservez pour moi encore quelque bonté, soyez sûre que mon dévouement pour vous est à l’épreuve de tout.

Vous m’avez laissé en partant votre mari au lieu de vous : voilà qu’il me vient prendre dans le moment que je vous écris, pour me mener chez des gens qui veulent se mettre à la tête d’une nouvelle compagnie. Pour moi, madame, qui ne sais point de compagnie plus aimable que la vôtre, et qui la préfère même à celle des Indes, quoique j’y aie une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutôt au désir d’aller vivre avec vous à votre campagne que je ne suis occupé du succès de l’affaire que nous entreprenons. La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est de vivre heureux, et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie, ce serait autant de peine épargnée. Ce qui est très-sûr, c’est que si notre affaire échoue, j’ai une consolation toute prête dans la douceur de votre commerce, et s’il fallait opter entre votre amitié et le succès de l’affaire, assurément je ne balancerais pas.

Quittez pour un moment vos maçons et vos serruriers, pour me faire l’honneur de m’écrire un petit mot. Mandez-moi si vous êtes bien fatiguée, si vous reviendrez samedi, comment vous vous portez, et si vous avez toujours un peu d’amitié pour moi. Voilà M. de Bernières qu’on annonce ; adieu, comptez que je vous suis attaché pour toute ma vie.

Éditeurs, Cayrol et François. Sur Mme de Bernières, voyez page 73, note 3.
Célèbre médecin du temps. (A. F.)
La Rivière-Bourdet, château situé sur la rive droite de la Seine, près de Rouen, dans la commune de Quévillon.
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48. — À M. J. B. ROUSSEAU[1].

23 janvier.

M. le baron de Breteuil m’a appris, monsieur, que vous vous intéressez encore un peu à moi, et que le poëme de Henri IV ne vous est pas indifférent ; j’ai reçu ces marques de votre souvenir avec la joie d’un disciple tendrement attaché à son maître. Mon estime pour vous, et le besoin que j’ai des conseils d’un homme seul capable d’en donner de bons en poésie, m’ont déterminé à vous envoyer un plan que je viens de faire à la hâte de mon ouvrage : vous y trouverez, je crois, les règles du poëme épique observées.

Le poëme commence au siège de Paris, et finit à sa prise ; les prédictions faites à Henri IV, dans le premier chant, s’accomplissent dans tous les autres ; l’histoire n’est point altérée dans les principaux faits, les fictions y sont toutes allégoriques ; nos passions, nos vertus, et nos vices, y sont personnifiés ; le héros n’a de faiblesses que pour faire valoir davantage ses vertus. Si tout cela est soutenu de cette force et de cette beauté continue de la diction, dont l’usage était perdu en France sans vous, je me flatte que vous ne me désavouerez point pour votre disciple. Je ne vous ai fait qu’un plan fort abrégé de mon poëme, mais vous devez m’entendre à demi-mot ; votre imagination suppléera aux choses que j’ai omises. Les lettres que vous écrivez à M. le baron de Breteuil me font espérer que vous ne me refuserez pas les conseils que j’ose dire que vous me devez. Je ne me suis point caché de l’envie que j’ai d’aller moi-même consulter mon oracle. On allait autrefois de plus loin au temple d’Apollon, et sûrement on n’en revenait point si content que je le serai de votre commerce. Je vous donne ma parole que, si vous allez jamais aux Pays-Bas, j’y viendrai passer quelque temps avec vous. Si même l’état de ma fortune présente me permettait de faire un aussi long voyage que celui de Vienne, je vous assure que je partirais de bon cœur pour voir deux hommes aussi extraordinaires dans leurs genres que M. le prince Eugène et vous. Je me ferais un véritable plaisir de quitter Paris, pour vous réciter mon poëme devant lui, à ses heures de loisir. Tout ce que j’entends dire ici de ce prince à tous ceux ; qui ont eu l’honneur de le voir me le fait comparer aux grands hommes de l’antiquité. Je lui ai rendu, dans mon sixième chant[2], un hommage qui, je crois, doit d’autant moins lui déplaire qu’il est moins suspect de flatterie, et que c’est à la seule vertu que je le rends. Vous verrez par l’argument de chaque livre de mon ouvrage que le sixième est une imitation du sixième de Virgile. Saint Louis y fait voir à Henri IV les héros français qui doivent naître après lui ; je n’ai point oublié parmi eux M. le maréchal de Villars ; voici ce qu’en dit saint Louis :

