AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Camille Mauclair (8)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Le soleil des morts

Dans ce roman ''fin-de-siècle'', on suit un groupe d'artistes d'avant-garde ignorés ou rejetés par la majorité. Un aspect intéressant est que l'auteur a greffé à ses personnages les traits de personnalités parisiennes réelles de l'époque (fin du XIXe siècle). Le côté roman n'occupe qu'une moitié alors qu'une grande place est laissée aux réflexions sur les courants artistiques, le dilemme action versus contemplation passive, les questions sociologiques et philosophiques, etc. Certaines parties m'ont semblées plus barbantes comme ces quelques commentaires haineux dédiés à certains de ses contemporains et les moments où le ton paraît un peu suffisant. Mais d'autres sont vraiment captivantes, comme le chapitre VII qui présente une cinglante critique de la société de l'époque (et qui peut s'appliquer à bien d'autres) et de la déchéance et la décadence qui, semble-t-il, y régnaient. On voit ensuite en action des mouvements pour tenter de renverser la vapeur : anarchisme, socialisme et même quelques ferments d'extrême-droite. L'ensemble m'a surpris, et le roman est parsemé de moments vraiment intenses. Une belle découverte, donc ! Je n'avais jamais rien lu de tel auparavant.



Note : Je crois que l'édition la plus récente de ce livre se retrouve dans l'anthologie ''Romans fin-de-siècle'', Robert Laffont (Bouquins), 1999.
Commenter  J’apprécie          140
Le visage vert, n°31

Bon, je ne peux pas être objectif vu que je figure au sommaire. C'est un magnifique numéro, avec Arthur Machen à la proue, des perles de Maurice Renard et de Camille Mauclair, et d'un auteur complètement oublié, Pascal Mulot. La revue poursuit son travail savant, presque archéologique, avec toute la passion nécessaire. Et puis il y a eu ma découverte d'Yves Rémy et Ada Rémy. L'élégance, l'érudition au service d'une histoire étonnante à la chute réussie. Il est grand temps que je me précipite sur leurs œuvres!
Commenter  J’apprécie          40
Le soleil des morts

J’ai tardé à écrire sur Le Soleil des morts que j’ai fini de lire il y a une quinzaine de jours à l’heure où je commence à écrire cet article, non seulement car j’ai manqué de temps pour entamer sa critique, mais surtout parce que j’y sens un roman climatérique, sorte de chaînon manquant à ma compréhension de l’histoire psychopathologique des époques sociales, et plus exactement un témoignage rare, subtil, paradoxal et foncièrement coloré, plus profondément utile que son auteur n’aurait songé peut-être, lui qui vivait en une charnière qu’il ne pouvait pas deviner sans doute, s’agissant de l’essence d’une transition de l’esprit humain vers notre ère contemporaine, ouvrage que je dois par conséquent traiter, selon mon intuition, avec la plus extrême précaution d’analyse. J’entrevois même la difficulté de cet examen, tous le souci et le soin, avec la rigueur pénible dont j’aurais besoin pour transcrire une impression que je ne sais pas encore définir et dont la teneur inappréciable m’a fait différer, par volonté de m’y appesantir avec concentration, le moment d’en disserter, à l’issue notamment d’un travail déjà épuisant que je viens d’achever sur la nature sensorielle de la réalité.

Ce roman traduit un seuil mental et moral, seuil dont le franchissement ne connut ensuite aucun retour en arrière, battant poussé, porte close, et regards rétrogrades aboutissant à l’illusion d’un mur uniforme ou d’une béance panoramique. C’était un passage étroit, comme après sexe. L’espèce d’euphorie imbécile née de cet achèvement est le sombreux oubli d’un état antérieur. Il y eut longtemps le moment d’excitation croissante et des égards de performance, la contention dure vers un aboutissement d’explosion, résolution de l’effort, et ça dura jusqu’à la date de ce livre à peu près, puis s’effondra dans la stupeur énervée l’envie de persévérer dans la besogne amoureuse, de compter pour l’admiration d’autrui et de soi-même, d’atermoyer la jouissance – philosophie active du désir. L’orgasme crétin vint enfin qui termina tout en vidage, non sans l’aperçu gênant du halètement bête et le goût amalgamé du dormir. Plus de sève, plus de force. La société obtint, elle prit et s’anéantit brutalement dans la satisfaction béate, sorte de chute de la volonté après le plaisir entretenu de l’insatisfaction. Toute conquête ultérieure parut à la fois pénible et superflue, et tout éreintement déjà fait. Ce fut ainsi le temps de la recharge, qui risque de durer le temps entier du couple satisfait et désœuvré.

Je me comprends, pour l’instant. J’ai besoin de métaphore pour appréhender l’histoire à peine sensible. Dans la sexualité et dans l’orgasme se situe une image approximative de ce qu’on prépare et atermoie et de ce qui s’annule sitôt réalisé. C’est comme s’il ne fallait jamais, dans la vie et pour vivre, cesser de travailler pour un coït à venir.

André de Neuze, écrivain protagoniste, artiste de dilemme, supérieurement préoccupé par le devoir, rencontre Calixte Armel, en qui le lecteur avisé reconnaît Stéphane Mallarmé que fréquenta Camille Mauclair lui-même, en disciple. De Neuze, édifié par cette profondeur auprès de laquelle penchent déjà ses meilleurs confrères, fasciné littérairement par ce gouffre d’acuité des correspondances poétiques, et atteint dans sa tendresse filiale par cette placidité magnifique au mysticisme superbe et accueillant, déborde d’admiration et d’affection ; et cependant, il vit ses plus antithétiques émois d’amours, incarnés en la dualité de deux femmes, d’une part une grisante sensualité de théâtre aux volontés actives et aux effets électriques, d’autre part la fille d’Armel qui, artiste en son détachement secret et aristocrate dans sa pâle langueur, et pleine de gratitude pour l’idole sainte qui l’a élevée, s’est vouée corps et âme à l’assistance de son père. Le trouble naît de cette dichotomie fondamentale, presque élémentale : adoration de la féminité comme puissance d’attraction et de vie ou bien son culte comme idéalité spirituelle et héritage intellectuel.

