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Citations de Anthony Kaldellis (42)


Procope interpréta le régime de Justinien comme une forme impériale de despotisme oriental. Certains spécialistes modernes considèrent l'assimilation des magistrats impériaux à des esclaves comme fondamentalement "perse" - dans sa nature sinon dans son origine - alors que d'autres sont peut-être plus proches de la vérité en y repérant une influence chrétienne. Se voyant eux-mêmes comme des esclaves de Dieu, les chrétiens avaient déjà transposé depuis longtemps le concept de servitude de la sphère socio-politique à celle de la religion. Procope témoigne de cet usage dans "Les Monuments" quand il dit des saints qu'ils sont des hommes que Dieu a "réduits en esclavage" (1.7.14) et l'on peut citer d'innombrables exemples tirés des textes chrétiens. L'empire ayant adopté le christianisme, ce n'était qu'une question de temps avant que cette nouvelle relation de maître et d'esclave ne soit transférée de la sphère religieuse à l'idéologie politique. De même que Justinien voyait des esclaves en ses sujets, de même il se voyait comme esclave de Dieu. Ces idées sont très visibles dans les chapitres d'admonestation adressés à lui par le diacre Agapet. Il conseille Justinien de traiter ses propres "serviteurs" comme il voudrait être traité par son "maître" (despotès) divin, car tous les hommes sont également esclaves aux yeux de Dieu.

... Ceci était profondément choquant pour Procope... Ce n'était pas le point de vue d'un Grec doué d'une éducation classique, qui condamnait l'association de la monarchie et de Dieu comme incompatible avec la liberté politique.

p. 137
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(Ecriture de l'histoire).
En 532 les émeutes de la sédition Nika dans la capitale faillirent abattre le régime de Justinien. L'empereur, barricadé dans le palais, allait s'enfuir quand l'impératrice lui tint un discours enflammé, l'encourageant audacieusement à riposter. Selon Procope, elle cita à la fin de son discours "un vieil adage, selon lequel la monarchie est un beau linceul". Curieusement, Procope fait commettre à Théodora une erreur de citation, car on retrouve l'adage dans Isocrate, Diodore et Plutarque. L'original dit : "La tyrannie est un beau linceul". Il fut dit par l'un des compagnons de Denys, le fameux tyran de Syracuse, alors qu'il était barricadé dans son palais lors d'une rébellion populaire. Denys allait s'enfuir, mais à la fin, comme Justinien, il employa des mercenaires pour massacrer les rebelles. Ainsi Procope a-t-il donné au discours de Théodora deux niveaux de sens. En superficie, on dirait que son audacieux discours a sauvé le régime. Mais les lecteurs qui connaissent leur histoire classique, et en particulier le récit de Diodore, comprennent la comparaison implicite de Justinien avec l'un des tyrans les plus brutaux de l'histoire. Même s'il a dépeint Justinien comme un tyran sanglant dans son "Histoire secrète" [ou "Anekdota", non publiée], il ne pouvait pas faire une telle comparaison dans un texte officiel comme les "Guerres". Mais il pouvait parsemer son texte d'allusions ambiguës. La correspondance parfaite du message de Théodora avec son portrait de l'impératrice dans l'"Histoire Secrète" plaide en faveur de cette interprétation d'Evans. Il est inconcevable qu'il ait voulu donner une image positive de Théodora, qu'il méprisait plus que tout au monde.

p. 36
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Mantzikert, 1071 : entrée et installation définitive des Turcs en Anatolie.
Selon l'opinion "traditionnelle", la bataille de Mantzikert scella le destin de l'Asie Mineure, qui allait désormais devenir "la Turquie". Selon l'opinion "néo-traditionnelle", la bataille elle-même ne fut en rien un désastre, car seule une petite partie de l'armée fut perdue. C'est la guerre civile qui ouvrit les vannes de l'invasion turque. Le problème de fond était la faiblesse intrinsèque du monde politique byzantin. En réalité, il n'y a pas moyen de dissocier la guerre étrangère de la politique interne en Romania*. La guerre civile fut causée par la bataille, qui, en retour, avait été marquée par des décennies d'histoire politique et militaire. La signification de Mantzikert ne peut s'évaluer seulement par les pertes humaines : elle dispersa les armées romaines* sous les yeux des Seldjoukides, ouvrit la frontière orientale, et révéla la faiblesse des Romains.*

Romania, Romains, est le nom que les "Byzantins" se donnaient, et l'historien le reprend.

p. 251
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(Orient et Occident, l'ambassade de Liudprand, représentant Otton II, à Constantinople, 968).

