Citations de Benoît Cursente (23)
En tout état de cause, les marques essentielles de la ségrégation étaient gravées dans les esprits, inscrites dans les habitus, et non couchées sur le papier.
Le décret abolitionniste des Cortès de Navarre du 27 décembre 1817 parachève un processus de déségrégation légale engagé trois siècles plus tôt. En droit, il n'existe plus de ségrégation, comme il n'existe plus de cagots. La discrimination que subissent leurs descendants se situe désormais entièrement dans la zone grise des pratiques sociales contraires à l'esprit et à la lettre des lois mais échappant à l'action de la justice instituée.
L'historien des cagots finit par une frustration : il n'existe aucun livre de raison,aucune confession écrite laissée par ces exclus. Il lui faut donc s'arrêter devant les portes closes de leur univers intérieur. Seul un romancier pourrait imaginer un tel voyage et relayer une vérité historique par une vérité romanesque. Nous l'attendons. (p. 282)
Les agots ne sont pas des basques espagnols.
Des migrants venus du nord des Pyrénées, lâches et simulateurs : il est difficile de situer moralement plus bas les ancêtres des agots. On ne peut manquer d'observer que le discours de la chercheuse (Pilar Hors) épouse docilement l'idéologie franquiste. (p. 246)
Ainsi le Dr Cazenave de la Roche, qui signe en 1874 ces lignes *:
On sait, du reste, les services que l'anthropologie peut rendre à l'ethnologie et combien de fois la notion de race et de type d'un peuple a mis sur la trace de son origine. Et plus loin : Issus des Goths d'Alaric, croisé plus tard et confondus avec les Sarrasins d'Abdelrame et successivement mêlés avec les colons espagnols et arabes de la suite de Charlemagne, les cagots ont conservé le type constitutionnel de leur origine primitive, altérée sans doute par la misère des conditions d'hygiène déplorable, mais resté parfaitement reconnaissable.
(p. 241)
* Cazenave de la Roche "Coup d'oeil sur l'ethnologie et l'anthropologie des Cagots des Pyrénées"
De façon générale, les Lumières ne recourent guère au concept de race maudite. L'image du cagot malade de la lèpre est en régression ainsi que le résume en 1767 le juriste béarnais De Maria : Presque toute la province s'est désabusée du préjugé d'après lequel on tenait les cagots pour lépreux. (p. 200)
En 1747, Louis Daignan du Sendat, archidiacre du Magnoac, dans le diocèse d'Auch, mit ainsi fin, lors d'une visite pastorale, à l'obligation faite aux cagots de la paroisse de Guizerix de passer par une porte particulière :
... Pour abolir cette distinction [ il ] passa en sortant de l'église par la porte des capots, suivi du curé et des autres ecclésiastiques de la paroisse et ceux de sa suite. Le peuple voyant cela les suivit aussi, depuis lequel temps ont passé indifféremment par l'une ou l'autre porte. (p. 174)
L'ambition première de ce livre n'est pas de résoudre l'énigme des cagots. Elle est de répondre à la question suivante : de quelle façon, avec quels résultats et quelles limites est-il aujourd'hui possible de construire, à propos des cagots, un savoir conforme aux exigences de la discipline historique ? (p. 5)
... au soir du XVII ° siècle, au plus sombre d'une période placée sous le signe de l'absolutisme et de la crise du petit âge glaciaire. Le ferme soutien accordé par l'Etat monarchique français aux cagots passé 1638 répond tardivement à celui que, sans plus grand effet, la haute Eglise et les officiers royaux apportaient en Navarre à la cause des agots depuis le XVI ° siècle. (p. 149)
La documentation atteste en différents endroits des cagots en charge de la fabrication des cercueils et des potences. Cette mission, qui renvoie au tabou du sang et de la mort, a pu être combinée avec celle de bourreau.
"Ils devront vivre de leur métier de charpenterie. Ils ne devront pas aller pieds nus parmi les voisins. Ils ne devront pas entrer au moulin pour moudre, mais passer le sac au meunier à la porte donnant sur la meule. Ils devront demander l’aumône et faire la quête dans chaque maison en reconnaissance de leur état de crestians. Quand ils iront travailler dans la ville, ils apporteront leur gobelet dans lequel ils boiront afin qu’ils ne mettent personne en péril, et ils n’utiliseront pas ceux dans lesquels les autres voisins boivent. Ils auront à se mettre au service des voisins et à travailler de leur métier pour eux avant tous les autres, pour un salaire journalier raisonnable. Ils n’iront pas laver aux fontaines ni dans un lavoir où les voisins du lieu lavent, ni fréquenter les autres lavandières du lieu en faisant leur lessive ou leur vaisselle."
(Acte notarié)
Fabricants institués des cercueils et des gibets, les cagots incarnent la répulsion de la mort (...) Le bois du gibet renvoie à la crucifixion et donc à l'indélébile souillure de complicité de déicide. Mais est invoqué, en sens inverse, l'aspect sanitaire de ce matériau : le bois était reconnu comme réfractaire à la transmission des maladies et donc de l'infection dont les crestians étaient réputés porteurs.
Et de souligner aussi que, dans le Sud américain, la ségrégation n'est pas née au temps de l'esclavage, mais après l'abolition, afin de recréer autrement la différence.
Mais scripta manent : le thème des agots descendants de cathares demeura une référence centrale tout au long de l'histoire de cette minorité et ce, jusqu'à nos jours. (p. 129)
Au premier regard, la réalité sociale de l'exclusion semble prolonger celle des siècles précédents, alors même que la façon de désigner les exclus fait mutation : passé 1550, le vocable cagot prend le pas sur celui de crestian. (p. 111)
Dans le Béarn de Gaston Fébus : un dense semis de crestianies
...honneur donc à cette principauté et à son seigneur, le glorieux Gaston Fébus ( 1343-1391) qui nous a légué, en réponse à un appétit fiscal jamais assouvi, une inestimable documentation. (p. 76)
Crestian / cagot = charpentier : une équation à multiples inconnues
Les interprétations fonctionnelles se combinent ou se contredisent avec des considérations anthropologiques.
Fabricants institués des cercueils et des gibets, les cagots incarnent la répulsion de la mort, et nous voici de plain-pied avec la logique d'exclusion des eta japonais. Complémentairement, le bois du gibet renvoie à la Crucifixion et donc à l'indélébile souillure de complicité de déicide. Mais est invoqué, en sens inverse, l'aspect sanitaire de ce matériau : le bois était reconnu comme réfractaire à la transmission des maladies et donc de l'infection dont les crestians étaient réputés porteurs.
(p. 73-74)
Le processus de ségrégation se déclenche dès lors que les différences ne sont plus respectées, lorsque chacun sent son statut coutumier menacé et l'image sociale de soi avilie.
(p. 69)
A la suite de ces recherches, le premier crestian certifiable comme cagot est un certain Arnaud Guilhemet, qui vit vers 1395 à Lucq-de-Béarn. Celui-ci est le fils du crestian Peyrolet, époux de Condor, qui a lui-même pour géniteurs les crestians Arnaud Guilhem et Bonnassies, qui vivent vers 1370*. (p. 62)
* Bériac, op. cit. , p. 219 : cette seule restitution résulte du dépouillement de cinq registres de notaires et de la collation de treize mentions différentes.
XIII ème siècle marque l'aboutissement de cette sensibilité illustrée par deux saints illustres, François d'Assise et le roi de France Louis IX, pour qui le lépreux est une figure du Christ. Face aux lépreux, les fidèles de cette époque se trouvent donc partagés entre horreur et charité, mépris et amour. (p. 56)