Ce débat, stéréotypé, peut aisément agacer au-delà des figures préparées et des rôles : l’amour, quoique vraisemblable en cette disposition initiale, est dans les deux cas mensonger, irréel, excessivement corporel ou psychique. (On n’a jamais écrit sur l’amour ; jamais un récit n’a effleuré la consistance de l’amour généalogique et pur autrement qu’en alimentant une banque de clichés faciles et d’extrémités hypersensibles. C’est au point, tant ces mièvreries vaguéales racolent, complaisent et flattent, que j’aime encore mieux « l’amour » selon Sade.) Quand l’une des deux femmes crie logiquement à l’artiste qui ne sait être homme : « Vous en mourez d’être trop sensibles ! Que j’aimerais mieux un équilibre de sagesse et de volonté pure, une levée d’hommes aux yeux clairs, aux gestes mâles, violents, oseurs, capables de plier une femme comme moi, qui vous ai pliés tous ! […] Au milieu de votre groupe j’ai cherché des hommes, et je n’ai trouvé que des amants. » (pages 957-958), l’autre s’exclame au sujet de l’homme qui doute d’être l’artiste, le disciple : « Laisse-moi, père… laisse-moi… Eh ! bien, oui, je l’aimais, malgré l’autre femme… tu veux savoir, tu me forces… oui, malgré l’autre femme je l’aimais – et je savais qu’il ne l’aimait plus, et qu’il revenait pour moi, et je l’attendais… et c’est parce qu’il ne croyait plus en tes idées que je lui ai tout refusé, quoique tu m’aies lassée libre. Oui, parce qu’il n’avait plus ta foi, qu’il te quittait, c’est pour cela seulement que je lui ai dit que je ne voulais pas… et je souffre, oui, follement ! » (page 994) On voudrait plutôt que le protagoniste fût actif et viril, fier, dur, nietzschéen et apte à jouir de la femelle ardente, décorative et pourtant pas si bête, autant qu’il fût propre à convaincre d’un mot ferme la si sérieuse et froide intellectuelle qui suppose stérilement son maître paternel si parfait qu’elle ne peut entendre que, tout mallarméen qu’il est, il a peut-être besoin d’un contradicteur pour le prolonger et le provoquer plutôt que d’un zélateur pour ne faire que l’accompagner avec soumission. Pragmatiquement, on sent la consolation accessible : de Neuze satisferait l’une en la contraignant du corps et l’autre en la subjuguant de l’esprit ; faute d’y parvenir, avec cette analyse du moins se consolerait-il de ne les pas obtenir ou conserver, s’il refusait d’en arriver là, puisque c’est ce dont elles ont besoin. Hélas ! en songeur adepte des solutions de frustration, il est l’éternel éconduit qui aime ce qu’il ne peut avoir et qui ne se déclare que lorsqu’il est bien sûr de ne pouvoir agréer !

Je propose que cette intrigue sentimentale, cependant, ne soit pas l’essentiel édifiant du récit : ces intrigues de tergiversation sont, depuis Stendhal, Balzac et auparavant, des astuces déjà lues. Mais Le Soleil des morts est ce qu’on nomme un « roman à clefs », où les personnages sont les miroirs plus ou moins reconnaissables de personnalités littéraires qui ont réellement existé (voir le portrait en actes du sculpteur Rodin sous le nom de Decize, cité en fin de cet article). Il est encore assez inutile, de mon point de vue, d’enquêter sur la correspondance des portraits pittoresques avec ces hommes truculents que la postérité a presque tous négligés (on y découvrirait surtout que le sens de la couleur, chez les êtres, s’est considérablement atténué depuis, au point qu’en comparaison on ne reconnaîtrait pas un individu contemporain), il suffit d’entendre que cette fiction est un peu moins réaliste que réelle, qu’elle propose presque sans intention la fidèle transcription d’un milieu au sein d’une période, milieu de l’élite artistique au moment de son ultime expiration (« Qu’est-ce que l’élite ? Un groupe libre de volontés s’unissant sans se fondre. » (page 910)). On visite ainsi, comme un vestige vivant, l’agonie de cette élite délaissée, l’étouffement élitiste dans un souci intempestif largement ignoré, l’époque d’une fièvre bizarre de foule jaune au seuil de son dernier mécontentement d’individu gros de lourde besogne, qui ne comprend pas encore quelle perspective lui offrent les progrès du loisir, qui ne parvient pas à assimiler le rien où la condamne le divertissement neuf, et qui, habituée de trop longtemps à se conduire par le travail se révolte sans conscience précise dans une sorte d’absurde délivrance inconstructive et suicidaire.

Oui, c’est cela, Le Soleil des morts, la fin des élites et les commencements de la masse ; c’est l’obscurité lente qui s’éteint et le feu agité qui explose.

J’ai peut-être tout dit, en ces quelques mots ; l’essentiel, tout du moins – tout ce qui suit ne sera qu’explicitation et qu’allongement. On voit la germination paradoxale d’un grain noir et déchu, solitaire, bourgeonnant en une multiple récolte luxuriante autant que stérile.

Les vrais artistes d’un côté. Renfermés dans une chambre d’ascètes comme les derniers sympathisants d’un dictateur magnifique et déserté, perclus de questionnements subtils, ardus, abscons, argutieux peut-être, ils ont même, fatalistes et incrédules, jusques perdu le souhait de se faire comprendre et de plaire, même d’expliquer, à une multitude humaine sans principe qui s’est trop séparée de la race de l’élite pour en partager les préoccupations et les langages, les mystères éthiques et esthétiques et tout ce qui constitue l’apanage de chaque évolution humaine en une faculté de représenter durablement le monde avec perpétuelle altérité. « Avec l’espoir, les projets, les formules d’un renouveau, ils étaient la fin, les derniers annonciateurs d’un aspect inconnu de beauté, que la modernité au sang pauvre apercevait mais ne pouvait plus saisir. Et avec une obstination douloureuse, ils montraient les routes, s’y engageaient seuls, semblaient exilés par une époque piétinante qui fermait la porte derrière elle et qui ne voulait plus inventer. » (page 934) C’est la fraction supérieure et créatrice de la société, les démiurges en perpétuel travail, toujours à la recherche difficultueuse d’une innovation géniale, fraction des anciens guides et des antiques prophètes, qu’on se met à dédaigner comme des Juifs et exactement pour la même raison : leur hauteur humilie et fatigue, c’est cette même idée de peuple élu et intouchable qui induit l’impression d’un snobisme quand on tient surtout à s’ignorer attardé et qui s’oppose à la piètre compréhension contemporaine ayant commencé à s’alimenter, irrésistiblement et pour longtemps, de confort et de jeux dans une moralité avilie d’égalité à tout prix (« La démocratie a galvaudé jusqu’au livre. Il n’y a plus de livres, il n’y a plus que des bouquins. » (page 948) ; « L’enrégimentement des salons, avec leurs jurys, leurs diplômes, leurs intrigues, celle des journaux des coulisses, des librairies, réduisait les créateurs aux conditions de vente d’un produit manufacturé quelconque. » (page 950)). Une telle suprématie donne à voir par contraste toute l’affligeante stagnation des divertis qui préfèrent oublier l’admiration véritable et suprême plutôt que de considérer leur infériorité, sinon leur retard, sinon leur turpitude. « On ne veut pas de nous, c’est bien simple, parce que nous nous occupons de choses sérieuses, c’est-à-dire ennuyeuses. » (page 902) Cette foule décide alors logiquement de ne porter son engouement que pour des demi-grands, cultureux appointés, compétences de secrétaire, auxquels il n’est pas question d’accorder un mérite supplémentaire au labeur que leurs émoluments justifient déjà assez, par déni d’avoir tout bonnement cessé d’être capable de reconnaître la grandeur. « Une basse jouissance épanouissait la débandade démocratique sous l’œil de ses fonctionnaires, et s’il lui restait des besoins intellectuels, dont elle conservait l’apparence par vanité, elle s’en choisissait des pourvoyeurs dignes d’elle, vaudevillistes salariés, conteurs érotomanes ou scatologiques, cuistres pompeux ou ternes, chroniqueurs mignards ou prudhommesques. » (page 934) Cette illusion d’art entretient l’estime-de-soi par le sentiment de sa générosité : on est apte encore à distinguer, n’est-ce pas ? puisqu’il demeure des idoles, fût-ce des idoles à portée, des idoles de certaine vulgarité, des idoles populaires de carton ou de plâtre plaqué or ; pour mieux se défendre d’être devenu insensible et inintelligent, on feint encore de paresseux intérêts pour des formes d’art atténuées et populaires. « Par cette balance ingénieuse, les gens concilient à la fois leur désir de nouveauté et leur amour de la routine, et c’est là ce que la majorité appelle le progrès. » (page 903) Il s’agit d’une foule bovine, habituée, accoutumée, acclimatée à sa nonchalance, une foule torpide et stylée au rêve morne d’une réalité confortable que rien ne peut plus réveiller ; c’est la première foule de ce type dans l’histoire, je pense, foule qui ne peut plus réagir, pour qui la réaction c’est-à-dire l’acte, l’acte réel, l’acte réfléchi et constructif, est l’indice d’un effort donc d’un épuisement anticipé – c’est une foule qui renonce à essayer par crainte définitive de se faire mal. « Leurs œuvres […] s’enfonçaient comme des boulets dans la terre molle ; et il n’y avait ni bélier à soulever, ni assaut à donner contre ce mur de boue où s’enfermait la vieille société sourde, inerte, que l’insulte même ne dérangeait plus et qui vivait dans un ordre social imposé par des morts, dans l’à-vau-l’eau des formules, des cadres, des truismes, au petit bonheur de la déchéance. » (page 938) La façon dont ce roman présente ceci comme une sorte de scandale, même s’il s’agit d’un scandale mou, d’un scandale collectif, morbide et inéluctable comme une tuberculose ou comme une syphilis, illustre assez bien, je pense, la nouveauté du phénomène : quelque chose s’est passé, irrésistible, inflexible, pareil à l’adoption fatale d’une valeur paradoxale et lié à un principe d’inertie de l’évolution des civilisations, d’absolument remarquable et inédit ; ce n’est pas seulement une continuité, c’est une déchéance, une chute, mais consentie parce que perçue comme nécessaire, comme une conséquence poursuivie ou plutôt comme une inconséquence qu’il faut mener au terme dernier ; c’est le hoquet d’un artiste qui constate la mort de toute transcendance associée à l’idée de religion ou, si l’on préfère, de sacerdoce, au prétexte que l’accès à toute quintessence réclame un travail dont le désir, le goût et la valeur se sont exténués et lassés, rendus disparates et fastidieux, intrus. Le travail mental, dès ce moment, a cessé d’être une valeur pour la société, il commence à se présenter à la morale commune comme une anti-valeur ; on lui trouve déjà des arguments contre, on a besoin de le représenter, au moins par certains côtés, un vice ; on le transforme et on en fait une conception politique pernicieuse ; on s’en méfie avant peut-être de s’en indigner. L’art au sens exigeant de tradition et d’excellence, d’excellente tradition menant à l’instauration de nouveautés géniales et rares ; l’élite talentueuse est en tous cas une flagrante opposition au progrès des siècles : c’est, à bien y regarder, la prolongation de l’opposition déjà lointaine des classiques et des modernes, la conservation et conséquence du triomphe du romantisme accessible et débile, et l’anticipation de toutes les libertés absurdes à venir et des « arts » d’épate et de publicité.