Regardez dans Denain l’audacieux Villars
Disputant le tonnerre à l’aigle des Césars,
Arbitre de la paix que la victoire amène,
Digne appui de son roi, digne rival d’Eugène.

C’était là effectivement la louange la plus grande qu’on pouvait donner à M. le maréchal de Villars, et il a été lui-même flatté de la comparaison. Vous voyez que je n’ai point suivi les leçons de Lamotte, qui, dans une assez mauvaise ode à M. le duc de Vendôme, crut ne pouvoir le louer qu’aux dépens de M. le prince Eugène et de la vérité.

Comme je vous écris tout ceci, Mme la duchesse de Sully m’apprend que vous avez mandé à M. le commandeur de Comminges que vous irez cet été aux Pays-Bas. Si le voisinage de la France pouvait vous rendre un peu de goût pour elle, et que vous pussiez ne vous souvenir que de l’estime qu’on y a pour vous, vous guéririez nos Français de la contagion du faux bel esprit, qui fait plus de progrès que jamais. Du moins si on ne peut espérer de vous revoir à Paris, vous êtes bien sûr que j’irai chercher à Bruxelles le véritable antidote contre le poison des Lamotte. Je vous supplie, monsieur, de compter toute votre vie sur moi comme sur le plus zélé de vos admirateurs.

Je suis, etc.

Alors à Vienne.
Devenu le septième depuis 1728.
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47. — À M. THIERIOT.

1721.

J’irai à Châtenay, mon cher Thieriot, de dimanche en huit. Si vous êtes de ces héros qui préfèrent les devoirs de l’amitié aux caprices de l’amour, vous viendrez m’y voir. J’ai retrouvé votre livre vert ; Génonville vous l’avait escamoté. Renvoyez-moi ma lettre à M. de Fontenelle, et ses réponses. Tout cela ne vaut pas grand’chose ; mais il y a dans le monde des sots qui les trouveront bonnes : ce n’est ni vous ni moi. Adieu. J’ai été saigné de mon ordonnance : je m’en suis assez mal trouvé. Un médecin n’aurait pas fait pis. Renvoyez-moi vite les papiers que je vous demande. Adieu, mon cher ami.
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46. — À M. THIERIOT[1].

1721.

[2]Je suis encore incertain de ma destinée. J’attends M. le duc de Sully pour régler ma marche. Comptez que je n’ai d’autre envie que de passer avec vous beaucoup de ces jours tranquilles dont nous nous trouvions si bien dans notre solitude.

Je viens d’écrire une lettre à M. de Fontenelle, à l’occasion d’un phénomène qui a paru dans le soleil, hier jour de la Pentecôte[3]. Vous voyez que je suis poëte et physicien. J’ai une grande impatience de vous voir, pour vous montrer ce petit ouvrage dont vous grossirez votre recueil.

Avez-vous toujours, mon cher ami, la bonté de faire en ma faveur ce qu’Esdras fit pour l’Écriture sainte, c’est-à-dire d’écrire de mémoire mes pauvres ouvrages[4] ? S’il y a quelque nouvelle à Paris, faites-m’en part. J’espère de vous y revoir bientôt dans cette bonne santé dont vous me parlez. Comme la ressemblance de nos tempéraments est parfaite, je me porte aussi bien que vous ; je crois cependant que vous avez eu hier mal à l’estomac, car j’ai eu une indigestion.

Adieu ; je vous embrasse de tout mon cœur.

