Citations de Anne-Lise Blanchard (35)
Au petit jour
le jardin déplie ses jambes
en une mélodie
mouillée qui donne
légèreté
de pouliche
(" Eclats")
LA NUIT VIENT EN DORMANT…
La nuit vient en dormant
pour s’emparer
de nos lointains enfouis
D’elle quelques mots
feraient
belle présence
la neige des saisons
renonçant à effacer ce tout dont on dit
qu’il a une fin
Parenthèse à intermittence
qui exhale lumière
souffle léger
la nuit – chant
de basse
en sa proximité
soit l’heure où l’on regarde les âmes
Le soir âpre emporte les scories
qui obscurcissent le chemin
Alep, août 2015
Le ciel a feulé
la terre se soulève
le cœur bat dans le ventre
lumière grise comme après
un feu de feuilles
la rue sans bouger
La lumière/a changé ce matin…
La lumière
a changé ce matin.
On ne sait quoi
nous fait désirer
une course
sur l’herbe encore couchée
et plutôt que les mots d’un désastre
des parfums de la mer
Prendre la mesure
du plus petit coquillage face au ciel
ciel absolument
bleu ciel
comme lui se retirer
d’une enveloppe trop juste
et laisser monter la marée
du silence
« Les bombes tombent comme de la pluie. Sans travail, sans ressources, sans eau, sans sécurité, privés de toute pitié espérée et du secours attendu de l’Occident chrétien. »
Alep, août 2015
Hurlements sirènes
la nuit s’est abattue sur la peur d’Alep
et la soif et la mort
ont plaqué leurs masques sur les regards
les lampes se sont éteintes
le soleil s’est réfugié dans les cailloux
Sans fracas les enfants d’Alep
se faufilent entre les brûlures
venues du ciel
le souvenir de l’eau
écarquille les gorges écourte
les rues où fleurissent de petits cercueils
D’où nous sommes
nous avons déjà oublié
la mémorable Hellab
à peine distinguons-nous des mots
descellés de leurs sens
des mots qui ne disent plus rien
à cause de l’étrange musique
ruisselant sur nos écrans
qui efface la ligne du temps
Voilà Alep
à la blancheur de lait
devenue ce lointain mouroir
sans fin ni commencement
COMBIEN DE JOIES VIVONS-NOUS EN UNE VIE ?
Extrait 3
Elle ralentit le pas. Elle se laisse distancer, elle n’est pas pressée. Elle regarde tout ce vert, tout ce rose qui se précipite sur le chemin. Une telle éclosion est comme une offrande à l’amour qui la balaie. C’est un chœur chatoyant dont elle veut qu’il persiste. Elle limite son vœu à un an, elle se résigne. Elle n’ose pas être excessive avec le bonheur. Elle le voit enfin qui surgit après un massif de rhododendrons. Elle le regarde avancer d’un pas têtu, paysan. Pourtant aérien. Il lui fait un petit signe de la main. Il avance les mains croisées, les pouces dans les passants des bretelles du sac. Il dépose un baiser dans son cou. Le soleil se fait plus doux sur ses épaules. Avec soin il rajuste son sac. Elle se laisse faire dans une sorte d’extase. Elle aime regarder ses gestes, sa façon de réfléchir en même temps. Rester là à le regarder. Dans la profusion des couleurs. Pour ne pas avoir peur d’une fin.
De petits bras d'enfants
enlacent silence et ciel
si clair est le jour
A Maloula le ciel
est descendu sur terre
et pique d'étoiles la montagne
Ce soir de Noël
est comme le premier chant
de l'oiseau au printemps
comme l'odeur du jasmin
après la pluie matinale
et dans les sombres ruelles
bruisse la joie des enfants
de Maloula
(Vigile de Noël 2014)
Extrait 3
Deux tresses qui volent
un jupon de mousseline
elle traverse l’été
ELLE EST À MARÉE
Elle est à marée
basse
sans odeur
ni chant
ni sang qui affabule
elle s’épuise à
remonter
en courant
un lait de fange
jusqu’au corps de
la lettre dont elle ne peut
dans son résidu
syllabique
que tenter d’encore
tenir la couleur
(anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines publiée par Voix d’encre en juillet 2012)
Comment fleurir au printemps
quand le silence ronge chaque jour
l'épaisseur de l'écorce ?
Je suis par le vent qui craque
le ciel sans reflet la poule d'eau égarée
confuse la beauté est là
Cette nuit
parce que la lumière du Christ
transperça les disciples
c'est ici
en haut de la montagne
que par des spirales de feu
la jeunesse
signale au monde l'espérance
de la Transfiguration
(Maaloula, nuit du 5 août 2015)
Surgis du sable
des villages couleur sable
à l'unisson d'un bleu
brûlant
bruissant de la naissance
du monde
et cette heure qui vient
se tait
tout à l'écoute
du jeune garçon
debout face à sa blessure
dans le brasier
de la steppe
(Sadad, juin 2016)
Il faut bien
nommer le réel
pour que l'ineffable génère
l'imaginaire
Il faut bien
que l'autre parle en soi
pour qu'il y ait poème
(Zahlé, Liban, août 2014)
Le rire tressaille en chaque pas
Derrière la brume le soleil
s’efforce d’accompagner nos pas
Jubilation d’enfant à faire crisser
les feuilles au sol
les yeux fixés sur la cime-
définitive
le souffle se met en place
le silence clarifie l’espace
et c’est une très ancienne
langue que déchiffreraient
nos pieds consentants
Une odeur d’ail ici
clarines à tous les étages ici
mesure ton pas et sois bienvenu
Ici le souffle circule en liberté
Parmelan
Extraits
Entre nous sans vous froisser
ces gens exsangues
ces gens d’autre rivage
leur chagrin implosant
infranchissable en cendres
Entre nous la vérité nue
froissée la vérité nue vous dis-je
ne traîne rien que son frein
se cache dans les cercueils des-
cellés ossements que disperse
la blancheur du sable
Que vous la taisiez ou pas la vérité
froissée éviscérée
non ne faites pas l’ange
s’installe indécente
au bout du silence
ÉCLATS
Le vent
pour nous fatiguer
contre notre dos
s’acharne
et nous avançons
un peu plus courbés
entre deux saisons
dont même la terre
ignore le nom
Matin ou soir
peu importe
les cloches nous ponctuent
qu'elles mettent en branle
qu'elles suspendent
nos gestes
avec jubilation
elles traversent emportent
nos corps écrivant
la page du commun ouvrage
(Damas, août 2014)
Fin de journée
Je tire mes rideaux
sur la pierre précieuse
que fut cette journée
bruissante
de braises perdues
d’éclaircies
de rires d’enfants
Je laisse venir
l’apaisement
du silence
le sourire
qu’avec délicatesse
me restituent
mes anges gardiens
Au coin du cœur veille
un coquelicot
qui garde ouverte
la porte du retour