Cédric Routier

[Michel Jouvet] ... il apparaît vraisemblable, selon Spencer et Malinovski, que le rêve a été à la base de la croyance dans l'âme, l'esprit, les dieux et les démons que l'on retrouve sous de nombreux avatars à la naissance de toutes les civilisations et de toutes les religions.

[Michel Jouvet] Avec l'apparition de l'homéostasie, chez les oiseaux et les mammifères, la température n'a plus eu d'influence. Ces animaux ont une horloge dans le cerveau, laquelle se cale sur la lumière solaire et déclenche le sommeil lorsque survient la nuit. Là encore, on retrouve l'homéostasie prédictive : en fin de nuit, la sécrétion du cortisol (mise en jeu au milieu de la nuit) permet de stimuler l'activité musculaire chez le sujet qui va bientôt se réveiller.

[Michel Jouvet] ... tout animal ou être humain possède une identité. Il est capable d'identifier les émotions d'un de ses congénères, d'avoir des comportements qui lui sont spécifiques. Cela, grâce à un système de reprogrammation génétique. C'est là le rôle du sommeil paradoxal [...]. Concernant le sommeil lent, on peut dire qu'il est le gardien du sommeil paradoxal : il permet de stocker l'énorme quantité d'énergie nécessaire à l'activité onirique. Et il constitue une barrière de sécurité pour la reprogrammation de l'individuation : il bloque l'activité de l'organisme, empêchant l'interférence entre la vie active et les mécanismes de sauvegarde de l'individuation.

[michel Jouvet] Il existe [...] au cours du sommeil paradoxal, une activité motrice, bloquée. Cette activité pourrait très bien correspondre à une réinscription des comportements génétiques dans les neurones. Si un système de reprogrammation existe, il doit être présent à un moment où il ne gène pas la vie éveillée par le comportement moteur qu'il entraîne : le sommeil est sur ce plan une période de sécurité. Le sommeil paradoxal apparaît, par la manifestation de son activité motrice et par sa situation protégée, tout à fait adapté pour une telle conservation des comportements individuels.

Le sommeil paradoxal [est conçu] comme un conservateur des comportements spécifiques de l'individu (individuation). Le sommeil lent serait, lui, le gardien du rêve : d'une part, il assure la sécurité du système, en bloquant l'éveil ; d'autre part, il ravitaille le cerveau en énergie pour lui permettre d'utiliser ses forces lors de la mise en jeu du rêve. En effet, le sommeil paradoxal consomme de l'énergie, en quantité au moins aussi importante que l'éveil.

... les nouveaux-nés des rats et des chats présentent un sommeil paradoxal plus élevé que l'animal adulte. Par ailleurs, plus un mammifère est immature au moment où se font la maturation et la programmation génétique du système nerveux (neurogenèse) que ce phénomène atteint son taux le plus élevé, pour décroître ensuite chez l'individu adulte.

[David Hubel] Je pense [...] que la limite entre la neurologie et la psychologie est de moins en moins marquée. C'est une bonne chose, pour l'un comme pour l'autre de ces domaines. Car les psychologues peuvent jouer un rôle important en neurologie : ils peuvent donner des idées d'expérimentations nouvelles auxquelles les neurologues n'auraient jamais pensé.

[David Hubel] Les psychologues peuvent aussi comprendre des entités qui à première vue semblent difficiles à appréhender, comme la notion d'"esprit". Savoir ce qu'est l'esprit va bien plus loin qu'une simple définition de ce terme. Il en va de même pour la notion d'"âme", que l'on n'est peut-être pas encore capable d'expliquer.

[David Hubel] ... si l'on prive de sa vision l'un des yeux d'un animal nouveau-né, en l'espace de deux semaines les deux yeux entrent en "compétition" et se "disputent" les connexions neuronales. L'oeil ouvert va ainsi bénéficier de l'ensemble de l'activité de ces connexions et priver par ailleurs l'oeil clos d'un développement normal en désactivant les connexions neuronales qui lui étaient réservées. En résumé, les connexions neuronales qui étaient normales à la naissance de l'animal deviennent anormales suite à ce traitement infligé dans les deux premières semaines de sa vie.
Cette spécificité se retrouve chez tous les animaux, même chez les singes, ce qui nous a permis d'établir qu'elle était innée. Cette découverte, bien qu'inattendue, fut importante pour le domaine de la psychologie. La plupart des psychologues de l'époque pensaient que le cortex était telle une "table rase" et notre recherche a démontré que ce n'était pas le cas du cortex du nouveau-né, même si l'environnement est très important. Il existe de toute évidence certaines connexions neuronales cruciales dès le départ.

[Robert Rosenthal] "Après tout, que peut-on attendre de bon de tels enfants ?" L'homme de la rue a peut-être le droit d'émettre une telle opinion (et prophétie) en voyant des enfants, laissés à eux-mêmes, se chamailler dans une sordide cour de récréation d'un quartier pauvre. L'enseignant dans une classe devrait savoir que, s'il émet la même prophétie, elle se réalisera. Lui, il n'est pas un badaud dans la rue. Il est probable qu'être le Pygmalion de la classe est davantage son rôle.