Ce fut chez le procureur Alain, en 1714, que le goût de la littérature et des spectacles commença à lier Voltaire avec Thieriot. La véritable orthographe de son nom est Thieriot, et non Thiériot. Voltaire écrivait toujours Tiriot. Né en 1696, mort en novembre 1772. (Cl.)
Dans la correspondance inédite publiée par : MM. E. Bavoux et François, cette lettre commence ainsi : « Comment vont vos craintes sur la paralysie (il s’agit du père de Thieriot) ? Informez-moi, je vous en prie, de votre santé. Si monsieur votre père n’était pas à Boissette, j’irais vous y voir. Je suis encore, etc. »
Cette fête, en 1721, fut le 1er juin. Cette lettre est donc du 2.
Ici finit la lettre publiée par MM. de Cayrol et François. Ce qui suit se trouve aussi dans la lettre no 44.
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45. — À M. DE FONTELLE.

De Villars, juin 1721.

Les dames qui sont à Villars, monsieur, se sont gâtées par la lecture de vos Mondes. Il vaudrait mieux que ce fût par vos églogues ; et nous les verrions plus volontiers ici bergères que philosophes. Elles mettent à observer les astres un temps qu’elles pourraient beaucoup mieux employer ; et, comme leur goût décide des nôtres, nous nous sommes tous faits physiciens pour l’amour d’elles.

Le soir sur des lits de verdure,
Lits que de ses mains la nature.
Dans ces jardins délicieux,
Forma pour une autre aventure,
Nous brouillons tout l’ordre des cieux :
Nous prenons Vénus pour Mercure ;
Car vous saurez qu’ici l’on n’a
Pour examiner les planètes.
Au lieu de vos longues lunettes,
Que des lorgnettes d’opéra.

Comme nous passons la nuit à observer les étoiles, nous négligeons fort le soleil, à qui nous ne rendons visite que lorsqu’il a fait près des deux tiers de son tour. Nous venons d’apprendre tout à l’heure qu’il a paru de couleur de sang tout le matin ; qu’ensuite, sans que l’air fût obscurci d’aucun nuage, il a perdu sensiblement de sa lumière et de sa grandeur : nous n’avons su cette nouvelle que sur les cinq heures du soir. Nous avons mis la tête à la fenêtre, et nous avons pris le soleil pour la lune, tant il était pâle. Nous ne doutons point que vous n’ayez vu la même chose à Paris.

C’est à vous que nous nous adressons, monsieur, comme à notre maître. Vous savez rendre aimables les choses que beaucoup d’autres philosophes rendent à peine intelligibles ; et la nature devait à la France et à l’Europe un homme comme vous pour corriger les savants, et pour donner aux ignorants le goût des sciences.

Or dites-nous donc, Fontenelles,
Vous qui, par un vol imprévu,
De Dédale prenant les ailes,
Dans les cieux avez parcouru
Tant de carrières immortelles,
Où saint Paul avant vous a vu
Force beautés surnaturelles.
Dont très-prudemment il s’est lu :
Du soleil, par vous si connu.
Ne savez-vous point de nouvelles ?
Pourquoi sur un char tout sanglant
À-t-il commencé sa carrière ?
Pourquoi perd-il, pâle et tremblant,
Et sa grandeur et sa lumière ?

Que dira le Boulainvilliers[1]
Sur ce terrible phénomène ?
Va-t-il à des peuples entiers
Annoncer leur perte prochaine ?
Verrons-nous des incursions,
Des édits, des guerres sanglantes,
Quelques nouvelles actions,
Ou le retranchement des rentes ?
Jadis, quand vous étiez pasteur,
On vous eût vu sur la fougère,
À ce changement de couleur
Du dieu brillant qui nous éclaire,
Annoncer à votre bergère
Quelque changement dans son cœur[2].

Mais à présent, monsieur, que vous êtes devenu philosophe, nous nous flattons que vous voudrez bien nous parler physiquement de tout cela. Vous nous direz si vous croyez que l’astre soit encroûté, comme le prétend Descartes ; et nous vous croirons aveuglément, quoique nous ne soyons pas trop crédules.