En toile de fond omniprésente, Le Soleil des morts, c’est donc l’histoire de l’artiste qui, faute d’admirateurs dans une époque que des révolutions sociales ont rendue immensément vulgaire, annonce la mort de son métier, du moins la mort de son labeur dans sa dimension de partage et de don : il n’existe plus personne pour recevoir et pour récompenser le talent, il faut donc que son art se change en un enfermement double, l’épreuve à soi-même et le cénacle des rares confrères. Or, qu’advient-il de la conscience de l’artiste alors éclairée de l’insuffisance de son siècle ? Tant qu’il reste des créateurs de l’ancienne école, ceux du labeur et de l’excellence que la société ignore et dont l’entraînement stylé ne peut s’éteindre qu’avec la mort, il faut logiquement, psychologiquement, que leurs œuvres prennent la dimension absolument experte ed’une élite, puisqu’il ne s’agit plus désormais de faire preuve de pédagogie en s’abaissant à expliquer au Contemporain si évidemment grossier, abandonné irrémédiablement si loin derrière et refusé au moindre désir de se dignifier : plus d’excuse à des « assistances » de peuple, il s’agit d’aller, au sein de cette impression d’impuissance synchronique, directement au chef d’œuvre de la postérité, si elle devait exister – c’est une élite qui écrit pour une humanité à venir, à défaut d’une contemporanéité, et qui se sait destinée à l’insuccès, au mieux au succès posthume, c’est-à-dire pour l’heure à la pauvreté dure, injuste absolument, et au désespoir. « Et au-delà, l’immense incompréhension. Ses manifestations se limitaient ainsi dans un espace sans air ni lumière ; elle refusait la vie par orgueil, mais aussi comme le prisonnier cellulaire, par nécessité, et elle n’avait même pas à tenter de forcer les portes, car il n’y avait pas de portes ; rien, dans cette époque molle, ne menait à rien, le scandale faisait long feu, le cri restait sans écho, l’au-jour-le-jour cheminait pensivement vers le dernier jour. L’élite vivotait dans cette torpeur universelle ; ses poètes s’éditaient à leurs frais, ses romanciers casaient mal leurs romans, ses artistes, pour réaliser une toile ou une statue selon leur désir, modelaient ou peignaient des têtes de clients maussades et en essuyaient les observations impertinentes durant toute l’année. (pages 938-939) De là vient que ce qu’on nomme littérature fin-de-siècle présente ce caractère délicat, parfois hermétique et d’une subtilité extrême, qui signale le refus de toute entreprise de condescendance au lecteur, de l’aider à interpréter, de venir à sa rencontre et de l’accompagner, puisque justement il n’y a plus ni lecteur ni volonté populaire de s’élever au difficile de l’art, et puisque rien ne servirait, face à cet entêtement ignare collectif, à forcer comme au marteau l’inexpugnable abrutissement des gens. C’est ce qui fait que manifestement l’élite penche vers d’inaccessibles sophistications, tandis qu’un étiolement désabusé s’ensuit chez ces sublimes esthètes qui est la logique même de l’atterrement quand une action ressentie en soi comme nécessaire ne s’accompagne d’aucun soutien et qu’il faut que la création continue sans l’espérance d’une bonne nouvelle. « L’élite ainsi demeurait comme les Byzantins occupés de controverse minutieuses et savantes, dans un empire illusoire et exténué, cerné par le grand submergement des barbares. Elle prolongeait un art admirable et maladif, fin comme les visages de ceux qui vont mourir de langueur, et dressait dans la jouissance égoïste et bousculée de l’époque sa noblesse inutile et ses œuvres hésitantes, ne persistant que pour l’honneur. Elle eût dû s’imposer comme une féodalité, elle devenait une congrégation, mal tolérée, et tournait le dos à la vie. » (page 937). Cet état est une contingence d’abord où le succès populaire est dû à des vices qui font peuple et qui le flattent (« Rien ne rend sympathique comme une mutuelle ignorance de la syntaxe. » (page 905)), après quoi il devient un contraste procédant de cause à effet (« De l’affaiblissement organique et moral de la race résultait une distillation de la pensée, un examen impartial de toutes les choses que l’âme dégoûtait contemplait sans les désirer, une sagesse spéciale. » (page 937)), et à la fin il s’outre en une rivalité délibérée et provocante, en une réaction vengeresse (« Plus la foule délaissait les artistes, plus ceux-ci raffinaient leurs formules, spécialisaient leurs procédés, restreignaient leur vision, acharnés à de petits perfectionnements, enclins à l’hermétisme, transformant leur patriciat en cénobitisme, refusant la masse qui les refusait. »
Lien : http://henrywar.canalblog.com
Commenter  J’apprécie          20
Le visage vert, n°31

Cela faisait un bail que je n’avais pas chroniqué de revue – et par exemple Le Visage Vert : de cette excellente revue de littérature fantastique et décadente, je n’avais plus parlé en ces lieux interlopes depuis le n° 24… et nous en sommes au 31. Or Le Visage Vert vaut bien qu’on en parle – et ce numéro au très joli sommaire en témoigne assurément.







