Citations de Alain Veinstein (81)
La poésie introduit juste ce qu'il faut de silence pour troubler le vacarme.
Mon amour
veut remplir le vide
laissé par la disparition de ma mère...
Mais lui-même est vide
dans la blancheur aveugle
À cet instant, dans la foule du métro, quelqu'un meurt peut-être de chagrin.
Pas le début,
la percée d’une ligne :
être sur la brèche
n’a rien d’un commencement.
Ce n’est pas le début –
j’allais l’écrire –
mais la fin,
déjà la fin.
J’en suis à peine au début
et c’est déjà la fin
sans que je puisse revenir en arrière.
J’ai beau crier :
pas encore,
pas si vite,
l’heure vient,
trop tard,
c’est déjà la fin
et tout est comme ce doit être, à la fin,
muet, sans appel du lointain,
sans un signe qui fasse entendre notre amour,
sur une scène qui continue pourtant de tourner.
p.12
Aujourd’hui…
Aujourd’hui
Tout cela est très ancien,
de la vieille histoire,
des fils noués pour tuer le temps
à force d’attendre
devant le rideau baissé,
les yeux rivés sur le rouge
sans voir que je me heurte à un mur,
que toutes les issues sont fermées,
qu’il n’y a pas de scène possible.
Je suis l’amant aux bras
maintenus derrière le dos,
poings liés,
pour l’empêcher de serrer son amour
contre sa poitrine.
Si le ciel reste plombé à ce point, comment voulez-vous que les astres aient la moindre influence sur notre destinée ?
Au fond je ne demande pas l’impossible…
Au fond je ne demande pas l’impossible :
juste que le noir, de temps à autre,
soit lavé de rose et de quelques flammes orange,
qu’une salve de lueurs bleutées
le crible par intermittence.
Que j’en puisse retenir l’éclat
avant d’arriver en bas
où le noir n’a pas son pareil
pour que tout rentre enfin dans l’ordre.
Je sais de quoi je parle :
chaque fois que j’arrive en bas,
je suis frappé de cécité,
je dois rêver pour voir.
Qui es-tu depuis que tu n'as plus de visage ?
Poursuivre, c'est poser des mots qui dessinent un trajet, un récit, une expérience vécue. L'apprentissage d'une langue, c'est l'apprentissage d'une vie.
S'il pouvait, avec la souplesse du contorsionniste, s'arracher les oreilles avec les dents... Cette idée l'obsède : se détacher les oreilles de la tête.
J'appelle personnage une figure prise dans ce mouvement d'aller vers. Même s'il y a un point après vers. C'est mieux que rien.
Après tout, c'est cela un personnage : pas un bon à rien ou un moins que rien, mais une figure orientée vers un mieux que rien.
Mieux est une voile à la merci du vent.
Même un âne, m'a-t-on assuré, sait prendre un air de souffrance. Un homme qui porte un fardeau n'inspire pour ainsi dire jamais de pitié. Et de toute faon la pitié ne supprimerait pas le fardeau.
Le sourire
…Dans le ballet des lumières
la danse rapproche à vue d’œil.
Rien ne se laisse voir
et nous voyons tout.
Rien ne se laisse dire
et tout ce que nous disons
nous parle.
En dansant,
nous courons notre chance
sur les colonnes de la nuit ;
nous délogeons la peur de nos visages,
rendus au sourire. …
p.144-145
Depuis que ma voix s'est brisée,
impossible de s'éloigner,
les phrases me fuient sous les doigts,
expirent dans la réalité de l'obstacle.
J'avance sans but, livré à moi-même,
face au terrain perdu
où je pensais connaître le bonheur.
Sortir de la pénombre
n'est pas une question de cran,
c'est surtout une affaire de cœur.
N'importe quelle histoire d'amour
raconte cela.
Lorsque d'un jour à l'autre, vous êtes incapables de vivre pleinement le jour à cause du lendemain.
Inutile, si je puis dire, de tourner autour du pot : je suis atteint d'une surdité croissante. (.....) Je me coupe des bruits du monde et le peu que j'entends est distrait par ma propre interrogation sur ce que j'entends. Je m'écoute entendre pour m'assurer que j'entends bien ce que j'écoute.
C'est l'heure de la cendre
quand la musique se tait
et que sur la piste délaissée par la lumière,
je te perds de vue.
Cette fois je crois bien
que tout est perdu
Faire courir le bruit jusqu'à ce qu'il s'effondre en silence.
TOUT SE PASSE COMME SI
J'ignore la manière
dont on peut trouver son chemin.
Je ne connais même pas
le sens du mot.
Je sais que si je continuais en droite ligne,
comme si je suis en train de le faire
pour tuer le temps,
je risquerais d'atteindre père et mère.
p.9
TOUT SE PASSE COMME SI
Longue absence. Aussi loin que je me souvienne,
passé à travers les mailles, jour après jour,
avec un semblant de fureur.
Yeux levés, est-ce être là ?
Suivre la ligne sans horizon,
faire rouler la terre sous mes pieds :
j'ai tout essayé,
je n'y arrive pas…
Ne pas bouger, attendre,
jusqu'aux limites de mes forces.
p.7
Le sourire
…Ton sourire
donne le signal du départ
de la lenteur
sur laquelle nous dansons,
toi et moi,
même dans les rythmes les plus
endiablés.
À partir de ton sourire,
nos pas ne connaissent plus
que la lenteur :
nous dansons de front, presque sans bouger,
sur des sons qui n'existent pas
et je me contente de soulever mes bras vers les tiens
pour que nos paumes tendues
puissent s'effleurer.
p.145