Le comte de Boulainvilliers, homme d’une grande érudition, mais qui avait la faiblesse de croire à l’astrologie. Le cardinal de Fleury disait de lui qu’il ne connaissait ni l’avenir, ni le passé, ni le présent. Cependant il a fait de très-belles recherches sur l’histoire de France. (Note de l’édition de 1748.) — Dans les éditions antérieures, elle se composait de partie de la première phrase. Voyez tome XIV, page 45.
La fin de cette lettre se lit ici telle qu’elle a été imprimée en 1726 dans le tome II des Mémoires de Desmolets. Dans l’édition de 1738-39 des OEuvres de
Voltaire, au lieu de l’alinéa en prose on lit :
Mais depuis que votre Apollon
Voulut quitter la bergerie
Pour Euclide et pour Varignon,
Et les rubans de Céladon
Pour l’astrolabe d’Uranie,
Vous nous parlerez le jargon
De l’abstraite philosophie,
De calcul, de réfraction.
Mais daignez un peu, je vous prie,
Si vous voulez parler raison,
Nous l’habiller en poésie ;
Car sachez que, dans ce canton,
Un trait d’imagination
Vaut cent pages d’astronomie.


Toutefois le vers imprimé en italique a été ajouté par moi, d’après un manuscrit. C’est aussi d’après les Mémoires de Desmolets que j’ai daté cette lettre de juin 1721. Dans toutes les impressions faites du vivant de Voltaire, elle est datée du 1er septembre 1720. (R.)
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44. — À M. THIERIOT.

Au Bruel, 13 novembre 1720.

Je n’entends parler ni de vous ni de M. de Fargès ; peut-être m’avez-vous écrit à Sully, où je ne suis plus. Je n’attends qu’une de vos lettres pour retourner à Paris. Écrivez-moi donc au Bruel, chez M, le duc de La Feuillade, par Orléans, sitôt la présente reçue. S’il y a quelque nouvelle à Paris, faites-m’en part. Je grille de vous revoir dans cette bonne santé dont vous me parlez. Comme la ressemblance de nos tempéraments est parfaite, je me porte aussi bien que vous. Je crois cependant que vous avez eu hier mal à l’estomac, car j’ai eu une indigestion[1].

Cette lettre et les deux précédentes ont été publiées, pour la première fois, par MM. de Cayrol et François.
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De cet affreux château, palais de la vengeance,
Qui renferma souvent le crime et l’innocence.
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Le cerveau, qu’on croit le siège de l’entendement, fut attaqué aussi violemment que le cœur, qui est, dit-on, le siège des passions.
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La foule de pensées qui l’agitaient portait dans ses veines un poison plus dangereux que celui de la fièvre la plus brûlante.
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[…] Il se serait cru heureux dans le séjour du désespoir, s’il n’avait point aimé.

(« séjour du désespoir » relatif à la Bastille)
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les flots de la Manche ne sont pas plus agités par les vents d’est et d’ouest que son cœur l’était par tant de mouvements contraires.
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La raison fait toujours rentrer les hommes en eux-mêmes pour quelques moments: il se fit un grand silence.
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43. — À M. THIERIOT.

À Richelieu, ce samedi 25… 1720.

