(...) le Rôdeur fixait la lune, juste là entre la cime des arbres. Elle n'était pas encore pleine et sa forme rappelait étrangement la pupille d'un loup. C'était comme si l'œil de la nuit était posé sur lui, petite créature parmi des milliers d'autres.
Rien au monde n'était plus euphorisant que de sentir la terre meuble exploser sous nos pattes, d'entendre le vent qui sifflait à nos oreilles, d'avoir la tête et les muscles qui brûlaient comme s'ils étaient en feu. De courir comme si nous n'allions jamais nous arrêter, comme si hier et demain n'existaient plus, parce qu'il n'y avait que l'instant présent. Tout ça avec la profonde conviction de faire partie intégrante de cette terre que nous foulions, de pourvoir nous mêler à ce vent qui nous poussait à courir plus vite, plus vite encore. Comme si notre corps, notre âme et le reste du monde ne faisaient qu'un.
-Lana, ouvre les yeux. Regarde-moi.
Il y avait quelque chose d'impérieux dans son ton, et mes yeux s'ouvrirent d'eux-mêmes et allèrent se river aux siens. Ses iris avaient repris leurs teintes argentée [...].
Ma tête partit sur le côté. Une sensation de brûlure lancinante me traversa la joue tandis que des griffes lacéraient mes chairs. Un son strident me vrilla les tympans. Je restai un instant immobile, figée, abasourdie. Quand je relevai les yeux, elle se tenait devant moi. Une boule frémissante se hérissa alors dans mon ventre, et je sentis mes propres griffes s'allonger. J'eus du mal à réprimer l'envie de les lui enfoncer immédiatement dans la gorge.
J'écrasai mes mains sur mes oreilles et hurlai plus fort. Je ne voulais pas entendre l'orage, la pluie, le tonnerre. Je ne voulais pas entendre les plaintes, les pleurs et les supplications. Je ne voulais pas entendre la souffrance et la mort. Je ne voulais pas entendre.