C'était aux environs de 1695, à vingt-cinq milles de Ville-Marie; quelques colons français, séduits par la beauté du site et par la richesse du sol encore vierge, s'étaient établis sur la rive gauche du Saint-Laurent, et menaient là l'existence âpre et pénible que connurent les premiers colonisateurs de notre beau Canada. Non seulement ils devaient pourvoir eux-mêmes à tous leurs besoins, défricher la forêt au prix de mille labeurs, mais ils étaient à tout moment mis en alerte par de fâcheux voisinages. D'un côté les Iroquois, ennemis nés des Français, déterraient à toute occasion la hache de guerre; de l'autre, les Algonquins, quoique alliés, ne se gênaient guère, avec leur cauteleuse fourberie, pour se livrer à toutes sortes de rapines et de déprédations. Cependant ni l'énergie, ni la foi ne manquaient aux premiers colons, et, peu à peu, l'avenir se faisait plus souriant.
Mais ils devaient être prêts à tout, s'attendre à tout!...
Les Cris appartiennent, comme on le prouve par l'identité du langage, à la grande famille Algique, qui s’étend depuis le Labrador jusqu'aux Montagnes Rocheuses et jusques sur les bords de la rivière Athabaskaw, et forment les tribus des Montagnais du Labrador, les Têtes-de-Boule du St-Maurice, les Abénaquis, les Ottawas, les Algonquins, les Sauteux, les Maskésons et enfin les Cris. Les différents dialectes de ces tribus semblent avoir la même origine par l’analogie de leur langage. Connaissant un de ces idiomes, Il ne suffit que d’en entendre un congénère, pour se convaincre que le radical est à peu près le même, et que les principales règles de la grammaire se forment de la même façon. Le mot cris (en anglais cree) vient probablement de Kinistinok, nom qui est donné à cette nation par les Sauteux. Les premiers voyageurs, en entendant dire Kinistinok, auront bientôt, comme toujours, formé un nom plus court et plus facile à prononcer.
Travaillant depuis plus de vingt ans dans les missions de la Saskatchiwan, j'espère qu'il me sera permis aujourd’hui d'offrir aux amis de nos frères les sauvages, ce travail sur la langue crise. Dès mes premières années de missionnaire, j'ai senti que, pour évangéliser, il était absolument nécessaire de comprendre la langue de ceux qu’on veut christianiser. Tout d’abord, j'ai donc commencé à compiler tout ce que je pouvais recueillir de mots et de règles grammaticales. Sans avoir la prétention de penser que J'ai fait un ouvrage complet, cependant je me regarderai comme grandement récompensé de mes veillées et de mes recherches, si par là je puis être utile à ceux qui veulent étudier la langue crise, surtout si je puis adoucir et faciliter aux missionnaires les premiers éléments d’une étude si nécessaire pour l'instruction des peuplades d’une grande partie du Nord-Ouest.
Le caractère de la langue crise et aussi des autres langues sauvages de l'Amérique du Nord, donne encore pour nous un degré de plus à cette importance. Peu riche par le nombre des mots radicaux, cette langue doit suppléer à son indigence par la variété des significations,
Dans l’enseignement, l'étude des langues doit sans doute occuper une des premières places. Exprimer sa pensée et communiquer ses idées, est toujours le premier besoin qui se fait sentir; c’est cette connaissance des langues qui étend et multiplie les relations si utiles et si nécessaires au bonheur social, et qui, en fait d'histoire, donne l’aperçu le plus vrai de tous les peuples. On y remarque la diversité de génie, de moeurs et de caractère de chaque peuple. En comparant ainsi l’homme avec l’homme, dans ses différents rapports, non-seulement on apprend à le connaître, mais aussi à admirer son caractère.
Ce n'est pas d'après le nombre des mots qu'il faut calculer la richesse d'une langue, mais d'après leur valeur et les idées qu'ils expriment.