Citations de Anne-Lise Blanchard (35)
Le rire tressaille en chaque pas
Derrière la brume le soleil
s’efforce d’accompagner nos pas
Jubilation d’enfant à faire crisser
les feuilles au sol
les yeux fixés sur la cime-
définitive
le souffle se met en place
le silence clarifie l’espace
et c’est une très ancienne
langue que déchiffreraient
nos pieds consentants
Une odeur d’ail ici
clarines à tous les étages ici
mesure ton pas et sois bienvenu
Ici le souffle circule en liberté
Parmelan
Au petit jour
le jardin déplie ses jambes
en une mélodie
mouillée qui donne
légèreté
de pouliche
(" Eclats")
LA NUIT VIENT EN DORMANT…
La nuit vient en dormant
pour s’emparer
de nos lointains enfouis
D’elle quelques mots
feraient
belle présence
la neige des saisons
renonçant à effacer ce tout dont on dit
qu’il a une fin
Parenthèse à intermittence
qui exhale lumière
souffle léger
la nuit – chant
de basse
en sa proximité
soit l’heure où l’on regarde les âmes
Le soir âpre emporte les scories
qui obscurcissent le chemin
De petits bras d'enfants
enlacent silence et ciel
si clair est le jour
L’hiver est arrivé…
L’hiver est arrivé. La fenêtre découpe une
ouverture franche sur le ciel. Elle voit le
ciel bleu acier quand le vent souffle sous
les tuiles, le ciel gris quand il pleut, pluie
lourde ou fébrile. Elle voit le ciel blanc qui
illumine la nuit quand il neige. Elle se dit
c’est peut-être la lumière d’un tombeau.
Elle se dit c’est plutôt la couverture
magique de « Madame Holle » qui fabrique
les saisons. La neige fait un rebord contre
la vitre. Elle ne peut plus ouvrir la fenêtre,
c’est le ciel qui entre chez elle. Le ciel qui
apporte la vie d’en bas jusqu’au grenier.
Elle sourit. Une grande baie avec vue
panoramique la déprimerait. Trop de gris,
trop de bleu, trop de blanc, ces trop
s’engouffreraient en son fragile intérieur.
Elle s’endort en fixant le double rectangle
blanc, son unique tableau.
COMBIEN DE JOIES VIVONS-NOUS EN UNE VIE ?
Extrait 3
Elle ralentit le pas. Elle se laisse distancer, elle n’est pas pressée. Elle regarde tout ce vert, tout ce rose qui se précipite sur le chemin. Une telle éclosion est comme une offrande à l’amour qui la balaie. C’est un chœur chatoyant dont elle veut qu’il persiste. Elle limite son vœu à un an, elle se résigne. Elle n’ose pas être excessive avec le bonheur. Elle le voit enfin qui surgit après un massif de rhododendrons. Elle le regarde avancer d’un pas têtu, paysan. Pourtant aérien. Il lui fait un petit signe de la main. Il avance les mains croisées, les pouces dans les passants des bretelles du sac. Il dépose un baiser dans son cou. Le soleil se fait plus doux sur ses épaules. Avec soin il rajuste son sac. Elle se laisse faire dans une sorte d’extase. Elle aime regarder ses gestes, sa façon de réfléchir en même temps. Rester là à le regarder. Dans la profusion des couleurs. Pour ne pas avoir peur d’une fin.
COMBIEN DE JOIES VIVONS-NOUS EN UNE VIE ?
Extrait 2
Depuis que la maison est vide, elle va à la plage en fin d’après-midi. Une bande d’ombre recouvre déjà le sable. Elle nage nue dans le rayon de soleil. Ses doigts fendent l’eau brièvement, ses pieds restent souples. Plus chaude que l’air en cette saison, l’eau glisse sous son corps. Elle entend sa respiration régulière. Parfois, elle se retourne et se laisse porter par le ressac. Elle contemple le ciel. Quand le froid compresse la tête, elle reprend la nage. Les bronzeurs ont quitté la plage. Elle cherche la bande de sable encore tiède sous le soleil qui faiblit. Vous nagez vite. Elle ouvre les yeux, le regarde. Il est jeune, calme. Il pourrait être son fils. Il a posé ses vêtements à côté. Elle sourit, l’interroge. Lui aussi vient tard, quand il a terminé son travail. Il ouvre des restaurants. Il lui indique les meilleurs de la région, ils sont rares. Ils bavardent, elle oublie l’heure jusqu’à ce qu’elle frissonne. Vous avez froid. Ses doigts effleurent sa cuisse. Puis il lui tend sa robe. Ils sont silencieux dans leurs sourires. Une entre-vie.