Liudprand demeura à Constantinople de juin à octobre 968. Il échoua dans sa mission et écrivit à son retour le rapport le plus hostile et le plus malveillant jamais écrit par un visiteur de la cour. (...) Les aspects les plus insidieux de son histoire tiennent à ce qu'il présente les points de désaccord naissants entre Est et Ouest (par exemple, l'héritage romain et les divergences doctrinales) comme des conséquences de la culture décadente des Byzantins. Il se présente toujours comme raisonnable, et les courtisans comme hautains, dans ses débats avec eux. La voix de Liudprand a été intériorisée chez beaucoup de spécialistes modernes de Byzance. On pourrait la confronter à l'image positive de cette même cour dans les poèmes de captivité d'Abû Firâs, cousin de Sayf al-Dawla, mais ils ne sont pas lus en Occident, ce qui ne nous étonnera pas. Le poète arabe raconte ses conversations avec l'empereur, et il fut frappé par sa bonne connaissance de l'islam.

p. 59
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Procope est probablement le seul auteur antique à critiquer la persécution religieuse contre des groupes auxquels il n'appartient pas et que, sûrement, il n'aime pas. Les arguments antiques en faveur de la tolérance étaient avancés par ceux-là seuls qui étaient attaqués, et uniquement en faveur de leur propre groupe, ou par des empereurs comme Constantin qui persécutaient des groupes hérétiques quand ils ne coopéraient pas. L'auteur de l'Histoire Secrète ne cite même pas le groupe auquel il appartient, bien qu'il y fasse allusion. Sa phrase, "les humains n'ont pas même une compréhension suffisante des choses humaines, que sauraient-ils de la nature de Dieu ?" rappelle ce que Platon fait souvent dire à Socrate, surtout dans l'Apologie (20d-e). Citer un philosophe accusé d'impiété dans une remarque sur la nature de Dieu mérite réflexion : elle associe Procope aux philosophes platoniciens persécutés pour impiété au VI°s, ce qui conduit notre recherche sur les croyances de Procope dans une direction entièrement différente de celle qui est prise d'habitude.

p. 171
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La distinction formelle des textes entre historiographie et philosophie, étudiées comme des disciplines séparées, a dissimulé le fait que la plupart des historiens antiques étaient des théoriciens de la politique à part entière, ou encore, comme ce fut le cas de beaucoup d'historiens de l'antiquité tardive et de Byzance, qu'ils tiraient leur inspiration de la philosophie et principalement de Platon. Que nous le voulions ou non, la philosophie est au coeur de l'historiographie classique, et si nous ne sommes pas capables de distinguer entre le récit des faits et l'imitation de Platon, nous risquons de parler à contresens de nos sources. Les "Guerres" de Procope, notre source principale pour le VI°s, se révèle en beaucoup d'aspects de la philosophie platonicienne déguisée.