Dans ce numéro, nous avons onze fictions courtes, dont une pièce radiophonique due aux excellents Yves et Ada Rémy – il faut y ajouter un essai du toujours impressionnant Michel Meurger ; commençons par-là, allez. « Du côté des loups (V) : Garous et meneurs de loups littéraires – « Viens, allons vivre avec les loups » s’inscrit dans une série au long cours dont j’ai raté les précédents épisodes... En même temps, cet article abondamment annoté a un objet probablement plus précis que son titre à rallonge ne le laisse supposer, car les considérations tournant autour de l’historiographie, disons, de la Bête du Gévaudan, y occupent une place centrale. Cependant, au-delà, l’article envisage un certain nombre de cas de loups prédateurs, mangeurs d’adultes et d’enfants, en Europe occidentale essentiellement, et en s’appuyant le plus souvent sur de très obscures monographies d’histoire locale. On retrouve sans surprise, et avec un immense plaisir, dans cette étude, l’impressionnante érudition caractéristique des travaux de Michel Meurger, même si, pour le coup, elle a peut-être les défauts de ses qualités ? J’ai parfois eu l’impression que l’auteur plaçait peu ou prou toutes ses sources au même niveau – tout en concédant que, dans cette perspective historiographique, c’est une approche qui peut se tenir… Ajoutons aussi que l’article a une dimension vaguement partisane, peut-être ? Pour Michel Meurger, semble-t-il, à moins qu'il ne s'agisse... de littérature, les cas de prédations à l’encontre d’humains sont largement attestés, et bien plus que ne le prétendent les écologistes désireux de réintroduire l’animal croquemitaine par excellence ici ou là – il ne semble guère porter ces militants dans son cœur, à en croire quelques menues piques éparses… C’est peut-être ici, en fait, que la tendance à mettre toutes les sources sur un même plan me paraît plus particulièrement problématique – les archives, au fond, pouvant susciter les mêmes périls à cet égard que l’Internet saturé de fake news, etc., que l'on vilipende à bon droit à ce propos, mais le problème n'est pas si inédit qu'on le prétend parfois (ce sont ses proportions qui le distinguent). Michel Meurger est sans doute un chercheur trop accompli pour tomber dans ce navrant panneau, heureusement. Il y a quand même de gros délires dans le tas de ces sources, et, comme l’auteur l’analyse pour le coup très judicieusement, des biais politiques, philosophiques, religieux et moraux qui déforment les comptes rendus et leur confèrent une portée allant bien au-delà du simple fait-divers sordide – et l’étude de ces biais figure parmi les éléments les plus saisissants de cette communication, et peut-être les plus susceptibles d’extrapolations contemporaines. Car, avec ces menus bémols, demeure une belle somme d’érudition, très pointue, mais aussi très stimulante et tout à fait passionnante – Michel Meurger égal à lui-même.







Mais cet article, hors notices bien sûr, est la seule non-fiction de cette trente-et-unième livraison du Visage Vert – le reste consiste en nouvelles généralement assez courtes, s’il y a quelques exceptions notables ; et, comme souvent dans cette revue, on alterne auteurs français et étrangers, mais aussi et peut-être surtout actuels et plus anciens, dont certains sentent passablement la poussière, tandis que les noms connus sont mêlés d’autres bien davantage obscurs.







Commençons par les « vieilleries ». Et évacuons d’emblée la seule vraie fausse note, en ce qui me concerne, de ce numéro, à savoir « Le Mendiant – conte fantastique », très poussive nouvelle d’un très obscur auteur du nom de Pascal Mulot (rien à voir avec le bassiste, de toute évidence, eh). La plume de plomb et le rythme mal assuré du récit en rendent la lecture pénible, et il y a trop d’exemples plus enthousiasmants de cet archétype du cauchemar forestier dans la littérature fantastique (je vous reparlerai prochainement d’Algernon Blackwood…) pour justifier véritablement que l’on sorte ce conte maladroit de son carton.







Par chance, et sans vraie surprise, le reste est autrement convaincant. Ainsi la « Chinoiserie » de Sauphus Bauditz : tout est dans le titre, ou presque, et un lecteur chinois en ferait peut-être une attaque cardiaque, mais ce conte aux faux airs de fable, et pour le coup dépourvu de tout élément fantastique, s’avère très amusant – une aimable satire que l’on lit le sourire aux lèvres.







On atteint tout de même un tout autre niveau avec « N », un conte inédit du grand Arthur Machen. Cette nouvelle est assurément bavarde, surtout dans ses premières pages, où l’on dissèque la géographie insolite (ou pas toujours tant que cela) de Londres, tout en questionnant les souvenirs des promeneurs, ou, au même niveau, leur tendance à s’illusionner quant à ce qu’ils voient et choisissent plus ou moins consciemment de garder en mémoire. Mais la conclusion de la nouvelle, riche d’images fortes et de personnages joliment peints, compense sans peine cet éventuel défaut initial (qui justifie au passage de nombreuses notes, si pas exhaustives, car, pour le lecteur francophone, tout cela risque de s’avérer plutôt hermétique). Une magie opère, en définitive, fond et forme, qui convainc tout à fait. Machen était un grand auteur, et il serait souhaitable que son œuvre soit autrement disponible en français qu’elle ne l’est aujourd’hui (soit quelques recueils chez Terre de Brume, éditeur dont je ne sais jamais s’il est mort, vivant, ou les deux).







Mais, à propos d’auteurs à redécouvrir, il en est un ici qui a eu droit à quelques heureuses rééditions ces dernières années, notamment chez L’Arbre Vengeur et dans la collection des « Orpailleurs » de la Bibliothèque Nationale de France, et c’est Maurice Renard. Le Visage Vert est également de la partie, qui a édité, en même temps que sortait ce numéro, le recueil Celui qui n’a pas tué, que je lirai prochainement. Mais, en guise d’amuse-bouche, nous avons droit ici à deux très brèves nouvelles justement issues de ce recueil. « Hippolyte », avec son cadre militaire que l’on retrouvera plus loin chez Camille Mauclair, est un récit qui parvient étrangement à combiner le grotesque, l’émotion et la rêverie, et dont la conclusion soulève des perspectives enthousiasmantes en même temps qu'imprégnées d'une nostalgie irraisonnée mais d'autant plus délicieuse. « Une odeur de souffre » est un conte peut-être un peu plus convenu, mais la narration habile et les personnages hauts en couleur en rendent la lecture tout à fait agréable.







