Brigitte Jobin

Quand il n’est pas violent, j’ai droit à de gentilles attentions de ce genre. Des morceaux de fruits coupés dans des petits plats ou des repas soigneusement mijotés. D’un point de vue extérieur, j’ai l’air d’avoir un amoureux qui prend bien soin de moi. Comme les apparences sont trompeuses ! Si seulement les gens savaient… Pour lui, créer l’illusion qu’il est un compagnon parfait est d’une importance capitale. Souvent, il se sert de mon compte Facebook pour publier des photos de nous avec des mots tendres à son égard. Aux yeux de bien des gens, nous formons un couple idéal.

Son excitation passe par ma souffrance, et mes gémissements de douleur lui procurent une satisfaction qui me dégoûte au plus haut point. Chaque fois que ses poings se serrent avant d’atteindre mon corps, mes yeux se ferment, comme si le fait de ne pas les voir venir allait amoindrir la douleur. J’aurais souhaité avoir un répit en ce jour de l’amour, mais ce fut tout le contraire. Cet après-midi, j’avais rendez-vous pour ma première pose d’ongles depuis des années. Il tenait à ce que j’aie de longs ongles. Malgré ma vaine tentative de lui expliquer qu’avec mon travail, ce ne serait pas idéal, il est resté catégorique. Un peu avant l’heure du souper, nous sommes arrivés dans le stationnement de la Place Versailles. Avant même qu’on soit sortis de la voiture, il a commencé à monter le ton. J’ai tenté de faire valoir mon point de vue à nouveau, ce qui m’a valu du chantage et des insultes de sa part. — Si tu m’aimais vraiment, tu n’argumenterais pas. Toutes les femmes avec qui j’ai été avant toi avaient de longs ongles. Tes mains sont dégueulasses avec tes ongles courts. Les coups au visage, aux côtes et aux cuisses ont rapidement suivi. J’avais si mal, mais surtout tellement peur… Par réflexe, j’essayais de le calmer en le réconfortant, mais chaque fois que je m’approchais de lui, il me frappait à nouveau. Il hurlait et moi, je pleurais. J’ai pensé, l’espace d’une seconde, qu’il faudrait que je sorte de la voiture. J’ai jeté un œil à la poignée de la portière en me disant que je pourrais fuir à toute vitesse. Il a dû comprendre ce que j’envisageais, parce qu’il m’a aussitôt menacée : — Si tu sors de la voiture et que tu commences à courir, je vais te rattraper et te battre à mort. Mon corps est devenu incontrôlable. Je tremblais, je paniquais et je pleurais. Plus je tremblais, plus il criait. Il m’a ordonné de mettre mes mains sous mes cuisses pour cacher mes tremblements. Je me suis exécutée. Il a aussi exigé, comme chaque fois, que je mette mes lunettes de soleil pour qu’on ne voie pas mes larmes. Il m’a alors dit que nous partions chez moi, et je savais très bien ce qui m’attendait. Mes tentatives de négociation avaient suffi à alimenter ses pulsions destructrices.

Personne ne sait que la bague que je porte depuis quelques semaines m’a été offerte pour mes fiançailles. D’ailleurs, il avait été extrêmement irrité à la suite de la soirée au restaurant où nous nous sommes fiancés, puisque je ne lui ai jamais demandé de m’envoyer la vidéo de sa demande en mariage. Il aurait souhaité que je veuille montrer ce moment à mes proches.

Son regard change quand il est sur le point d’être violent, et c’est un regard sombre et menaçant qui a croisé le mien dans la voiture. Je n’ai pas dit un mot durant le court trajet de l’école à mon appartement ; mes tentatives pour désamorcer la situation par texto, plus tôt aujourd’hui, n’avaient visiblement pas fonctionné.

Retenir mes cris de douleur pendant qu’il me pénétrait sans délicatesse m’était pratiquement impossible. Au risque de recevoir plus de coups, j’essayais d’esquiver chaque fois qu’il s’enfonçait en moi. Je ne contrôlais plus mes mouvements et tout ce que je voulais, c’était qu’il s’arrête. Je pleurais de manière incontrôlable.

J’ai bien essayé de cacher la joie immense qui m’a envahie au moment où il a prononcé ces mots. J’étais tellement soulagée qu’une porte de sortie s’offre à moi avant que j’aie signé les papiers officiels au palais de justice.

Dans ses pires moments de folie, il exige même que je lui parle d’autres femmes pendant qu’il essaie d’atteindre l’orgasme. La liste des femmes qui ont nourri son excitation sans le savoir est longue. Par respect pour elles, je ne les nommerai jamais, et je garderai pour moi toutes les fois où son imagination a franchi, grâce à des images dégradantes de ces femmes, les limites de l’acceptable.

Je pense à toutes celles qui sont prises dans des relations semblables à la mienne et qui ne pourront pas compter sur leur entourage pour être écoutées, soutenues et entendues. J’ai mal pour elles, mais j’ai surtout mal de ne pas être capable d’agir, alors que moi, j’ai la certitude que je serai bien entourée le jour où je déciderai de mettre fin à cette relation.

En y réfléchissant, j’ai honte. Ces comportements ne sont assurément pas le signe d’une relation saine, je le sais fort bien… mais je crains d’être jugée, alors je n’en parle pas. De toute façon, avec qui je pourrais en discuter ? Dernièrement, il occupe tous mes temps libres. Mes amis, qu’il aimait tant au début, semblent maintenant le déranger. Un par un, il leur a trouvé les pires défauts et m’a subtilement, mais pas tant que ça, suggéré de ne plus leur parler. Bien que le temps me manque pour pouvoir les voir, je tente quand même de garder contact avec eux. Je reste cependant prudente dans mes propos quand je communique avec mes amis par texto, car il lui arrive de prendre mon téléphone pour regarder mes conversations. Ça aussi, je sais que ce n’est pas sain, mais je n’ai rien à cacher. J’ai l’impression que si je lui demande de respecter mon intimité, il sera encore plus craintif, et je veux à tout prix éviter que la situation s’envenime alors que je me sais irréprochable.

Cathy est une personne qui profite de la vie comme elle l’entend, et pour qui les filtres n’existent pas. Elle dit tout ce qu’elle pense au moment où elle le pense, et cette caractéristique bien à elle m’a toujours fait sourire. Avec elle, les fous rires sont au rendez-vous, et les anecdotes s’accumulent au fil de nos moments passés ensemble.