p. 117
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Ceux qui s'appuient sur le témoignage de Procope sans distance critique, autant que ceux qui le voient comme isolé de son propre monde, rejettent ses écrits au prétexte qu'ils sont de la "rhétorique". Ce faisant, ils reconnaissent tacitement que leur but n'est pas de comprendre son travail selon ses propres termes. Qu'apprenons-nous sur ses méthodes du fait que des passages entiers des "Guerres" sont tirés mot pour mot de la République de Platon ? Autre point important, qu'est-ce que cela nous apprend sur les modes courants de lecture, que ce fait n'ait pas été remarqué ? La spécialisation universitaire a joué son rôle ici. Les lecteurs modernes de Procope sont d'ordinaire des historiens de la société, de l'armée ou de l'art, dont la familiarité avec les aspects littéraires de l'historiographie antique est limitée, et la culture philosophique inexistante. Pourtant Procope a signalé son allégeance fondamentale à ces deux traditions à travers la forme et le contenu de ses travaux. Ignorer cela, c'est comme essayer de lire St Augustin en ignorant la Bible.
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Règne de Michel VII Doukas, 1071-1078 : effets humains de la perte des provinces.
La conquête normande de l'Italie du sud avait déjà disloqué des familles qui s'étaient réfugiées en Grèce. De manière étonnante, la conquête normande de l'Angleterre provoqua aussi un flot de réfugiés anglo-saxons dispersés par le régime raciste de Guillaume le Conquérant, et beaucoup d'entre eux firent le voyage de Constantinople pour s'engager dans la garde varègue.* Là, ils auraient l'occasion de combattre encore les Normands, sur un théâtre des opérations différent. Les années 1070 furent un temps de fuite de masse que nous pouvons à peine apercevoir dans nos sources, qui se focalisent sur quelques individus.

*Varègues : nom des mercenaires scandinaves qui entraient au service personnel de l'empereur de Constantinople, sa garde prétorienne.
Premières invasions turques : 1. Les Petchénègues.
Aux IX° et X°s, les Petchénègues, qui parlaient une langue turque, et étaient classés par l'ethnographie byzantine parmi les "Scythes" nomades et sauvages, étaient un pouvoir dominant dans les steppes au nord de la Mer Noire. Leur réelle organisation politique et sociale, leur profil culturel, sont difficiles à retrouver dans la rhétorique des textes. Les Khans petchénègues pouvaient lever de grandes armées et concluaient des alliances, ou faisaient la guerre avec leurs voisins, y compris les Romains* et les Rus'. A l'intérieur des limites de leur territoire, il étaient principalement des éleveurs qui contrôlaient les routes commerciales. Vers le milieu du XI°s, ils avaient de graves difficultés avec les Rus' et un grand nombre d'entre eux était repoussé vers l'ouest, vers la région danubienne, par les Oghuz (autre confédération turque en migration depuis l'Asie Centrale). Dans les années 1040, ce grand pouvoir territorial était au terme de son déclin, mais pouvait encore enfoncer les défenses frontalières des Romains* et même battre des armées impériales. Les sources du XI°s nous les décrivent comme bestiaux : nomades buveurs de sang, vivant comme des animaux, et inorganisés. Mais même ces textes nous montrent des infanteries, une discipline, et une agriculture petchénègues.

*Romains : l'historien prend le parti de nommer l'empire "byzantin" du nom romain qu'il se donnait à lui-même.

p. 192
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[Réécritures : la coupe de Nestor]
Ceux qui étudient l'antiquité tardive ont donné au mot classicisme une connotation négative. Il évoque le manque d'originalité, l'imitation stérile, la banalité. On n'a pas envisagé la possibilité que cela puisse être une force, et que des auteurs comme Procope aient pu apprendre de leurs modèles classiques, et les avoir utilisés comme des miroirs reflétant leurs propres conceptions à travers un réseau serré d'allusions et de parallélismes. Comme l'a dit Sénèque,

"celui qui écrit le dernier a la meilleure part, car il trouve déjà à sa disposition des mots, qui, dirigés dans une autre direction, montrent un nouveau visage. Et il ne les dérobe pas, comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre, car ils sont la propriété commune." (A Lucilius, 79.6)

Procope était loin d'être le premier à écrire de cette façon. Le classicisme naquit en même temps que les oeuvres classiques, au VIII°s av. J.C. La première inscription grecque versifiée connue, sur la fameuse Coupe de Nestor, contient une allusion à Homère. La plaisanterie sur cette coupe ne peut être comprise que si l'on connaît le passage de l'Iliade auquel elle fait allusion. C'est presque

"le plus ancien exemple d'écriture alphabétique européenne et, en même temps, la première allusion littéraire, une chose extraordinaire" (Powell).

