Aujourd’hui, Beethoven tient pour moi une place plus grande que Mozart, parce qu’il s’approche plus de l’existentiel. Ses œuvres les plus grandes m’amènent, comme pour Bach, vers un sentiment métaphysique ou cosmique. Goethe décrivait Beethoven comme compact, résolu, dans le recueillement.
Personne n’est plus viril que Beethoven. Il y a peu de bonnes interprètes féminines de Beethoven. Je sais qu’il est dangereux par les temps qui courent de prononcer cette phrase, mais c’est vrai.
Je reconnais que la 25e variation des Variations Goldberg est merveilleuse, mais peut-on se permettre de la sortir de son contexte ? L’endroit où elle est placée est décisif – en concert, il faut bien une heure de jeu en amont pour l’amener. En d’autres termes : cette apogée n’est rien sans les conditions de son émergence ; elle se construit pas à pas, on ne peut pas, on ne doit pas la « convoquer » d’une seconde à l’autre.
La règle à laquelle je me tiens, c’est : pas de concert le jour du voyage. Cela peut tout mettre en péril. D’autant que mes oreilles, mon âme ne sont pas encore totalement « présentes » dans le nouveau lieu. Le corps doit être également en éveil, la précision est très importante, de fait : pas d’alcool avant le concert (mais après), plutôt un bon repas de midi et une sieste - ce qui pose de plus en plus problème aujourd’hui car même les meilleurs hôtels ne sont pas à l’abri du bruit. Je vais tôt à la salle de concert, je me prépare intérieurement. La première note est d’une importance capitale.
La musique doit naître du calme.
J’ai toujours trouvé à Bach des vertus libératrices. Sa soi-disant rigueur se relève en plusieurs endroits être un leurre. De par le peu de prescriptions qu’il fait, Bach est très intéressant pour les jeunes gens : on peut s’exprimer en lui et par lui ! On peut jouer une fugue de Bach à dix tempos différents, le résultat sera la plupart du temps impressionnant. Avec Bach, je me suis toujours senti comme un poisson dans l’eau. La musique baroque s’orne de nombreux éléments d’improvisation qui sont très libérateurs. Malheureusement, le cours de musique ressemble toujours dans certains instituts au programme d’un État policier. C’est affreux.
Mozart a un don fantastique pour la mélodie, il est peut-être le compositeur le plus mélodique après Schubert.
La musique classique occidentale a pour vocation d’être sans cesse réécoutée. La littérature, elle ne nous exhorte pas autant à la répétition, même si pour ma part, avec l’âge, et malgré une curiosité persistante pour la nouveauté littéraire, je reviens de plus en plus fréquemment à mes « vieux amis ».
Il s’agit pour l’essentiel de suivre très attentivement les sons auxquels je donne corps, de les suivre avec une troisième oreille.
La musique est presque toujours polyphonique. C’est pourquoi la musique exige un tel degré de concentration.
Tous voulaient écrire de la musique sacrée et devenir musiciens d’église. Schubert s’y est employé – et a essuyé des refus.
Pour ce qui est de la musique contemporaine en général, disons qu’elle est difficilement compatible avec ma conception de l’art du piano, j’entends par là une culture du toucher et du son. Si un compositeur exige que j’inflige à mon instrument une frappe brutale, je passe mon tour.
Si nous devions établir une liste des chefs-d’œuvre musicaux composés entre la Seconde Guerre mondiale et aujourd’hui, elle serait terriblement courte. Aujourd’hui, face à la musique contemporaine, on se sent parfois perdu dans le vide.