Cela pouvait arriver qu’un chien s’égare et qu’on passe les jours suivants à le chercher. On le retrouvait, hagard, langue pendante, assoiffé et quelquefois blessé par les ronces. De même, après avoir parcouru en long et en large les champs toute la nuit à la lueur des lampes-tempêtes, crié son nom jusqu’à en perdre la voix, mobilisé tous les laboureurs des environs et même averti la police, on découvrit Hans, à des milles de l’endroit où avait eu lieu la chasse, errant depuis la veille.
L’île devenait anglaise mais, comme tous les habitants, les Rozell continuèrent de parler français même si la langue créole prenait souvent le dessus. Avec les ouvriers, les laboureurs, les gens de maison, mais aussi par pur plaisir : c’était la langue des blagues et de l’amour de la terre, c’était la langue de la connivence. À l’école, Hans apprenait ses leçons en anglais, chantait chaque matin God Save the King, se faisait remonter les bretelles en français par la maîtresse, chahutait avec ses camarades en créole.
Lors des manœuvres, les camarades faisant office de révoltés reculent, comme aujourd’hui certains des manifestants qui, prudemment, se retirent sans toutefois s’éclipser, scandant de plus belle leurs slogans.
Sauf une femme. Elle n’a pas bougé du centre de la piste. Poings serrés et regard lourd de réprobation, immobile, elle ne dit mot, mais sa hargne contre l’escouade qui approche émane d’elle comme une lave brûlante. Sur ses épaules un horni d’une teinte indéfinissable – l’écharpe indienne est passée du soleil des champs à l’eau de la source, du terreau ferrugineux aux teintures de la fête de Holi qu’ils se jettent les uns sur les autres. Ses cheveux sont tirés en arrière en un chignon luisant de l’huile de coco qui protège des maux de tête quand le soleil darde sur la plantation.
Tu n'es pas comme tout le monde, toi.