Les Grecs ont écrit ainsi au cours de toutes les périodes de l'antiquité, et si Procope fait de même, ça n'a rien à voir avec le fait qu'il vivait à une époque "tardive" de l'empire romain. Platon lui-même était "tardif" à côté d'Homère et d'Hésiode, à qui il fait des allusions incessantes. Déjà, au V°s av. J.C., le poète épique Chérilos de Samos écrivait des vers où il se plaignait, avec des allusions à Homère, que tout avait été déjà distribué, que les arts avaient atteint leurs limites, qu'il n'y avait nulle part où aller et plus rien à dire. La tradition classique a fait du classicisme dès ses débuts, selon les procédés que nous observons chez Procope. Nous ne devons pas hésiter à l'enrôler parmi les historiens classiques, et parmi les meilleurs.

p. 60
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Procope n'hésitait pas non plus à citer l'Ecriture dans le même but. Au point culminant du triomphe de Justinien dans "Les guerres vandales", pendant la scène de l'hippodrome déjà citée plus haut, juste avant la prosternation de Gélimer [roi vaincu des Vandales] et Bélisaire [le général vainqueur] devant l'empereur , il met dans la bouche du roi abasourdi des Vandales un vers tiré "de l'Ecriture des Hébreux, 'Vanité des vanités, tout est vanité'". Gélimer ne pensait pas ici à son propre échec à résister aux armées impériales. Procope nous dit que le roi se mit à répéter inlassablement ce vers "dès qu'il entra dans l'hippodrome et vit l'empereur siégeant sur son trône élevé (bêma hypsilon) et le peuple debout de chaque côté." (4.9.11). Rien ne pouvait dégonfler plus ironiquement les hautes prétentions d'un dirigeant chrétien au sommet de son pouvoir et de sa gloire que ce vers de l'Ecclésiaste 1.2. Procope se souvient peut-être des cortèges triomphaux de l'ancienne Rome, quand un esclave se tenait derrière le général victorieux et lui rappelait sans cesse qu'il n'était qu'un mortel. Gélimer jouerait ici le même rôle. Quoi qu'il en soit, nous devons aussi nous étonner du choix par l'auteur du mot "élevé" pour décrire le siège de Justinien. "Elevé" (hypsilos) était une manière courante de parler de Dieu. De plus, le siège impérial à l'hippodrome était habituellement appelé le "kathisma", pas le "bêma", et nous savons par une chronique contemporaine que Justinien l'avait fait reconstruire en 528, "en l'élevant encore plus et en le rendant plus brillant encore". Le bêma était l'endroit de l'église qui abritait l'autel et était considéré par les chrétiens comme "le Saint des saints". Donc la parole de Gélimer, "Vanité des vanités" - tirée d'un texte sacré - devait viser bien plus que les ambitions mondaines de l'empereur.

p. 141
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(540, invasion perse de la province romaine de Syrie).
Après avoir vu les prétentions romaines de Chosroès et les manières perses de Justinien, retournons aux événements de 540, où beaucoup d'endroits montrent l'équivalence des deux rois aux yeux de leurs victimes. Ayant quitté Apamée, Chrosroès avança vers la ville de Chalcis, exigeant une rançon et la reddition de la garnison. Procope fait cette remarque étonnante : "Les gens de Chalcis étaient terrifiés par les deux rois" (2.12.2). Pour se protéger de Justinien, ils cachèrent la garnison et nièrent son existence ; pour apaiser Chosroès, ils collectèrent péniblement une masse d'or à la hauteur de sa cupidité. Cet épisode implique une interprétation globale des guerres orientales. Nous sommes incités à envisager la possibilité que la guerre ne se faisait pas entre Rome et la Perse, mais entre les deux rois d'un côté, et les habitants des cités orientales de l'autre. Les vraies victimes de guerre étaient ceux qui se trouvaient pris entre les deux tyrans. Dans une étude séparée sur les guerres de Justinien, j'essaie de montrer que Procope insinue dans "La guerre de Perse" ce qu'il dit ouvertement dans son "Histoire secrète" : la responsabilité de l'invasion de 540 incombe autant à Justinien qu'à Chosroès. Les deux hommes collaborèrent dans la dévastation. Procope sympathise avec tous ceux qui souffrirent entre les mains des rois, en Afrique, en Italie, dans les Balkans, en Orient, sujets de Rome ou de ses ennemis. Procope ne surestime pas la souffrance des Romains par rapport à celle des autres. Les commentateurs modernes n'ont malheureusement jamais examiné le fait que chacune des "Guerres" se terminait mal. L'idée directrice de Procope serait assez proche de ce que nous appelons humanité.

