Citations de Adib Y Tohme (45)
Que nous offrent-ils, tous ces pantins qui nous gouvernent et qui se chamaillent pour se partager notre avenir ? Des promesses ? Un réconfort ? Une assurance contre la peur ? Rien. Ils ne nous offrent rien. Seulement une réalité insupportable et l’absence de rêve. Et nous nous croyons différents des autres, meilleurs que les autres, enfermés dans nos bulles étanches, nous passons à côté.
Mais où sont les lecteurs ? Il y a trop de fumeurs de narguilé, mais pas assez de lecteurs. Il y a trop de tables de poker, mais pas assez de bibliothèques.
Il y a trop de bruit et de fracas, mais pas assez de silence.
Mais se réveiller sur quoi ? Sortir de la République-poubelle pour se diriger où ? Après les festivités, il faut répondre à la question fondamentale : un président pourquoi ? Sauver le système ou nous sauver du système ? J’appelle « système » l’entreprise politique de prédation des ressources humaines et matérielles du pays, au profit d’une infime minorité d’anciens criminels et de nouveaux riches devenus politiciens.
"Au siècle dernier, un touriste des États-Unis avait visité le célèbre rabbin Hafez Hayyim. Il avait été étonné de voir que la maison du rabbin n’était qu’une simple pièce remplie de livres. Le seul mobilier était une table et un banc. « Rabbi, où sont vos meubles ? », avait demandé le touriste. « Où sont les tiens ? », avait répondu Hafez. « Les miens ? Mais je ne suis qu’un visiteur ici. » « Moi aussi », avait dit le rabbin.
De Mello, Anthony. The Song of the Bird"
"— Pour apprendre à patiner, il faut patiner, et faire comme si on savait déjà. Même chose pour l’écriture : ce n’est pas en cogitant des idées qu’on apprend, c’est en couchant l’encre sur le papier, seul, dans la joie et dans l’anxiété des mots. Il suffit de toujours aller de l’avant, écrire, réécrire, corriger, lire, relire, publier, accepter la critique, vivre dans l’angoisse des erreurs d’inattention, sans rivaliser avec qui que ce soit. Écrire, c’est donc apprendre l’humilité. "
"Cette nuit-là, je fis un rêve aussi puissant qu’inoubliable. Je roulais en scooter avec Gibran dans les rues de New York."
"— Je me demandais si on pouvait faire table rase de notre vie d’après, si les choses pouvaient redevenir comme elles avaient été, comme si on ne s’était jamais quittés, comme si rien n’avait changé, comme si le temps n’avait aucune emprise sur nos vies.
Mayra me regarda avec un sourire hésitant, et m’avoua alors :
— Je ne suis pas la danseuse que tu as aimée. Je ne l’ai jamais été.
J’hésitai quelques secondes avant de lui répondre en souriant :
— Pas de problème. La danseuse n’a jamais vraiment existé…"
"Et les pires sont ceux qui sont venus après, et ceux qui viendront après eux, Gibran, ceux qui ont été naguère contre le système, ceux qui naguère voulaient le changement. Ce sont eux qui m’écœurent le plus, je n’aurais jamais cru qu’il y avait des personnages aussi faux. Après avoir berné tant de naïfs, après s’être fatigués de répéter ces stupidités qu’ils appelaient leurs idéaux, les voilà maintenant qui se comportent comme les plus voraces des rats ; des rats dont l’unique désir a toujours été de s’emparer de l’État pour se goinfrer, des rats vraiment écœurants. Gibran, ça me fait de la peine de penser à tous ces imbéciles qui ont gâché leur vie à cause de ces rats, ça me fait une peine terrible de penser à ces milliers d’imbéciles qui continuent d’applaudir et de se sacrifier dans l’enthousiasme parce qu’ils n’ont plus d’autre choix que de croire aux mensonges de ces rats. Des rats qui maintenant ne pensent qu’à amasser la plus grande quantité de fric possible pour ressembler aux rats qu’ils combattaient avant."
"Les politiciens puent partout, et depuis toujours, Gibran, mais dans ce pays les politiciens puent d’une façon particulière. Je peux t’assurer que je n’avais jamais vu des politiciens aussi puants que ceux d’ici. Il faudrait un jour écrire une thèse là-dessus, Gibran, une thèse sur la puanteur. Et c’est un processus normal, Gibran : quand on commence par une république bananière, on finit nécessairement dans un dépotoir."