[Robert Rosenthal] Quelle [est] la différence dans le comportement de l'enseignant lorsqu'il a une attente supérieure pour un étudiant qu'il croit particulièrement doué ? [...] On peut la résumer à deux facteurs essentiels. Tout d'abord, l'enseignant traite de façon plus chaleureuse l'élève pour lequel il a plus d'attentes. Ensuite, il lui donne tout simplement plus de travail.

A votre avis, quel est l'avenir de la psychologie ?

[Robert Rosenthal] Je ne suis pas réductionniste. Certains pensent que lorsqu'on déchiffrera le fonctionnement précis des molécules, on aura tout compris sur le comportement humain. Je pense effectivement que l'on comprend mieux le comportement humain en étudiant le niveau moléculaire. Mais je crois que l'on comprend humain en l'étudiant aussi à un niveau sociologique. Je crois que dans le futur, notre compréhension du comportement humain partira du plus petit niveau (moléculaire) jusqu'au plus grand (la sociologie, l'anthropologie), en passant par le niveau intermédiaire : la psychologie cognitive.

Imaginons une école dans un milieu défavorisé. Et si le professeur de CP, voyant les petits écoliers pénétrer dans sa classe pensait : "Voilà peut-être les futures élites de notre nation !", au lieu de ruminer : "Espérons qu'il n'y aura pas trop de cas difficiles cette année." Et si les parents se disaient : "Que puis-je faire pour que mes enfants, aussi intelligents que les autres, réussissent brillamment à l'école ?" Et si les enfants eux-mêmes, influencés par leurs Pygmalions (parents et enseignants), arrivaient à penser : "Je peux réussir aussi bien que n'importe quel autre", au lieu de se dire, inconsciemment : "De toute façon, je suis nul. Donc autant exister comme chahuteur plutôt que de ne pas exister du tout."
Si les recherches du professeur Rosenthal parviennent effectivement à changer certaines mentalités, alors la prophétie de Mme et de M. Rosenthal se sera effectivement réalisée. Leur petit garçon sera réellement devenu un grand homme pour l'humanité.

Pour le professeur Rosenthal, son exceptionnelle carrière tient surtout au fait que l'on a cru en lui. Ses parents, puis ses professeurs, ont rêvé d'un destin illustre pour l'étudiant Rosenthal. Il a bénéficié lui-même de ce qu'il a nommé, bien plus tard, l'"effet pygmalion".

La conception traditionnelle de la personnalité comme composée de traits stables, sans référence à des situations, est un expédient commode pour rendre compte de la complexité et de l'unicité de chaque personne. En fait, elle conduit à une vue grossièrement simplifiée, qui passe à côté de la richesse de la vie des individus et de leur spécificité. Une conception plus adéquate doit prendre en considération l'adaptabilité extraordinaire de l'être humain, ses capacités à percevoir des différences, à opérer des prises de conscience et à se réguler lui-même. Elle doit également reconnaître que les hommes ont le pouvoir de changer la façon dont ils se voient et dont ils se comportent et qu'ils le font effectivement. Comprendre comment les êtres humains peuvent modifier leur comportement, de façon constructive et méthodique, c'est la question centrale d'une véritable psychologie dynamique de la personnalité.
Walter Mischel

... Leroy Burwen et Donald Campbell ont étudié méthodiquement les attitudes d'une même personne à l'égard de différentes figures d'autorité. Leur conclusion contredit la croyance de beaucoup de psys : la corrélation entre les attitudes à l'égard du père et envers diverses figures d'autorité est faible, nullement significative.

[Mary K. Rothbart] Ce n'est pas parce que le tempérament est en grande partie déterminé génétiquement qu'on ne peut rien faire. Il est tout à fait possible de définir à quel âge se mettent en place certains aspects du comportement. Il est donc réaliste d'envisager que l'on puisse, grâce à des programmes spécifiques, d'aider chaque enfant à développer son potentiel dans différents domaines.

[Mary K. Rothbart] Nous avons montré que le comportement d'un enfant ne dépend pas seulement des attitudes parentales. Il ne suffit pas de prodiguer les justes punitions et les bonnes récompenses pour que l'enfant se comporte adéquatement.

[Mary K. Rothbart] Nos réactions émotionnelles, nos réactions motrices affectent la manière dont nous pensons. Et cela influence aussi ce que nous aimons, ce que nous trouvons intéressant ou passionnant et ce qui nous fait peur ou nous inquiète.

[Mary K. Rothbart] Si je prends mes propres enfants, en grandissant, ils ne régulaient pas leurs réactions de la même façon. Et l'enfant qui souriait et riait le plus est devenu celui qui avait le plus de difficulté à planifier ses activités et ne pas juste faire ce qu'il avait envie de faire à un moment précis. Tandis que l'autre qui semblait plus anxieux, parvenait à s'organiser beaucoup mieux et était plus soigneux. En grandissant, l'enfant plus "positif", plus "affectueux" est devenu un artiste. Le second est un mathématicien spécialisé dans la programmation d'ordinateurs.