p. 126
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Les byzantinistes en particulier ont l'habitude de traiter les récits historiques comme des "sources" seulement, et de les subordonner aux impératifs de l'histoire sociale, militaire ou politique. L'objectif des "études de sources" est d'ouvrir la voie à de nouvelles recherches historiques. Cette attitude dérive en grande partie de la piètre opinion que les byzantinistes se font des textes qu'ils étudient, problème que nous aborderons plus bas. Les ambitions littéraires des auteurs byzantins sont souvent traitées par le mépris et considérées comme des déformations qui gênent la recherche de la vérité historique. De telles attitudes empêchent une histoire intellectuelle de se faire et conduisent à des contresens profonds sur les sources sur lesquelles les travaux modernes, soi-disant épurés, sont fondés.

p. 13
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Ainsi, d'où Byzance a-t-elle hérité cette conception de la collectivité qui ne se réfère pas seulement à la société au sens large, à la sphère politique, au peuple dans sa participation à la cité, aux affaires de l'état, et à l'état lui-même ? La réponse est : de l'ancienne Rome, dont Byzance est la descendante directe selon une filiation ininterrompue de continuité politique et idéologique. La "politeia" byzantine n'était qu'une traduction du latin "res publica."

p. 19
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Laonikos en tant qu'historien ottoman ancien.
Les "Histoires" ont beau aller de la Grande-Bretagne à la Mongolie, Laonikos fut d'abord et avant tout un historien des Turcs ottomans. Son récit suit l'ordre de succession des sultans, et la plus grande part de ses informations concerne les Turcs, est relatée du point de vue turc, y compris la prise de Constantinople. Cependant la spécialisation universitaire et les barrières linguistiques ont relégué Laonikos dans le domaine byzantin, de sorte qu'il demeure sous exploité par les historiens du premier état ottoman, même quand il apporte des éléments de preuve qui seraient décisifs dans les débats actuels, s'il était mieux connu.

Traduit de la p. 126
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Les études byzantines fonctionnent à deux niveaux. Les spécialistes produisent d'excellents travaux sur tout sujet particulier où va leur attention, mais quand ils doivent dire quelque chose sur le fonctionnement global de cette culture, les fondations sur lesquelles elle est bâtie, et les idéologies acceptées de tous, ils continuent de s'appuyer sur des stéréotypes datant des années 30 qui furent formulés de façon discutable et qui survivent jusqu'à nos jours car ils sont recyclés sans critique. (...) Ces concepts ont placé des masques sur le visage de Byzance, et il est temps de les arracher, couche après couche.

Traduit de la conclusion, p. 199

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La prose de Laonikos, comme celle de Thucydide, est austère et dépourvue de sensationnalisme, et il copie bien des formules et expressions de lui. Il garde aussi une distance émotionnelle par rapport aux événements. Il n'y a aucune lamentation sur la chute de Constantinople, racontée factuellement et dépourvue de la moindre mise en évidence, au début du livre 8. Il dit seulement, "cette calamité semble être la plus grande qui arriva dans le monde, à cause de l'excès des souffrances qu'elle causa" (8-30), mais c'est le seul commentaire ; il passe rapidement aux affaires internes des Ottomans. Il dit la même chose, en se contredisant, pour ainsi dire, à propos de la chute de Sébastée (Sivas) aux mains de Tamerlan (1400) : "On dit que les malheurs subis par cette cité surpassèrent tout ce qu'une ville avait jamais supporté" (3-46 ; d'autres récits rapportent des atrocités à cet endroit). Sébastée n'était même pas, alors, une ville grecque.