Maintenant, dans le registre antique de cette trente-et-unième livraison du Visage Vert, je crois en définitive que la palme revient à Camille Mauclair – que je ne connaissais guère, et vraiment très, très vaguement, qu’en tant que critique. Aussi détestable ait été le personnage et nauséabondes ses idées, demeure le fait qu’il savait écrire. Le premier de ses deux textes au sommaire de ce numéro, l’inclassable « Vie des Elfes », ne m’avait pourtant pas fait, initialement, une très bonne impression : on fait ici dans la littérature très chargée, et le risque de s’y étouffer n’est pas négligeable. Pourtant, une musique se met en place, insidieusement, les sonorités des phrases ravissent, et en conséquence le tableau de même – au sortir de ce poème en prose, si c’est bien de cela qu’il s’agit, nous avons effectivement la conviction d’avoir délicieusement erré, pour quelques paragraphes, dans les territoires enchanteurs mais aussi intimidants de la Faërie. Le meilleur est pourtant encore à venir, avec la très brève nouvelle qu’est « L’Évocation », récit de guerre étonnamment touchant, souvent cité semble-t-il, et qui m’a fait l’effet d’être peu ou prou parfait.







Et côté auteurs contemporains ? La récolte est peut-être plus inégale – si aucun de ces textes n’est le moins du monde déshonorant (encore une fois, le conte fantastique de Pascal Mulot est en ce qui me concerne la seule fausse note de ce numéro). Je dois toutefois confesser ne pas penser grand-chose de deux d’entre eux…







Et tout d’abord de « Quelques aspects de la cosmogonie et de la géographie du Fleuve, considérations sur sa Grande Encyclopédie », d’Yves Letort, qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste aux allures de projet démiurgique – typiquement, en fait, le genre de projet littéraire qui devrait me botter, mais je crains d’être passé totalement à côté de ce court texte, d’une prose que je devine très poétique, mais qui ne m’a jamais vraiment touché.







« L’Île morte », de Pascal Malosse, est un récit plus classique, qui puise dans divers modèles gothiques, décadents ou symbolistes, ce qui lui confère comme un parfum d’anachronisme pas désagréable. Mais j’en ai trouvé le style inégal, et le récit un peu trop convenu. Un peu trop médiocre, en somme, je suppose…







« Les Effigies », de Mark Valentine, m’a davantage parlé. Là encore, on ne réinvente pas l’eau chaude, loin de là, mais la narration est habile, et les images saisissantes, même quand la conclusion s’avère étonnamment prosaïque, ou du moins est-ce l’impression qu’elle m’a fait. Qu’importe : cela fonctionne très bien.







Mais, côté auteurs contemporains, la palme revient sans surprise aux excellents Yves et Ada Rémy. « Transsibériennes d’Armen Bertossian » n’est pas une nouvelle à proprement parler, mais l’adaptation inédite, sous forme de pièce radiophonique, d’une nouvelle inédite elle aussi titrée « Le Piano de Bertossian, sonate fulminante pour 10 bourreaux et 88 esclaves » (quel titre !). Le couple d’auteurs y met en scène une émission de radio très typée France Culture, où des musicologues devisent (agressivement…) à propos de l’œuvre d’un compositeur soviétique qui prisait beaucoup le train. La scène est parfois cocasse, et je suppose que les écrivains s’amusent bien à démonter l’office même de critique, mais, en fond, la destinée de Bertossian suscite des images fortes, et une ambiance très particulière s’instaure, qui conduit le récit jusqu’à une conclusion fantastique marquante. Le texte bénéficie aussi de l’érudition musicale des auteurs, dont la passion est sensible, et le résultat s’avère tout à fait séduisant. On n’atteint certainement pas ici le niveau des Soldats de la mer, mais cela n’est en rien un reproche, tant le niveau de ce recueil le place dans une catégorie qui lui est propre. Mais cette pièce fait plus que convaincre, elle enchante et ravit – bonne pioche, donc, mais on n’en attendait pas moins des excellents époux Rémy.







Bilan remarquable, donc, pour ce n° 31 de l’excellente revue qu’est Le Visage Vert – dont on louera par ailleurs la réalisation : beau papier, mise en page agréable, nombreuses illustrations très diverses et de bon goût, notices exhaustives… Le Visage Vert vaut toujours le détour, et qui en douterait ?
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
Commenter  J’apprécie          20
Trois Crises de l'Art Actuel

Camille Mauclair, dont la pénétration m’avait subjugué et beaucoup donné à réfléchir sur l’instant littéraire que traversa Mallarmé et toute la France fin-de-siècle dans Le soleil des morts (in : « Le Soleil des morts, Camille Mauclair, 1898 ou Le temps des impasses du renoncement aux élites ») ne me fait pas, dans ces diverses études sur l’art (études ne portant pas sur la littérature), une pareille impression de profondeur et de bouleversant recul, hormis un bon sens paternel et une logique bien accessible. C’est un homme qui semble avoir voulu inscrire sa hauteur critique et s’ériger en intermédiaire pour transmettre à des peuples une conscience artistique, être auquel le socialisme d’alors paraît communiquer des désirs d’universalité et des espoirs d’éducation vaste ; il y a de la générosité à se proposer comme traducteur éclairé des artistes aux amateurs. Il fait, pédagogue et distingué, pragmatique et littéraire, le travail du vulgarisateur soigneux qui explique les petites erreurs de son époque sur les grandes figures des arts – peinture et sculpture (dont il montre surtout que le peuple s’est trompé non tant par l’élection de ses artistes célèbres que par la justification dont il les élit : en somme et par exemple, il fallait bel et bien vénérer Rodin, mais il le fallait pour d’autres raisons) – et sur les thèmes problématiques relatifs surtout à un « moment » esthétique – les arts décoratifs, la question de la ressemblance, la beauté des rues, etc. –, et il disserte avec exactitude et intérêt, avec pondération et sensibilité, quoique sans révolution ni révélation étonnante, d’une perspicacité humble, douce, sérieuse et responsable. Il est manifestement pertinent et même doué pour tout ce qui relève du constat synchronique, de la description d’un état, intérieur et extérieur, du rapport de la réalité d’une intention et d’un résultat : il est lui-même un peintre du fait, et c’est assurément en cela un grand critique d’art. Il est minutieux et ressemblant à décrire le réel immédiat dont il déjoue les paralogismes et les faussetés, rétablissant les déformations du regard, les grosses bévues, les interprétations hâtives et inadaptées : il examine avec vérité ce qui est là, car il sait voir juste et retranscrire l’immobile, comme ces anciens appareils photographiques capables de fidélité et de finesse à condition que les sujets demeurent fixes – Camille Mauclair est un excellent témoin. Je comprends à présent que c’est ce qui me satisfit tant dans Le soleil des morts : j’avais alors besoin, pour étudier cette transition artistique, d’un auteur qui pût en rendre compte sans y adjoindre de la légende sous influence qu’on reconnaît chez presque tous les écrivains et historiens, et qui mythifie au lieu de relater. C’est, si l’on préfère, une fiabilité, davantage qu’une personnalité, qu’un esprit, ou qu’un interprète : un messager ponctuel, un rapporteur, un excellent héraut. Je ne m’en servis que pour cela : je vois mieux combien j’utilisai cette exceptionnelle faculté de la neutralité juste pour examiner les caractéristiques d’un basculement dans les arts. Mauclair est spirituellement myope, mais il voit admirablement de près. Comme ces gens qui obtiennent plus de dix sur dix chez l’ophtalmologiste, il distingue plus que parfaitement des contours et des couleurs à l’arrêt, il convient juste que rien ne bouge et que les plans restent les mêmes. L’ajout de dimensions le trouble. Il n’a pas de capacité pour la profondeur de champ. La finesse de sa perception fixe l’a comme laissé incompétent à accommoder et à rassembler le rapport de différents objectifs. Il distingue un objet loin ou près, puis il distingue un objet près ou loin, et il dresse de chacun de ces objets un portrait redoutablement exact, oui mais il est handicapé au calcul de la parallaxe : c’est à peu près comme s’il ignorait si, entre ces objets, il y a dix mètres ou bien dix kilomètres. D’un trait, j’écrirais ceci : il fait excellement pour chaque chose un rapport, mais il ne fait jamais passablement le rapport entre les choses. Il est peut-être trop « contracté » sur des minuties pour se souvenir du devoir de « recul ».

