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Critiques de Aymen Hacen (2)
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Le gai désespoir de Cioran

"Ni les sociologues ni les psychanalystes ne peuvent remédier à ce déracinement originel, seul le travail de l’écriture avec les lumières qu’elle jette sur les ombres de l’être permet au "penseur tragique" d’affirmer sa propre identité : "On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela est rien d’autre.""



Dans cet essai pertinent et fluide, Aymen Hacen nous montre en quoi le désespoir de Cioran est aussi un gai désespoir. En effet, et contrairement à ceux qui voient dans les écrits du penseur un pessimisme irréductible et inconsolable, Cioran nous plonge dans le tragique et cela le rapproche beaucoup de Nietzsche.

D'emblée et pour éclairer sa position, l'écrivain tunisien convoque Clément Rosset, lequel se situe dans la lignée de Cioran. Le titre d'un de ses ouvrages, La logique du pire, est en effet un écho "au mécontentement" de Cioran.

Du tragique à l'écriture fragmentaire en passant par la gnose, à la gaieté et à l'humour, ainsi qu'aux moralistes et aux influences diverses de Cioran, Aymen Hacen nous propose une lecture très éclairante de l'oeuvre et de l'homme qui ici, ne font qu'un.



Car "Loin des bancs de l'université, des chaires et des discours officiels, Cioran revendique le statut d'un "Privat Denker" - un penseur privé - qui traduit ses "expériences personnelles", qui, émancipé de tout souci de continuité et de logique, se contredit, et surtout, qui voudrait "faire de la philosophie dans la rue, tresser ensemble la philosophie et la vie.""

Tout un programme.......



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Le gai désespoir de Cioran

Essai

Brèves réflexions sur Cioran, sur cet autre discours de soi-même

Par Yosr BLAIECH



L’ouvrage de Aymen Hacen intitulé Le Gai désespoir de Cioran est une étude entamée d’abord au niveau d’un mémoire de maîtrise soutenu à l’ENS en 2004. Le jeune chercheur a repris ensuite cette étude pour en faire un ouvrage dû à cet attrait particulier qu’exerce sur lui Cioran, auteur de De l’Inconvénient d’être né. On lit d’ailleurs dans la dédicace : «A ma mère, encore et toujours, malgré mon regret d’être né». Et il précise dans l’introduction : «Et si l’on nous

demandait de justifier notre choix d’avoir consacré cette étude à Cioran, nous dirions que c’est ce que nous appelons aujourd’hui son ‘‘gai désespoir’’, que nous ressentions instinctivement depuis plusieurs années comme une obscurité lumineuse ou un fiel robotatif, qui est à l’origine de notre passion pour lui».

Plus qu’une recherche académique, le travail de Hacen est l’exploration d’une pensée, le lieu d’une filiation. Le titre de l’étude déroute tout en produisant un effet d’écho. Il est en fait une sorte de collage dont le résultat est un oxymore qui provient d’une association entre le Traité du désespoir de Kierkegaard et Le Gai savoir de Nietzsche, ce clin d’oeil est dû à la «nature» même de l’écriture de Cioran qui relève en même temps de la philosophie et de la littérature. Aymen Hacen semble fortement marqué par De l’Inconvénient d’être né et par les autres écrits de Cioran qu’il fait dialoguer avec les textes de Nietzsche, Kierkegaard et d’autres philosophes, il est précisé à la quatrième de couverture: «... Cioran retient de Kierkegaard son existentialisme mélancolique à la lumière duquel il a pu dialoguer avec Dieu et repenser toutes les catégories théologiques, morales et sociales nées du christianisme. De Nietzsche, qui est comme lui fils de religieux, Cioran a gardé sa ‘‘généalogie’’ qui a pour ambition de couper les illusions à la racine, ainsi que son sens du mot cinglant qui apparaît dans l’écriture fragmentaire et aussi sa vie de philosophe libre et révolté qui a poussé ses idées jusqu’à la démence».

Le tragique de l’homme Le Gai désespoir de Cioran est une étude où la citation, parole de l’autre, relance le discours et donne un nouveau souffle à la réflexion. Il y est d’ailleurs fait référence à La Seconde main ou le travail de la citation d’Antoine Compagnon qui constate que la citation «travaille», «habite», «ébranle», «provoque», «déplace la force» de l’écrivain et le «poursuit» jusqu’à ce qu’il la «greffe» sur son propre discours. Antoine Compagnon est évoqué en ce qui concerne l’écriture de Cioran, mais le texte de Hacen est habité par la citation et illustre parfaitement ces affirmations. La présence insistante de celle-ci ne se justifie pas toujours par le caractère académique de son travail. En effet, dans une étude remarquable par sa précision où le souci de l’analyse explore parfois les détails infimes de l’écriture, Aymen Hacen semble procéder à une quête de réponse à des interrogations qu’il ne formule pas mais qui se lisent à travers le dialogue des citations entre elles et là où il cherche des réponses, le texte se rebiffe pour le mettre face à de nouvelles interrogations. Ainsi la question du suicide est posée comme un choix rejeté par le fameux texte de Camus extrait du Mythe de Sisyphe : «Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu’il y a d’irréductible et de passionné dans un coeur humain les anime au contraire de sa vie. Il s’agit de mourir irréconcilié et non pas de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. L’homme absurde ne peut que tout épuiser, et s’épuiser. L’absurde est sa tension la plus extrême, celle qu’il maintient constamment d’un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi. Ceci est une première conséquence». La position de Cioran est tout autre, note l’auteur, car il «fait fi de tout type d’engagement»; au contaire, ses propos sont cyniques, il avance : «Je crois au salut de l’humanité, à l’avenir du cyanure...». Cette citation en dit long sur la position de l’auteur des Syllogismes de l’amertume. Mais ce que l’étude essaie de démontrer, c’est que Cioran n’est ni nihiliste ni pessimiste, «le gai désespoir» est un état qui autorise au rire et à l’ironie face à la situation

tragique de l’homme. Cioran est d’ailleurs cité en ces termes : «... Je ne suis pas nihiliste, parce que le rien est encore un programme (...) On dit que je suis pessimiste, ce n’est pas vrai! Ces catégories scolaires sont grotesques. Je sais exactement ce qu’est le pessimisme. Mais, comme vous venez de le dire : il y a une différence fondamentale entre le pessimisme comme système et l’expérience quotidienne du pessimisme, qui naît tout simplement de l’expérience d’être un être vivant» (in Cahiers, 1957-1972, Paris, Gallimard, NRF, 1997, p. 782). Selon Aymen Hacen : «L’extrême lucidité de Cioran l’apparente au scepticisme de Montaigne, aux crises religieuses et mystiques de Pascal, au pessimisme de La Rochefoucauld, aux portraits de La Bruyère, à la révolte de Chamfort et aux réflexions avant-gardistes, Joubert sur la thérapie par l’écriture». L’écriture fragmentaire de Cioran serait, selon l’auteur de l’étude, à l’origine de cette parenté qui se vérifie à travers la variété de son discours. L’étude de Aymen Hacen, tout académiques qu’en furent les débuts, excède le cadre de la recherche scientifique pour devenir une quête personnelle de quelque chose qui demeure indéfini et pousse à l’écriture. Il s’agit d’un parcours initiatique à travers la bibliothèque.



Y. B.

(La Presse de Tunisie du lundi 31 décembre 2007)



Le Gai désespoir de Cioran,

de Aymen Hacen, Ed. Miskilani 2007, 181 pages, 12 D.

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