p. 30
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La subversion était l'une des fonctions principales de l'ethnographie tant dans l'Antiquité classique que dans l'Antiquité tardive : il s'agissait d'amener les lecteurs à voir sous un autre jour les représentations dominantes de leur société, à mettre en question des sujets considérés comme indiscutables, sans leur faire pour autant épouser unilatéralement les opinions de l'historien... Discuter de l'inconnu pouvait ébranler l'esprit, le dégager des entraves du familier et de l'attendu. L'émerveillement et la surprise étaient des moyens rhétoriques communs pour exprimer de "nouvelles" idées. L'étranger devenait ainsi pour l'auteur une opportunité d'élaborer des versions alternatives de sa propre société et de ses idéaux.

p. 24
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Vie politique à Constantinople au XI°s : la dynastie paphlagonienne (1027-1042).
Politiquement, le régime des Paphlagoniens est intéressant à plus d'un titre. D'abord, il révèle l'autorité des institutions impersonnelles dans la Romania*. Cette famille était d'humble origine et s'empara du pouvoir de manière obscure et indirecte. Pourtant ces fils de rien occupèrent des postes d'état, sans la moindre faction sociale et économique pour les soutenir, ils exigèrent la loyauté envers l'empire, et furent obéis, même à contrecoeur. Ensuite, cette loyauté s'évanouit dès que leur popularité disparut -- c'était le risque que tous les empereurs couraient. Parmi les requins qui nageaient autour du trône au début du XI°S, généraux vainqueurs et élites fomentant des complots, il est intéressant de voir que ce fut le peuple de Constantinople qui détruisit le premier un empereur, ouvrant les vannes à une marée d'instabilité politique. Bien sûr, du point de vue du peuple c'était Michel V qui était le provocateur quand il déposa Zoé. Le peuple aimait défendre les droits des héritiers dynastiques, ce qui explique, comme nous l'avons vu, pourquoi les jeunes empereurs Basile II et Constantin VII survécurent à leur enfance. La défense des femmes et des enfants donnait au peuple un levier pour contrecarrer les ambitions des généraux et des courtisans. En fait, ce levier fut aussi employé contre Zoé elle-même quand le peuple insista pour qu'elle partage le trône avec sa soeur Théodora. Un régime pouvait faire peu de chose contre le pouvoir collectif du peuple. Non seulement les Paphlagoniens révélèrent que n'importe qui, pratiquement, pouvait devenir empereur, mais qu'un empereur pouvait être détruit par n'importe qui, ou en l'occurrence, par tout le monde. Les événements de 1042 furent un pivot entre la dynastie macédonienne et les nouveaux hommes forts qui revinrent alors d'exil.

*Romania : tel est le nom que l'empire byzantin se donne à lui-même et que l'historien emploie.

p. 178
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(Le "Commonwealth" byzantin).

L'adoption de formes byzantines par les royaumes émergents d'Europe ... a été étudiée à fond. Elle ne doit pas être rapportée, toutefois, à un contrôle ou à une domination culturelle. Des rois étrangers ont bien pu imiter les usages byzantins, mais n'étaient pas conscients d'appartenir à un quelconque "Commonwealth byzantin", conception moderne fondée sur des préjugés slavophiles et orthodoxes. Les Rus', convertis à l'orthodoxie byzantine, n'étaient pas plus proches de Byzance que les Allemands ottoniens, qui singeaient les formes impériales romaines. Les deux recherchaient des fiancées impériales et parfois combattaient contre l'empire. On salue dans la conversion des Rus' un des plus grands exploits de Byzance, mais ces mots sont trompeurs et influencés par des vues rétrospectives, à savoir la division ultérieure du monde chrétien entre royaumes catholiques et orthodoxes. A l'époque, la conversion fut un choix et un acte de Vladimir et de sa cour. Les Byzantins eux-mêmes n'y prêtèrent guère attention, ne les mentionnèrent presque pas dans leur littérature, et ne cessèrent pas de voir dans les Rus' des barbares, tout comme les Bulgares. Si l'église de Constantinople avait son mot à dire dans la nomination de l'évêque de Kiev, il n'est pas certain que cela donnait des avantages ou une influence à l'empereur sur les Rus'.

p. 151
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