"Étudier la gestion dans ce pays, la business administration, oui, ça, c’est intéressant. Pas la littérature. Tout le monde veut faire des études de gestion dans ce pays ou obtenir une licence de droit pour rallier la fonction publique. En réalité, dans peu de temps il n’y aura plus que des fonctionnaires, des militaires et des diplômés de gestion au chômage, ou des chefs d’entreprise en faillite, dans ce pays qui court vers l’effondrement et dont les habitants seront tous des fonctionnaires, des militaires, des retraités arnaqués ou des managers au chômage qui s’échangent des cartes de visite avec des titres ronflants. Voilà la vérité, voilà l’horrible vérité de ce pays, Gibran."
Un déchet en lui-même n’est pas obscène ; il le devient quand il envahit le paysage et veut continuer à occuper la scène malgré son dépérissement et son odeur nauséabonde qui touche les esprits avant d’affecter les sens, aux prix de la mort d’un pays par suffocation ; et dans l’obscène, ce n’est pas tant ce que l’on montre qui est intéressant, mais ce que l’on cache.
Faute de courage pour regarder en avant, on ne cesse de mentir au peuple sur son passé et de ne lui offrir que la mendicité permanente comme alternative pour retarder les échéances : l’échéance principale étant devant nous : à savoir celle de l’effondrement de la république communautaire libanaise sous le poids de sa propre légèreté.
La République libanaise est née de l’incapacité des politiciens libanais de concevoir une nation. Elle est en train de périr par leur incapacité de créer un État. Il faut donc aujourd’hui reprendre l’État où il a été abandonné sous le poids de la facilité, de la cupidité, de l’aveuglement et des égoïsmes privés et tribaux.
Les gens ne veulent plus vivre en se cognant à des fantômes, ils ne veulent plus être à la merci d’un monstre, ce monstre qui rôde, ce monstre qui est partout. La mort partout. C’est en pensant à eux que j’ai écrit ce texte, mais en le relisant je vois bien qu’il parle surtout de quelqu’un d’autre. Il parle de moi.
La crise, en somme, ce sont des liens qui se délitent, qui se défont, chacun avec sa tribu, chacun dans son coin, vivant dans la hantise de l’autre. C’est l’espace commun qui devient un champ de ruines où l’ignorance se drape de religion, la démagogie de politique et l’imbécillité de fabrique d’opinions. On n’a plus de vision commune, on n’a plus des projets communs. On dit juste : à quoi bon, ce n’est pas grave.
Je veux vivre à fond chaque instant en essayant de donner tout ce que je peux donner tout en pensant à tous ceux qui vivent ici et là-bas, des deux côtés de la frontière, qui sont passés de l’autre côté de la vie. J’aimerais ne pas les oublier, pour ne pas oublier combien tout est précieux à jamais.
De faire de vous les esclaves de l’alliance des anciens et nouveaux bandits financiers et politiques. De vous remplacer par des chiffres sans désirs ni identités, victimes et votants de vos bourreaux. Je me dis que, quelque part par ici, il faut que les valeurs renaissent dans ce siècle où la seule valeur est une non-valeur.
Ou bien rester quand même ? Pour subir la loi des armes, les caprices des gangs, les pouvoirs mafieux, la justice décapitée, l’avenir bloqué, la médiocrité et l’arrogance, l’ignorance et la prétention, la cupidité et l’égoïsme, l’aveuglement et la violence.
On va se lever et continuer autrement, n’importe comment, à l’aube d’une ère nouvelle. Ou, au pire, continuer comme avant, notre vie minable, notre boulot minable nos rêves minables et notre quotidien minable.
C’est la faute de cette troisième génération. Elle veut faire les choses tellement vite qu’elle ne reconnaît pas l’ours sauvage. Ou plutôt, elle se croit capable de le dompter ou de l’ignorer. C’est comme dans l’affiche (alfa) du skieur qui dévale la pente et va tout droit dans les bras de l’ours. Résultat : non seulement l’ours va le ralentir, mais il risque de l’arrêter, et plus vraisemblablement de le croquer.
Et cela, le slogan ne le dit pas. La morale ? Il faut savoir reconnaître l’ours !