Citations de Cécile Sauvage (75)
Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.
Le soir, au soleil je m'assieds
Le soir, au soleil je m'assieds
Devant ma porte ;
Le jardin, les arbres fruitiers,
La brise forte
Soufflent jusqu'à moi la rumeur
Des tièdes feuilles
Sans que mon immobile cœur
En lui l'accueille.
Je devine les coteaux mous
Qui se prolongent,
Sur l'étoffe de mes genoux
Mes mains s'allongent
Et je m'abîme à regarder
Ces deux mains frêles
Comme si mon corps tout entier
Était en elles.
Le vallon (1913)
Chaque mot murmuré
Par vous est un baiser
Intense et prolongé,
Comme un baiser sur l'âme.
LA CORBEILLE
Choisis-moi, dans les joncs tressés de ta corbeille,
Une poire d'automne ayant un goût d'abeille,
Et dont le flanc doré, creusé jusqu'à moitié,
Offre une voûte blanche et d'un grain régulier.
Choisis-moi le raisin qu'une poussière voile
Et qui semble un insecte enroulé dans sa toile.
Garde-toi d'oublier le cassis desséché,
La pêche qui balance un velours ébréché
Et cette prune bleue allongeant sous l'ombrage
Son oeil d'âne troublé par la brume de l'âge.
Jette, si tu m'en crois, ces ramures de buis
Et ces feuilles de chou, mais laisse sur tes fruits
S'entre-croiser la mauve et les pieds d'alouette
Qu'un liseron retient dans son fil de clochettes.
Souvent le cœur qu’on croyait mort
N’est qu’un animal endormi ;
Un air qui souffle un peu plus fort
Va le réveiller à demi ;
Un rameau tombant de sa branche
Le fait bondir sur ses jarrets
Et, brillante, il voit sur les prés
Lui sourire la lune blanche.
C'est lorsque l'abeille
Se balance sur les fleurs,
C'est lorsque s'éveille
Du silence et de l'odeur
Une mélodie
Fluide comme l'air pâli
Où l'ombre et la vie
S'assoupissent à demi…
« Fumées », Le Vallon sauvage,
Mercure de France, 1913.
Dans les prés pleins de scabieuses
Sous un ciel pâle et sans éclat,
Mon âme autrefois plus rieuse
Apprend à sourire tout bas.
Elle apprend à taire sa peine
Et sa robe couleur du temps
Est un nuage qui se traîne
Et se mire dans les étangs.
Mes pieds touchent-ils le pré ?
Une hirondelle s'envole.
Ah ! comme le jour doré
Pèse peu sur mes épaules;
Comme il pâlit et se fond
Dans la brume de la lune
Et m'entraîne et me confond
Avec la ramure brune.
( " Fumées")
Je me souviens de mon enfance
Et du silence où j'avais froid;
J'ai tant senti peser sur moi
Le regard de l'indifférence.
Ô jeunesse, je te revois,
Toute petite et repliée,
Assise et recueillant les voix
De ton âme presque oubliée.
Extrait du recueil "Mélancolie"
Musique
Une lente voix murmure
Dans la verte feuillaison ;
Est-ce un rêve ou la nature
Qui réveille sa chanson ?
Cette voix dolente et pure
Glisse le long des rameaux :
Si fondue est la mesure
Qu’elle se perd dans les mots,
Si douces sont les paroles
Qu’elles meurent dans le son
Et font sous les feuilles molles
Un mystère de chanson.
Ô lente voix réveillée
Qui caresse la feuillée
Comme la brise et le vent ;
Voix profondes de la vie
Et de l’âme réunies
Qui murmurez en rêvant.
Une forme s’effaçant
Dont les gestes nus et blancs
Flottent dans l’ombre légère
Sous un rideau de fougères
Semble exhaler à demi
De ses lèvres entr’ouvertes
Un chant de silence aussi
Berceur que les branches vertes.