Voici une lettre pour M. le duc d’Orléans ; elle est décachetée, afin que M. de Fargès la voie. En voici une autre pour M. de Fargès, que vous aurez la bonté de lui rendre la première. Quand il l’aura lue, vous lui donnerez celle pour le Régent, et le prierez de la cacheter lui-même. Vous lui donnerez ces lettres avec mon poème, quand il sera écrit ; et, comme on ne voit que difficilement M. de Fargès, je vous conseille de lui écrire un petit mot la veille du jour que vous le voudrez voir. Vous lui manderez qu’ayant bien voulu vous charger, en mon absence, de remettre mon poème entre ses mains, vous lui demandez audience pour le lendemain matin, et qu’il fasse dire à sa porte qu’on laisse entrer M. Thieriot. Vous lui recommanderez, quand vous lui parlerez, sur toute chose de ne faire voir mon poème à qui que ce soit, et vous lui ferez entendre combien il m’est de conséquence qu’on n’en tire point de copie. Cela fait, vous aurez la bonté de mettre l’autre copie de mon poëme dans une cassette, et d’en charger La Brie, avec ordre de partir sur-le-champ pour Sully, où je serai dans quatre jours. Écrivez-moi donc à Sully, mon cher enfant, dès que vous aurez reçu ma lettre.

Comptez que je brûle de revenir à Paris, pour m’y acquitter de toutes les obligations que je vous ai dans cette affaire.

Je suis actuellement dans le plus beau château de France. Il n’y a point de prince en Europe qui ait de si belles statues antiques, et en si grand nombre. Tout se ressent ici de la grandeur du cardinal de Richelieu. La ville est bâtie comme la Place-Royale. Le château est immense ; mais ce qui m’en plaît davantage, c’est M. le duc de Richelieu, que j’aime avec une tendresse infinie, pas plus que vous cependant. Écrivez-moi vite à Sully des nouvelles de votre santé. Si vous aviez besoin d’argent, j’écris à mon frère de vous en faire donner.
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42. — À M. THIERIOT[1]

1720.

Je vous confie, mon cher ami, ce que j’ai de plus cher au monde. Vous trouverez les six premiers chants[2] copiés, et les trois derniers de ma main. Je vous supplie de faire copier le tout exactement pour M. le Régent, et les trois derniers chants pour moi. Vous recevrez incessamment vos instructions, de Richelieu ; je vous donnerai des lettres pour M. de Fargès[3]. Adieu, mon cher ami, je vous embrasse mille fois. Je n’oublierai de ma vie l’obligation que je vous ai de vouloir bien vous charger de tout cela. Adieu.

Voyez, sur Thieriot, la note 1 de la pape 59.
De la Henriade.
Conseiller d’État.
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41. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

À Villars, 1719.

Auriez-vous, madame, assez de bonté pour moi, pour être un peu fâchée de ce que je suis si longtemps sans vous écrire ? Je suis éloigné depuis six semaines de la désolée ville de Paris ; je viens de quitter le Bruel, où j’ai passé quinze jours avec M. le duc de La Feuillade[1]. N’est-il pas vrai que c’est bien là un homme ? Et, si quelqu’un approche de la perfection, il faut absolument que ce soit lui. Je suis si enchanté de son commerce, que je ne peux m’en taire, surtout avec vous, pour qui vous savez que je pense comme pour M. le duc de La Feuillade, et qui devez sûrement l’estimer, par la raison qu’on a toujours du goût pour ses semblables.

Je suis actuellement à Villars : je passe ma vie de château en château, et, si vous aviez pris une maison à Passy, je lui donnerais la préférence sur tous les châteaux du monde.

Je crains bien que toutes les petites tracasseries que M. Lass a eues avec le peuple de Paris ne rendent les acquisitions un peu difficiles. Je songe toujours à vous, lorsqu’on me parle des affaires présentes ; et, dans la ruine totale que quelques gens craignent, comptez que c’est votre intérêt qui m’alarme le plus.

Vous méritiez assurément une autre fortune que celle que vous avez ; mais encore faut-il que vous en jouissiez tranquillement, et qu’on ne vous l’écorne pas. Quelque chose qui arrive, on ne vous ôtera point les agréments de l’esprit. Mais, si on y va toujours du même train, on pourra bien ne vous laisser que cela, et, franchement, ce n’est pas assez pour vivre commodément et pour avoir une maison de campagne où je puisse avoir l’honneur de passer quelque temps avec vous.

