Caroline Fabre-Rousseau - C'était malgré nous
www.passion-bouquins.com Blog littéraire alternatif 23e salon du livre de Colmar 2012 Entretien avec
Caroline Fabre-Rousseau qui nous parle de son roman C'était malgré nous.
_ Je me moque bien des artistes et de la peinture! Que vais-je devenir seule, loin de vous? Qui me bordera le soir dans mon lit? Qui m'embrassera le matin pour me réveiller? et qui jouera avec Zoé?
_ Ma chère Julie, tu n'es plus une enfant, tu as dix ans à présent. Il te faut une solide éducation, qui te mette à l'abri des surprises de l'Histoire.
Quelques jours plus tard, je compose le texte qui ouvrira le spectacle : « Au
commencement »
Au commencement ...
Ils naissent nus, sans fard.
Ils ne savent pas marcher
Ils ne savent pas parler
Ils se nourrissent de leur mère
Ils ne savent qu’aimer
Ils ne sont rien.
Puis…
Ils grandissent et ils apprennent
à marcher, à parler, à s’habiller,
à lire, à calculer, à obéir, à acquérir, à conquérir.
Ils quittent leur mère.
Ils n’ont rien. (…)
J’enregistre Au Commencement et Un Quart d’heure avant la nuit dans le studio de Niko peu de temps avant la résidence de création. Niko me prévient : « Je vais tordre ta voix, triturer le texte, ne sois pas affolée. »
Aux abords de la médina, les rues grouillaient de monde.
J’avançais plus difficilement que dans les larges avenues de la ville nouvelle, dont le plan conçu par les Français avait permis le déploiement de milliers de manifestants anti-Français. J’avais d’abord poussé mon vélo devant moi, je le portais à présent comme un bouclier, rasant les murs pour ne pas être emporté
par le fleuve humain.
Près de Bou Ameur, j’ai compris que la folie s’était emparée de toute la population meknassie, quand j’ai vu s’avancer les femmes.
Elle pensa à sa grand-mère. A ses yeux vides, à son modeste appartement, où des plats à tagine étaient suspendus aux murs de la salle à manger, comme des tableaux. A sa chambre monacale : au-dessus de son lit, ni crucifix, ni vierge, mais le tableau d'une fatma serrant dans ses bras un jeune enfant. Elle était enveloppée d'une djellaba blanche, d'où émergeait le visage voilé. L'artiste avait exagéré les plis lourds du vêtement, les marquant de reflets bleutés. Le voile, lui, était d'une légèreté extrême et soulignait la délicatesse des sourcils aux arcades bombées, d'où émergeaient des yeux sombres. Tout convergeait vers ces prunelles farouches et douces. La mère protégeait son enfant avec passion. Elle faisait de ses bras croisés un trône sacré, comme les vierges des primitifs, et de ses yeux une forteresse sauvage et redoutable.