Citations de Alexandre Tharaud (22)
Si j'étais le piano, j'aurais peur.
L'accordeur semble doux mais tape fort.
P 41
le pianiste vise le cœur, uniquement le cœur.
P 110
De ce silence, celui-ci et pas un autre, unique, va surgir la première note, celle qui invite, la plus belle.
Ma main se pose sur le clavier, d'un geste direct, charnel.
P 153
La cinq ouvre au sport, aux cauchemars, aux déséquilibres.
Une chambre sept donne à réfléchir et à écrire. Pas à dormir.
Une chambre deux c'est pour l'amour, pour le faire et le défaire.
La quatre enferme, trop de retard, les murs écrasent.
Au fond d'une chambre Un je me sens bien seul. Trop seul.
Non rien à faire, pour la bonne préparation d'un concert il me faut du neuf !
Depuis le jour de ma naissance le neuf.
P 75
Le pianiste Christian Ivaldi, avait sorti cette phrase :
je ne vous sers pas la main elles sont pleines de fausses notes.
p 211
Ce jour-là, Madame Vuinnet est venue avec sa fille. Dès le début du concert elle a fermé les yeux, s'est endormie sous la musique de Bach, son compositeur de coeur. Elle n'a plus bougé. Elle est morte comme ça, à quatre-vingt-treize ans, le sourire aux commissures des lèvres, son silence recouvert de Bach. Dans l'abandon. Offerte.
Un ébéniste pratique le bois.
Un pianiste le piano.
le soliste pratique sa solitude.
En artisan il la sculpte, La polit, la fait vivre.
p 113
Contrairement à ce que le bon sens peut laisser penser, réunir les meilleures prises ne donne jamais le meilleur disque. La perfection ne conduit qu'à l'ennui. Il faut des prises plus faibles, des tunnels, des zones d'ombre, pour créer de la perspective.
Les interprètes du passé nous emportaient si loin, plus haut que la plupart de nos contemporains. Ils racontaient tant de choses en trois phrases, avec une palette de sentiments, de nuance et de couleurs si évidente qu'elle en semblait sans cesse renouvelée.
Quand on demandait à Arthur Rubinstein s’il avait peur de la mort, il répondait spontanément combien elle lui était familière, pour avoir passé sa vie face à un cercueil, habillé en croque-mort.
N’oublions jamais nos origines. Chopin disait un nocturne, ne le jouait pas, il s’adressait à l’auditeur, en intime poète. Notre instrument devenu soliste est né des chanteurs d’opéra, il chante et chante encore sous nos doigts, pour le public.
La répétition du matin, c’est d’abord la découverte de l’instrument. Je m’en approche, le respire à pleins poumons. Tels deux chiens, on se renifle, on se retrouve. Le piano m’appelle et son ventre dit tout. À son odeur de vernis, de feutre, de bois, il me parle. Oui, un instrument se livre beaucoup avant même d’être joué. Les Steinway n’ont pas les mêmes effluves que les Yamaha, à chaque modèle son parfum. Les Bösendorfer sont de loin les plus enivrants. Adolescent, je humais chaque jour mon Bösendorfer modèle B, auquel j’avais donné le nom du cheval d’Alexandre le Grand, Bucéphale. Je passais des après-midi à l’admirer de l’intérieur, scruter ses entrailles, chaque marteau, chaque corde. Son corps était un trésor.
Voyager quotidiennement exige de refaire sa valise promptement. En vacances on étale, en tournée on enferme. La valise prend du poids au fil du voyage. Les objets s’accumulent. Tous ces cadeaux impossibles à emporter avec soi.
Les partitions pèsent des tonnes, elles envahissent. Tout ce papier, tant de points noirs. J’emporte des milliers de granules blanches et de petites notes noires. Toutes m’accompagnent en temps voulu. La journée je grignote les blanches, dans le silence du soir je pose les noires, une à une dans l’oreille de l’auditeur.
La rencontre d’une vie n’est-elle pas celle qui a lieu avec soi-même ? Les concerts offrent cet instant si bref, à lui, à moi, avant de nous jeter dans le vide, intense moment que nous ne tenons cependant pas à éterniser. Quelques secondes, pas davantage. Chaque fois nous nous rencontrons un peu plus profondément. L’autre nous fait moins peur. On se connaît si bien. Pas de lassitude, nous continuons notre travail, coûte que coûte. À chaque concert nous déposons une petite pierre sur ce chemin partagé, un chemin lumineux mais sans gloire. Un jour ce sera le dernier.
Merde, souvenir des calèches qui déposaient les spectateurs devant les théâtres parisiens au XIXe siècle. Plus la salle était pleine, plus le crottin s’accumulait à l’entrée, signe de succès.
Liszt, icône sexuelle, champion toute catégorie des évanouissements. Première rock star du XIXe siècle.
Mes pianos fragiles me sont aujourd’hui indispensables. Vivre sans, c’est donner de l’espace. En vieux couple, ne pas se laisser submerger sous le poids de l’autre. Cinq cent cinquante kilos, tout de même.
Un violoniste fait fusion avec son instrument, sa partition peut passer pour accessoire. Le pianiste voyage éloigné du sien, la partition est alors son principal ancrage physique avec le concert à venir. Sa partition est tout.
Je dis, "son cartonneux", d'un éclair l'accordeur comprend.
Un peu de nuit dans les graves,
plus de cristal dans les aigus,
il répond oui, en deux minutes.
P 40