En effet, dans le mouvement c’est un esprit confus, et dont on tendrait à amalgamer le sens remarquable de la réalité ferme avec une faculté focale déficiente : son œil hypermétrope peine à la distance et à la vitesse, évalue méticuleusement les phénomènes proches mais manque à la perspective ; son jugement voit avec supériorité ce qui s’analyse sous le nez mais voit flou, c’est-à-dire peut-être ni mieux ni pire que les autres, ce qui nécessite de comprendre l’altérité et se traduit par un changement d’état – on serait tenté de confondre les deux, faute de croire une telle dichotomie possible, et l’on ferait uniment confiance au critique pour tout, bien à tort. Il perçoit la transition où il se trouve mais ne déduit pas leur direction ; il est comme placé en face d’une charnière, distinguant indépendamment porte et mur et décrivant magnifiquement la pièce de quincaillerie ou d’orfèvrerie, la célébrant presque par principe, mais il n’envisage pas l’ancienneté du montage, sa tradition progressivement établie, et surtout il ignore superbement sa fonction d’ensemble : ainsi décrit-il parfaitement l’emplacement de la charnière entre la porte et le chambranle, mais comme il n’a jamais déplacé le battant et que sa mentalité ne distingue guère ce qui se meut, il est incapable d’intérioriser l’avant et l’après du mouvement de la porte que la charnière permet – tout ceci est une image pour entendre le blocage de certains esprits. Il en reste au point du fait qu’il rapporte sans faille, mais il ne sait pas deviner l’enchaînement des faits, ce qui soudain le rend comme timoré et petit parce qu’il paraît ne pas oser, au lieu que probablement il y est simplement aveugle : comme on associe trop automatiquement les deux, on ne se doute pas qu’il existe des aveugles perçants. Il a, si l’on veut, les qualités du cicerone expliquant au profane la qualité intrinsèque des pierres de la maison, leur composition et leurs propriétés, mais les généalogies et destinations qu’il énonce sur le bâtiment même tombent à faux s’il se risque à en parler, parce que ses idées là-dessus sont communes et sans clairvoyance. Il est borgne de son œil mobile, mais celui que le handicap a rendu fixe est tout au contraire ; il n’est en rien prophète, et même il est incapable d’apprécier une course, mais si on le place bien devant ce qu’il faut examiner, il livre des analyses les plus sérieuses, il dit la vérité tout comme elle est, avec une acuité rare.

Une de ses manies consiste à tenir un milieu entre les opinions populaires et les idéaux artistiques dont il se fait le passeur aux foules, et ceci a d’impatientant qu’on y devine une façon de se rassurer : en continuant d’adhérer par quelque point de compréhension à ceux qu’il tâche d’instruire sans les mépriser, il ne se sent pas intempestif, il s’ouvre l’opportunité d’une relative popularité, il évite de heurter et s’attribue le mérite d’un certain surplomb, en professeur digne de confiance. Cela valorise, contribue à l’estime-de-soi, on n’est pas perdu tant qu’on peut se raccrocher à de la normalité, il suffit de s’en croire légèrement supérieur et de se garder d’un écart intellectuel, donc moral, trop important : ne pas déparer sans pour autant se fondre, n’être ni trop artiste ni trop élève c’est-à-dire trop peuple, voilà la gymnastique mentale de Mauclair-éducateur. C’est par ce défaut, qui est certainement consécutif à sa déficience d’appréhender des temporalités, c’est-à-dire la conséquence justement d’un faible esprit-de-conséquence – car quand on sait qu’on n’atteint pas un objectif de grandeur, on estime les altitudes louches –, qu’il énonce peu de hauteurs, qu’il en reste à des examens d’état sans analyse de successions : c’est un homme qui a excessivement la passion de se faire comprendre de tous et qui, en ce dessein, doit parfois travestir non son vocabulaire mais, sinon ses idées, du moins des intuitions d’idées qui serviraient l’art mieux que ses raisonnabilités prudentes. Il parle bien, doctement ; il a des pensées tout en beau style, mais les nouveautés lui font défaut : on n’apprend rien, on s’étourdit de discours clairs et droits, on admire peut-être ce discernement joli qui n’enseigne que des faits sus, développés sans génie, avec la sorte de bon sens du chroniqueur bienveillant et accoutumé au formel. Mauclair – c’est sa limite – s’arrête de discerner la réalité aussitôt que la précaution le lui recommande, et les inflexions qu’il propose aux arts sont faibles, faciles et imprécises – jamais de réformes et d’audaces. Dans ses articles où la prudence domine, on ne trouve presque pas d’« eurêka », de découvertes surprenantes : c’est surtout qu’on n’avait pas songé à cela, qu’on n’avait pas seulement songé à y réfléchir, qu’on n’y a pas trouvé, ni avant, ni après, la nécessité ou l’utilité ; ce sont des thèmes dont on n’est pas certain qu’il y avait, pour si peu à dire, de quoi vraiment disserter, c’est pourquoi on ne les a pas choisis. D’ailleurs, l’espèce de généralité que l’auteur emprunte souvent ne permet pas de prétendre qu’il en a bien disserté ni qu’il a véritablement « abordé » ces sujets, encore est-il pour beaucoup, précisément, resté au bord, faute de s’aventurer sur un large que peu fréquentent et qu’il sait aliéner du principal des terriens qui ne l’écouteraient plus. Il décrit donc le rivage, le port, les bateaux au mouillage, et c’est d’un pittoresque superbe, mais il ne conçoit rien d’une trajectoire, il ne sait pas et ne veut pas s’éloigner en pensée des côtes, il reste, comme ses lecteurs, foncièrement terrien, proposant une peinture des temps seulement vue depuis le temps moral. Pour le dire en substance et avec un peu d’excès, il croit que le contournage appliqué de la vaguelette figure ce qu’on peut dire sur l’océan et sur le voyage : c’est un portraitiste de goutte d’eau, qui manque d’une dimension vaste et personnelle, qui n’ose s’impliquer et se risquer, qui tient trop à demeurer au continent. Mauclair est un spécialiste de la description pure, raisonnable, consensuelle, mais il pâtit de la perspective, par incapacité sans doute ainsi que par crainte du danger de la désaffection : car naviguer, c’est être tout seul.