[…]
COMBIEN DE JOIES VIVONS-NOUS EN UNE VIE ?
Extrait 1
Combien de joies vivons-nous en une vie ? Elle ne saurait les compter. Parfois un visage ou un paysage la traversent, elle sourit. Parfois un air de musique ou une odeur, elle sourit. Parfois un geste ou un silence, elle sourit.
[…]
La lumière/a changé ce matin…
La lumière
a changé ce matin.
On ne sait quoi
nous fait désirer
une course
sur l’herbe encore couchée
et plutôt que les mots d’un désastre
des parfums de la mer
Prendre la mesure
du plus petit coquillage face au ciel
ciel absolument
bleu ciel
comme lui se retirer
d’une enveloppe trop juste
et laisser monter la marée
du silence
Fin de journée
Je tire mes rideaux
sur la pierre précieuse
que fut cette journée
bruissante
de braises perdues
d’éclaircies
de rires d’enfants
Je laisse venir
l’apaisement
du silence
le sourire
qu’avec délicatesse
me restituent
mes anges gardiens
Ascèse des corps
À mots
ouverts
la peau
radieuse
dit merci de lui
*
Flamme dure
flamme
les souffles
convergent
Vitalité
exacte
inattendue
*
Puits d’étoupe de
sons étouffés
échine reptile
de feu dans
l’écart ou la suspension
devenir passage
Haut ciel. La vague s'allonge, agrandit la courbe en son creux. Une tendresse épanouie se rassemble dans la pierre, dans le corps. L'ombre fait qui déjà a épuisé les mouvements du coeur. Le matelas que la mer m'abandonne griffe fesses, omoplates. Douce, se faire douce dans l'éblouissement.
Juste avant l'endormissement. Par les fentes des paupières, ouvertures blanches ou bleues, en forme de goutte, de sexe, de luciole. Insatiété de l'immense ouverture, ivresse de goûts, picotements, couleurs, piaillements. Mourir : être éveillé à la lumière montante.
A Maloula le ciel
est descendu sur terre
et pique d'étoiles la montagne
Ce soir de Noël
est comme le premier chant
de l'oiseau au printemps
comme l'odeur du jasmin
après la pluie matinale
et dans les sombres ruelles
bruisse la joie des enfants
de Maloula
(Vigile de Noël 2014)
Au coin du cœur veille
un coquelicot
qui garde ouverte
la porte du retour
Extrait 3
Deux tresses qui volent
un jupon de mousseline
elle traverse l’été
Extrait 3
Flammes crues
d’une saison raccourcie
les bourgeons ont jailli
Déjà le printemps ?
au bord du fleuve un colvert
mesure son aire
…
Comment fleurir au printemps
quand le silence ronge chaque jour
l'épaisseur de l'écorce ?
Je suis par le vent qui craque
le ciel sans reflet la poule d'eau égarée
confuse la beauté est là
Ma langue n'est plus déliée
mes doigts sont amers
le temps d'une trêve
découvre
comme marée ardente
des filiations saccagées...
Extrait 2
À pic des falaises
au delà du romarin
tenir son chapeau
*
Comme oiseaux transis
les bateaux sous la tempête
serrés flanc à flanc
*
La chair de la figue
son duvet lissé du doigt
cède sous nos dents
Extrait
Objets pétrifiés
dans la lumière
paysages
sous grillage
où la terre
où le ciel
je contemple
tout
ce blanc
à moissonner
des lèvres de gel
chantonnent
sous la course
des chevreaux
la syntaxe du jour
se tient
serrée
la lumière
se détache
de notre oubli
la nuit
bouge
en faisant du bruit