À peine si le murmure
De la muette chanson
Poursuit sa note et s’épure
Dans la douce feuillaison ;
Et la main passe en silence
Sur la tige d’un surgeon
Dont le rythme fin balance
Les branches de ce vallon.
Ô musique qui t’envoles
Sur les papillons glissants
Et dans la plainte du saule
Et du ruisseau caressant !
Passe, chant grêle des choses,
Coule, aile fluide qui n’ose
Peser sur l’azur pâli,
Sur les rameaux endormis ;
Efface-toi, chant de l’âme
Où se mêlent des soupirs
Dans la fuite molle et calme
Des voix qu’on ne peut sai
Ainsi, voilà l’espace où ma vie a tourné,
Ces monts, ces arbres sombres.
C’est pour ces incidents si vains et si légers
Que je sortis des ombres,
Je n’étais que cela, je ne suis que cela,
Ô ma vie isolée,
Et le temps a choisi d’acheminer mes pas
Au sein de ces vallées.
D’où vient que moi qui dois passer
D’où vient que moi qui dois passer
et qui sais le néant des choses,
j’ai tant de joie à voir
un beau jour, soleil, les roses ?
Telle est la force des sens sur l’âme.
Mon âme pleure,
mais je donne mes sens à la vie
et je m’efforce d’oublier
la nuit d’où je viens.
Le coeur tremblant, la bouche en feu,
J'emporte dans mes cheveux
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus
Sur mon front et mes bras nus
Comme des papillons humides.
Parfois de crépuscule pleine
Avec la lune sur le coeur,
J'ai l'âme flottante et sereine
Du jour qui meurt.
Je vis sans rêve, sans pensée,
Comme doit vivre une colline
Sous l'ombre bleue et traversée
De vapeur fine.
(" Mélancolie")
Le paon triste annonce la pluie
Le paon triste annonce la pluie :
Ce soir encor tu pleureras,
Ô mon ciel de mélancolie ;
Un voile gris te couvrira,
Noyé d’une averse infinie ;
Puis l’arc-en-ciel s’arrondira
D’un bout à l’autre des collines,
Sa lueur rose éclairera
Les feuilles humides et fines
De mon jardin et s’éteindra.
Le brouillard fondu
Prend les arbres nus
Dans sa molle haleine.
Le jardin frileux
Sous un voile bleu
Se devine à peine.
Le soleil blafard
Résout le brouillard
En perles d'eau blanche
Dont le tremblement
Miroite et s'étend
A toutes les branches.
("Fumées")
Le monde à ton regard s'efface et se balance
Autour de ces bouleaux pleureurs,
Et l'hymne de ton âme infiniment s'élance
Dans l'insaisissable rumeur
Vallon, pelouse, silence
Où l'ombre vient s'allonger;
Une pâle lueur danse
Et de son voile léger
Éffleure ta forme claire
Sur qui rêvent les rameaux
Et le mouvement de l'eau
Paisible dans les fougères.
(" Le vallon")
Deux hommes vêtus de buée
Deux hommes vêtus de buée
Gagnent la plaine hors de l’allée.
Un chien à peine dessiné
Les suit, tête basse, en cadence ;
On ne sait ce que le chien pense
Ni pourquoi ces gens embrumés
S’éloignent dans la somnolence.
La maison grise dans le pré.
Sur le seuil la femme apparaît,
Étend la main vers la prairie,
Puis rentre avec mélancolie.
Le cœur tremblant, la joue en feu,
J’emporte dans mes cheveux
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus
Sur mon front et mes bras nus
Comme des papillons humides.
Je garde aussi ton bras d’amant,
Autoritaire enlacement,
Comme une ceinture à ma taille.
Je suis née. . .
Je suis née au milieu du jour,
La chair tremblante et l'âme pure,
Mais ni l'homme ni la nature
N'ont entendu mon chant d'amour.
Depuis, je marche solitaire,
Pareille à ce ruisseau qui fuit
Rêveusement dans les fougères
Et mon cœur s'éloigne sans bruit.