En suivant la frontière extérieure, la grande fissure, nous avons trouvé des dizaines d'entailles dans le rêve européen. C'est l'immense faille des réfugiés ; les brèches du nationalisme, la fermeture des frontières et l'ombre du Brexit ; le populisme et l'islamophobie ; la crise qui a opposé le Nord et le Sud ; la fêlure d'un bloc de l'Est qui considère Bruxelles comme une nouvelle Moscou ; les cassures de la Syrie, de l'Irak, de la Libye. Et puis il y a la Russie, une énorme crevasse sur laquelle nous voulons à présent nous pencher.
"Il y a une fissure principale, et d'autres plus petites. Elles sont toutes reliées, me disait Carlos peu avant les attentats. Si on ne les répare pas, toute la structure va s'effondrer."
La structure, c'est l'Europe. Ses soixante-dix années de paix. La liberté. L'absence de frontières. Tout ce qui fait d'elle cet endroit que veulent atteindre ceux qui fuient la barbarie.
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Beaucoup de policiers se souviennent de l'époque où ils étaient eux-mêmes des réfugiés. Ça ne fait que vingt-cinq ans que la guerre des Balkans a eu lieu. "Nous avons bon cœur, mais ce n'est pas suffisant." Leurs discours résument assez bien la schizophrénie européenne face au déferlement.
Une source anonyme qui nous raconte souvent des choses inavouables sur la gestion des frontières. Les contrats, les ambitions personnelles, tout ce qui ne tourne pas rond à Frontex et en Europe. "L'UE n'a jamais existé. C'est une agence de placement."
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Ils disent aussi qu'ils ont quitté leur pays à cause de la guerre, du chômage, de la famine. Ils ont fait un très long voyage. Et nombre d'entre eux sont ici depuis trois ou quatre ans. Les yeux fixés sur la Méditerranée, ils nous jurent : "Rien ne nous arrêtera."
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Ils décrivent ainsi les portes de l’Europe : « Une frontière entre le monde dangereux et le monde sûr. »