Notre poëme[2] n’avance guère. Il faut s’en prendre un peu au biribi, où je perds mon bonnet. Le petit Génonville m’a écrit une lettre[3] en vers qui est très-jolie : je lui ai fait réponse, mais non pas si bien. Je souhaite quelquefois que vous ne le connaissiez point, car vous ne pourriez plus me souffrir.

Si vous m’écrivez, ayez la bonté de vous y prendre incessamment : je ne resterai pas si longtemps à Villars, et je pourrai bien venir vous faire ma cour à Paris dans quelques jours.

Adieu, madame la marquise ; écrivez-moi un petit mot, et comptez que je suis toujours pénétré de respect et d’amitié pour vous.

Louis d’Aubusson, duc de La Feuillade, né en 1673, maréchal de France en 1724, mort en janvier 1725.
La Henriade.
Elle est dans les Pièces inédites de Voltaire, publiées par M. Jacobsen en 1820, page 157. Nous l’avons donnée sous le no 39.
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40. — À M. DE GÉNONVILLE[1].

Ami, que je chéris de cette amitié rare
Dont Pylade a donné l’exemple à l’univers.

Et dont Chaulieu chérit La Fare ;

Vous pour qui d’Apollon les trésors sont ouverts,

Vous dont les agréments divers,
L’imagination féconde,

L’esprit et l’enjouement, sans vice et sans travers,
Seraient chez nos neveux célébrés dans mes vers,
Si mes vers, comme vous, plaisaient à tout le monde :
Votre épître[2] a charmé le pasteur de Sully ;
Il se connaît au bon, et partant il vous aime ;
Votre écrit est par nous dignement accueilli.

Et vous serez reçu de même.

Il est beau, mon cher ami, de venir à la campagne, tandis que Plutus tourne toutes les têtes à la ville[3]. Êtes-vous réellement devenus tous fous à Paris ? Je n’entends parler que de millions ; on dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans l’opulence. Est-ce une réalité ? Est-ce une chimère ? La moitié de la nation a-t-elle trouvé la pierre philosophale dans les moulins à papier ? Lass est-il un dieu, un fripon, ou un charlatan qui s’empoisonne de la drogue qu’il distribue à tout le monde ? Se contente-t-on de richesses imaginaires ? C’est un chaos que je ne puis débrouiller, et auquel je m’imagine que vous n’entendez rien. Pour moi, je me livre à d’autres chimères qu’à celle de la poésie.

Avec l’abbé Courtin je vis ici tranquille,

Sans aucun regret pour la ville
Où certain Écossais malin,

Comme la vieille sibylle
Dont parle le bon Virgile,

Sur des feuillets volants écrit notre destin.

Venez nous voir un beau matin,
Venez, aimable Génonville ;

Apollon dans ces climats

Vous prépare un riant asile :
Voyez comme il vous tend les bras,

Et vous rit d’un air facile.

Deux jésuites en ce lieu,
Ouvriers de l’Évangile,
Viennent, de la part de Dieu,
Faire un voyage inutile.

Ils veulent nous prêcher demain ;
Mais pour nous défaire soudain
De ce couple de chattemites,
Il ne faudra sur leur chemin
Que mettre un gros saint Augustin
C’est du poison pour les jésuites.

Le Fèvre de La Faluère de Genonville, conseiller au parlement de Paris, mort vers 1720. Quelques personnes pensent que c’est à lui que furent adressées les Lettres sur OEdipe ; voyez tome II, page 11.
Celle qui précède.
Le système de Law ou Lass ; voyez, tome XV, le chapitre ii du Précis du Siècle de Louis XV.
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39. — M. DE GÉNOMVILLE À M. DE VOLTAIRE[1].

