Soirée rencontre à l'espace Guerin à Chamonix en présence de Sophie Cuenot, pour un hommage à Robert Paragot autour du livre : Paris camp de base
-Impossible de nous perdre [dans un brouillard opaque] ! Puisque le Mont Blanc est le point culminant de cette région, quand nous aurons atteint un point où ça commencera à redescendre, c'est que nous serons au sommet !
Il faisait très froid, je me souviens que les dernières longueurs de corde ont été assez pénibles. Nous avons deviné que c'était le sommet parce que, effectivement, ça commençait à redescendre. Un autre signe aussi, plus trivial, nous a laissé penser que nous étions au sommet : toutes les auréoles jaunes qui constellent le sommet du Mont Blanc, traces de la victoire des prédécesseurs...
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Après tout, pour arriver au sommet, je crois bien qu'il faut un tiers de muscle, un tiers de matière grise, un tiers d'amitié... et un peu de matériel ! Il y a des moments tellement chaleureux à un bivouac, à un relais, sur un sommet ! C'est alors que l'on profite pleinement du calme, calme d'une nature vraiment libre.
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Nous sommes à environ trois cent cinquante mètres au-dessus du pierrier, et les gens qui sont en-dessus de nous sont à trente mètres du pied de la paroi* !... Spectacle fort curieux.
Pendant que Robert se dirige vers cette fissure, je m'ennuie. Alors, pour passer le temps, je m'amuse à crier dans toutes les langues connues de moi « Pierres ! Pierres ! ». Aussitôt, je vois tous les spectateurs, qui d'ici m'apparaissent comme des fourmis, s'égailler sur les névés en courant comme des fous. Évidemment, rien ne tombe, mais quelle panique en bas !
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*Face nord de la Cima Ovest de Lavaredo, dans les Dolomites, extrêmement surplombante.
Le mal des rimayes, dans le jargon des alpinistes, est une étrange maladie ! En arrivant au pied de la paroi, le « malade » est pris d'une grande crise d' « alibite » : il est fatigué, ou bien il a mal au foie, ou bien il n'a pas le bon équipement, ou bien il a comme une douleur au pied, ou bien il y a un petit nuage dans le ciel qui annonce le mauvais temps, il pense à sa mère, à sa femme : en un mot, il abandonne. Cette « maladie » est d'autant plus grave qu'il n'y a que le retour qui puisse la guérir !...
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La volonté personnelle et la victoire sur soi, cette poursuite de ses propres limites, avec tous les risques que cela comporte, c'est sans doute la raison centrale de notre engouement. Ce n'est pas un violon d'Ingres, mais une nécessité, une drogue. Je peux dire sans exagérer que je suis en état de « manque » dès que je reste longtemps sans me mesurer avec les roches et avec moi-même. C'est que cette expérience essentiellement individuelle qu'est l'escalade (même en cordée ; lorsqu'on se trouve dans un passage particulièrement difficile, on est seul contre le rocher ou la glace et contre soi-même) constitue un affrontement permanent, où aucune partie n'est jamais jouée, où les dés ne sont jamais pipés, si du moins on s'astreint à une certaine éthique de la montagne.
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