Son grand tort surtout, matérialisant la faiblesse de son sens généalogique et synthétisant ses défauts, c’est de n’avoir pas compris en quoi l’impressionnisme, ce courant artistique dont le nom improvisé contient toute l’imposture – ce fut, dès le commencement, à partir d’une toile considérée par Monet comme une banale et piètre étude, réalisée en une seule séance, et qu’il fournit avec une ironique négligence à une exposition sans lui trouver immédiatement de titre puisqu’il ne pouvait quand même la faire passer pour une œuvre, d’où non pas : « Soleil levant » mais : « Impression, soleil levant » –, constitue un tournant vers l’art commercial, vers la folie bête des peuples et vers la satisfaction des marchands,…

(Ce marchand, qu’il me soit permis de le souligner, évoque aussi chez Mauclair l’image typique du Juif, avide et sans scrupule, l’intéressement qu’on lui impute alors en Europe pour les basses œuvres du commerce de pouvoir, comme on peut le lire dans la citation que je place à la fin de cet article, extrait qui, sans qu’on y décèle un antisémitisme très caractérisé, traduit pourtant à la fois une exaspération des manœuvres spéculatrices et l’idée d’un secret inénarrable et malséant que pas moins d’un livre entier permettrait de circonscrire mais dont la révélation rencontrerait des oppositions de forces terribles. Mauclair doit pourtant connaître ces « chefs machinistes » qu’il évoque et paraît craindre de nommer et de détailler, car il est alors depuis assez longtemps introduit dans la littérature (une vingtaine d’œuvres déjà publiées en 1906), notamment dans les revues (je lis à l’instant, vérifiant cette assertion, que la postérité l’accusa bel et bien d’antisémitisme). Il est décidément intéressant de constater que la plupart des auteurs qui tirèrent un litige de la situation mercantile des arts en accusèrent les Juifs : on peut admettre que la circonstance où ceux-ci se trouvèrent, des suites d’une histoire européenne pour eux fort contraignante, de détenir par héritage nombre de « comptoirs » commerçants et banquiers dans des professions qui initialement était très désavantageuses et risquées, les a logiquement tournés vers cette manne de l’art-marchandise : cette opportunité entrait tout à fait dans un esprit de suprême intelligence prédictif que d’autres également ont su saisir, et il fallait conséquemment que l’usage professionnel de manipuler du capital dirigeât cette compétence vers les marchés d’art, y compris – que dis-je « y compris » : spécifiquement plutôt – au détriment des artistes puisqu’en la matière il ne peut exister de grande rentabilité qu’à l’encontre du profit légitime des créateurs. Sait-on par exemple que Gaston Gallimard, sans être juif, n’était que rentier et plaça son argent dans une maison d’édition dont en contrepartie on lui offrit la gérance, et qu’il fut fils de Paul, collectionneur et investisseur accusé de contrefaçon, ce dernier lui-même fils de Gustave, agent de change ? Je veux dire que c’est généralement la connaissance des affaires et de la finance qui crée les métiers relatifs aux profits artistiques, et non la connaissance de la littérature et des Lettres. C’est pourquoi d’évidence nombre de maisons d’édition furent fondées par des Juifs : il y faut, avec la capacité d’investir, plus que toute autre forme d’intelligence, et peut-être même exclusivement, la supérieure faculté du placement boursier.)

… vers le système prosaïque et bourgeois des reproductibilités, des surfactures et des cotes : l’impressionnisme est probablement, comme courant artistique pictural, à l’origine d’un système de compromissions, dont il est l’essai précurseur, ayant conduit à la disparition de l’art des peintures telle qu’il suffit de la constater aujourd’hui ; c’est, pour le souligner sans ambages, à partir de lui qu’on se mit à fabriquer de la toile en moins d’une semaine et que, sur de pareilles négligences techniques, on institua des alternatives au travail de grande et véritable haleine, en ce que tout devenait trop ardu et insurmontable parmi une concurrence nombreuses d’artistes ultra-méticuleux (ce que j’ai expliqué abondamment dans l’article « Littérature fin-de-siècle ou fin de littérature »). L’impressionnisme peut se définir comme une double économie : économie des moyens au service d’une économie de la vente : on raccourcit les délais de fabrication dans l’espoir d’allonger les sources de revenus ; on réalise ainsi de l’ébauche qui se monnaye, sur le modèle des grands peintres célèbres et morts que la rareté des œuvres encore disponibles sur le marché rend chers, esquisses, carnets, traces. L’impressionnisme en général mise moins sur l’art que sur l’effet, par quoi il tend à remplacer l’art : la disparition des critères esthétiques au profit de la rentabilité n’existait pas auparavant où l’on considérait que l’art nécessitait non seulement de l’effort et de la technique, mais, a minima, du temps de réalisation, une longue durée (une proposition au grand Salon était souvent l’œuvre d’une année), et l’on n’eût jamais prétendu, avant cela, contre tel critique qui par exemple arguait non sans raison qu’il fallait « l’impudence d’un cockney » pour faire croire que Nocturne in Black and Gold valait mieux qu’un stupide jet de peinture à la face du public, que cette toile, qui n’avait de l’aveu même de son auteur, Whistler, bel et bien nécessité qu’une demi-journée facturée deux cents guinées, représentait, selon lui, « l’expérience d’une vie » – ne voit-on pas que c’est avec de telles formules tenant exactement du slogan dont le commerce s’entiche alors qu’on établit des dérivatifs à la conscience rationnelle c’est-à-dire au jugement critique : le peuple apprécie de tels refrains dont il se laisse envoûter, on entre à plein dans le siècle des chansons fascinatoires par rengaines entêtantes, on est gagné par des expressions et des impressions valorisantes et toutes de proverbe et de « cœur » qu’on entend et voit dans la société où l’on vit, formules qui, au prétexte de ressentis, favorisent l’engouement, annihilent le recul, et évitent de penser – créent le bonheur évanescent du Diverti. Mais Mauclair, qui, un moment seulement, s’interroge sur une dérive des arts quoique sans percevoir que justement l’impressionnisme l’a initiée – probablement parce qu’il lui faudrait alors critiquer ce que tout le monde admire –, voit bien sagement dans ce courant un vaste effort sur la lumière et sur le rendu de la perception, mais n’explique pas, car il en est incapable, en quoi le tableau classique ne réfère pas aussi bien, dans le travail des motifs et des couleurs, à un effort sur la lumière et à une impression : tout art relève d’impressions, et l’impressionnisme n’en saurait constituer l’apanage ou le parangon. On commence à faire singulièrement de la figure, ou du symbole, en tous cas de la mauvaise foi probablement pour vanter son époque, quand on attribue à une école contemporaine le souci quintessencié de la subjectivité en art ; il faudrait qu’on me signalât une seule œuvre qui tâchât d’être objective et ne procédât d’aucun choix en particulier, une seule qui ne dépendît point de l’extraction d’une impression et d’une réflexion sur le meilleur moyen de la réaliser. Même un trompe-l’œil, si l’on y réfléchit, n’est pas tant la tentative d’une peinture représentant la réalité la plus dégagée de soi mais, au contraire, celle qui figure avec le plus de fidélité l’impression qu’on tire d’un objet, d’un décor ou d’une personne, impression qui semble commune à d’autres mais dont personne ne peut assurer, au sein même de sa subjectivité bornée, qu’elle correspond à la perception d’autrui ; le trompe-l’œil ne constitue toujours, à la rigueur, qu’un essai de représentation du réel le plus universel possible, mais encore s’agit-il d’un réel extrait des sens humains, donc tiré d’abord de soi, et non pas objectif ; et ce n’est pas un réel où l’on s’efforcerait par exemple de figurer des lumières imperceptibles par l’œil humain ou de restituer la vision de l’environnement que se forme un chien ou une hirondelle. En ce sens, le réalisme utilise une somme de subjectivités humaines, tâchant à synthétiser en formule peinte la conception œcuménique de la réalité, c’est en quelque sorte un surimpressionnisme, ce qu’on pourrait extrapoler comme le témoignage des impressions de toute l’humanité – cette théorie peut s’entendre : elle n’est certes pas concrète, c’est une idée de la réalité et de l’impression, au même titre que la plupart des bavardages sur l’art qui s’efforcent surtout de ne heurter personne, qui respectent d’abord et qui réfléchissent ensuite. L’impressionnisme, définie souvent par son étymologie même, à savoir comme désir d’extraire de la réalité l’impression la plus personnelle pour en témoigner picturalement, n’a-t-il pas cependant essayé de rendre cette représentation si « singulière » la plus argumentée et convaincante qu’il était en son pouvoir, de la partager, de persuader une multitude vaste de sa véracité subjective, au point que des foules entières, après de tels témoignages intérieurs, pouvaient vouloir dire : « Oui, moi aussi, c’est bien ainsi que je perçois les choses : ces impressions sont réellement celles de l’humanité » ? Quelle différence alors ? quelle différence fondamentale ? N’importe quelle démonstration artistique est à la fois un réalisme et un impressionnisme, la différence ne tient qu’en des mentalités et des techniques. En vérité, l’impressionnisme est l’une des premières de ces écoles crânes et poseuses qui, pour accéder à une notoriété rapide, firent l’éloge d’attributs proprement anti-artistiques, à savoi
Lien : http://henrywar.canalblog.com
Commenter  J’apprécie          00
Romans fin-de-siècle : 1890-1900