1719.
Ami très-cher, si l’humeur noire,
Que dans l’esprit jettent les maux,
N’a point obscurci ma mémoire,
En vers faciles et nouveaux
Tu nous avais promis l’histoire
De ton voyage, et quatre mots
Du coche et des maigres chevaux
Qui t’ont conduit aux bords de Loire.
Je t’y crois en un plein repos
Entre ton duc et ton héros.
Là, tu vas acquérir la gloire
Que nous disputaient nos rivaux.
Ranime tes premiers travaux,
Réveille ton heureux génie ;
Ne souffre plus que l’Italie,
Étalant l’orgueil de ses sons,
Nous fasse admirer sa folie,

Et nous permette la saillie
Du madrigal et des chansons.
Quitte Anacréon pour Virgile,
Laisse là ce voluptueux :
Il fit le portrait de Bathile ;
Mais jamais son pinceau facile
N’eût su peindre nos demi-dieux.

Que Hénault, sur sa musette,
Chante les Jeux, les Amours ;
Qu’il dérobe la houlette
Au petit berger La Tour ;
Que toujours tendre, infidèle,

Hypocrite du sentiment,

Il amuse chaque belle
Du récit de son tourment,

Chacun exerce son talent.
Pour toi volant à tire-d’aile,
Tu suis la muse qui t’appelle ;


Dans les moments les plus doux,
Si tu nous peins Gabrielle,
Je vois Mars à ses genoux.

La fièvre qui m’a dicté ces vers vient, heureusement pour vous, les interrompre. Vous ne serez pas surpris que je vous écrive avant votre départ, vous qui faites l’éloge funèbre de l’abbé de Chaulieu avant sa mort ; quoique muni d’épitaphe et de sacrement, il vit encore, et n’est pas sans espérance[2]. Adieu, je suis au lit et ne sais point de nouvelles ; faites ma cour à notre duc, et lui cachez mes extravagances.
Bientôt aux rives chéries.
Où vous passez d’heureux jours,
À vos utiles discours

J’irai mêler mes rêveries :

Nous parlerons de bons mots et d’amour,

De prose et vers, de raison même.
De tout enfin, hors du système.


Faites-moi réponse et brûlez ma lettre ; je devais le faire moi-même, et je vous avoue que je ne croyais pas vous écrire en vers : brûlez vite et ne vous moquez guère de moi.
Pièces inédites de Voltaire, 1820.
Chaulieu mourut le 27 juin 1720.
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38. — À MADAME LA MARQUISE DE MIMEURE.

1719.
Je vais demain à Villars ; je regrette infiniment la campagne que je quitte, et ne crains guère celle où je vais.

Vous vous moquez de ma présomption, madame, et vous me croyez d’autant plus faible que je me crois raisonnable. Nous verrons qui aura raison de nous deux. Je vous réponds par avance que, si je remporte la victoire, je n’en serai pas fort enorgueilli.

Je vous remercie beaucoup de ce que vous m’avez envoyé pour mon œil : c’est actuellement le seul remède dont j’aie besoin car soyez bien sûre que je suis guéri pour jamais du mal que vous craignez pour moi ; vous me faites sentir que l’amitié est d’un prix plus estimable mille fois que l’amour. Il me semble même que je ne suis point du tout fait pour les passions. Je trouve qu’il y a en moi du ridicule à aimer, et j’en trouverais encore davantage dans celles qui m’aimeraient. Voilà qui est fait ; j’y renonce pour la vie.

Je suis sensiblement affligé de voir que votre colique ne vous quitte point ; j’aurais dû commencer ma lettre par là. Mais ma guérison, dont je me flatte, m’avait fait oublier vos maux pour un petit moment.

S’il y a quelques nouvelles, mandez-les-moi à Villars[1], je vous en prie. Conservez, si vous pouvez, votre santé et votre fortune. Je n’ai rien de si à cœur que de trouver l’une et l’autre rétablies a mon retour. Écrivez-moi, au plus tôt, comment vous vous portez.

Château à trois quarts de lieue de Melun. Il a successivement porté les noms de Vaux-Fouquet, Vaux-Villars, et Vaux-Prâlin, ayant appartenu au surintendant Fouquet, au maréchal de Villars, et au duc de Choiseul-Prâlin, l’un des correspondants de Voltaire. (Cl.)
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