Albert est l’itinéraire d’une imparable décadence, une anti-évolution fatale et résolue, une cacobiographie dénaturée, à laquelle condamne la conscience hyperesthésique de la réalité blanche sans ambages, sans illusions et sans symboles.

Premièrement on naît et vagit : c’est hasard entropique, qui est-on pour naître ? Où voit-on qu’il y réside un mérite ou une destinée ? Toute généalogie est sérendipité.

On éprouve et on témoigne : faible évangile au regard du siècle insignifiant et bête où l’on existe. C’est assez laid et morne, tout cela ; ça obéit à des règles plutôt stupides, tout compte fait ; il faut tout rehausser de beaucoup. C’est objectivement une affaire, rien de plus, et pourtant une entièreté, une finitude, un vide profond dans de certaines formes superficielles – couleurs et mouvements. Esquisse sale et mal faite. Un défaut, une approximation, un malentendu, avec de rares velléités exagérément vantées, idéalisées, aisément abattables. Des préjugés de beauté – surestimes par aveuglement ou par consolation.

On simulacre et on carriérise : compromissions avec le temps, insinuer douceâtrement sa place, usurpant et copiant d’officielles vertus. S’oblitérer suffisamment le souhait et s’altérer la conscience pour se trouver de l’estime, omettre et évacuer le dégoût. Gratter le pur, les parois, comme dans un trou tiédi. Se blottir, se confire, s’accommoder de la contagion du corps faufilé. Confiteor et confitures : prier avec du sucre.

On naufrage et on agonise : dans ce pot, parmi des millions d’étagères, bof et zut. Et le local chuta : bruit net de verre et de l’organe séché qui s’écrase, un impact d’une provisoireté patente et incontestable, fracas mou sans écho. La mémoire ? Peuh ! qui s’intéresse longtemps à une conserve ? C’est tombé, voilà, on a plutôt après ça son récipient à maintenir près du mur, le plus loin possible du précipice. Se figurer boîte infrangible, et, pour cela, déconsidérer avec l’oubli les relativités chues.

Tout événement constitue l’arbitraire prétexte pour entretenir la rétention d’un soupir d’à-quoi-bon. On n’apprend guère : tout est déjà su, au fond, on ne fait que se renseigner sur des ordres et des hiérarchies différents, étrangers, arbitraires. Si on s’exalte par saccades : élans factices, comme l’autruche battant des ailes, on n’ira point plus haut. Lire Shakespeare, se croire Roméo : mais Roméo est une baudruche exhaussée par un vent, de l’enflure soufflée par une certaine convention qu’on aime à reconnaître pour se rassurer à défaut d’autre modèle, à défaut surtout d’imagination réelle, à défaut d’un véritable ailleurs de l’âme. On n’a toujours que les valeurs où l’on a traîné et que l’on a trop traînées avec soi, comme des parfums fanés et puants.

Albert doit choisir, comme tout le monde, parce qu’il faut. Pas dépressif, lucide, désir d’idéal par envie de sens, et puis juste pion, poète, hédonique, pessimiste, catatonique et enfin mort. Une succession, pas un parcours, moins un itinéraire. Tout raté, pas moyen d’accomplir quelque chose : le monde est trop bas et le sens trop haut. Décalage de l’être à la société comme de l’être à l’au-delà. Pas même pathétique, l’émotion se mérite, ici rien de transfigurable, rien d’une jésucrucifixion. Une drôle d’impasse, sans plus, sans sublimité, fatalité sans fatalisme : la vie comme état inchangeable, comme définition inflexible, avec, à cause de la vitalité, de très vaines tentatives de dépassement. Des curiosités successives, échouées et pas même tellement décevantes. Il fallait tenter et voir : impulsion, réflexe, instinct, sans plus. Le médiocre fatidique n’est jamais tragique, comme tout ce qui se regarde de loin et avec ennui. Une mécanique. Ça bouge et ça cesse de bouger.

Et ce style assorti : Dumur goûte la dénaturation du langage, l’anti-spontanéité du verbe, souvent plaisamment excentrique ou profondément poétique, léger ou bien lourd – comme le fond. Pas naturel : mainte expérience, ni fluide pour l’esprit, pas d’habituation – littéraire. Des artifices élaborés, sapience de savantasse, mot déplacé, déparé, résistant à l’entrain, examiné – dissection. Spirituel et monstrueux. Évidemment, c’est un roman sur rien autant que sur le rien, sur l’anéantissement de l’essor, invariable annonce d’échecs désémus, intrigue sur la négligence délibérée d’une histoire, où tout ramène au sentiment d’une étrangeté, d’un dérangé, de l’idéal même d’une fiction, récit systématiquement inutile – de l’art, démonstration de style, insuffisant car œuvre uniquement sur l’insuffisance foncière d’exister, ontologique essence de vanité avec sa forme exactement congruente, contenant ensemble sa beauté intrinsèque et son défaut ad hoc.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
Commenter  J’apprécie          00
Romans fin-de-siècle : 1890-1900

Indispensable pour toutes les amoureuses de littérature fin-de-siècle. Belles présentations de Guy Ducrey. Et puis, les bouquins sont gros ! J'aime !
Commenter  J’apprécie          00
Contes symbolistes, volume III : Les Clefs ..

Symbolistes à souhait. Pas étonnant de la part de Mauclair et surtout du maître, oui, maître ! bien, maître ! - Rodenbach !
Commenter  J’apprécie          00


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Camille Mauclair (34)Voir plus

Quiz Voir plus

Que savez-vous de Proust ? (niveau assez difficile)

De combien de tomes est composé le roman "A la recherche du temps perdu" ?

5
6
7
8

8 questions
534 lecteurs ont répondu
Thème : Marcel ProustCréer un quiz sur cet auteur

{* *}